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(note de lecture) Henri Droguet, "Faisez pas les cons !", par Etienne Faure

Par Florence Trocmé

(note de lecture) Henri Droguet, C'est avec cette énergie coutumière à Henri Droguet, et doublée d'un langage (très) parlé, que s'annonce Faisez pas les cons ! Un point d'exclamation dans un titre n'est pas chose fréquente. Henri Droguet ne change pas de cap. Celui dont on peut découvrir actuellement les poèmes très enlevés de Désordre du jour (Ed. Gallimard, note de Bruno Fern dans Poezibao), publie concomitamment cet ensemble de récits allègres. Et qui apostrophent ...
Goguenard, Henri Droguet fait rire. Mais pas seulement. Les grincements sont proches et se retrouvent tout le long du recueil de huit nouvelles " ou fables "... (ou histoires, ou récits, ou péripéties ...). Henri Droguet confirme qu'il a la plume percutante quel que soit le genre. Le ton est déjà donné par les titres mêmes de ces récits : Confessions d'un enfant du demi-siècle ; Faisez pas les cons !, Nord-ouest, Bords perdus, A Dieu vat !, On se les gèle, Hauts les cœurs !, Un, deux trois...
Des textes où les mots se télescopent, se chahutent, entrecoupés de dialogues fréquents qui viennent revigorer le fil du récit, l'embarquent encore plus loin, le font bifurquer :
- Avance donc ! Avance donc ! grommela quelqu'un.
- Nous y voilà ! La colère ? La hargne ? La frousse ? Lâches ! Lâches ! Vous avez manqué de tout ! Vous avez forcément manqué d'amour et vous voilà en train de crever ! [...]
Le vers est dans la prose -et vice-versa. Ici le prosateur a le sens du détail et de l'observation qui rappelle le poète. Ainsi apprend-on par le menu la technique de mise en bouteille du cidre bouché : " ...puis on capelait par là-dessus un collier en laiton qu'on bloquait sous l'ourlet du goulot, après on tortillait la boucle de métal et ça faisait comme une oreille qu'on rabattait sur le col de la bouteille. " Des scènes où passeraient le peintre Millet (Jean-François) ou Jean Follain, au choix : " La tante Louise avait posé sur le cul d'une cagette une assiette de faïence ébréchée ornée de gros pétunias bleus et rouges peints à la main et dessus elle avait mis une tranche de pâté de lapin, des cornichons, de la salicorne qu'on allait ramasser plus loin dans l'herbu. " Un paysage souvent maritime et terrien à la fois : on y trouve donc, qui se côtoient, de vieux cidres, des pommes, des clapiers, du pâté de lapin, de la salicorne, des poissons de toutes écailles (des tacauds, des godes, des chinchards, des orphies dites aiguillettes, des mulets, des roussettes ou chiens de mer ...), des ports, le large, du vent, des haies, le suroît, des bulletin de la météo marine pour la pêche et la navigation, des goélands, des chaloupes " ruinées aux vaigrages disparus ", des sentiers côtiers, une statue en plâtre de saint Roch... etc.
Une veine surréaliste parcourt volontiers certains récits, rétive aux conventions de tous poils -y compris celles de la narration-, et rafraichissante : Bords perdus, par exemple, offre un programme " un peu déconnant " dont s'amuse manifestement l'auteur qui parle, ailleurs, un rien railleur, du " narrauteur ".
Le parti pris du rire et de la dissonance du langage parlé alterne avec la phrase très aérodynamique, longue et agile (où le déjanté est -mine de rien- très contrôlé, ce qui est loin d'être aisé et, pour tout dire, pas donné à tout le monde...) qui ponctue le texte et le tempère en un decrescendo rêveur et souvent ironique : " Alors ils auraient échangé de confuses paroles, trouées par les anacoluthes et les silences dévorateurs, brouillées par le vacarme ambiant (carillons désaccordés, du plain-chant tombé on ne sait d'où, rauquements des choucas dans les charpentes, crépitements des cierges...). "
H. Droguet n'hésite pas à faire des inventaires, asséner les mots, les redire, les ressasser, convoquer tous les sens (l'ouïe autant que les yeux mais aussi le nez sont souvent là pour dire). Un H. Droguet qui ne craint pas l'énumération pour le plaisir des mots et la beauté des choses, lui qui aime " les fougères surdimensionnées et rouquines, les ajoncs barbelés, les queues de lièvres, le mouron rouge, l'arméria et le silène bedonnant, les bruyères, les asphodèles, les chandelles et guimauves et des oseilles grenues et rouges, le chèvrefeuille, l'herbe à sept coutures (autrement dit plantain), le géranium de Robert, l'orchis pourpre, les valérianes, les diplotaxis crucifères et l'ortie commune, la grande vesce, les liserons, la folle avoine, le gaillet, les pissenlits, les pâquerettes, les matricaires, les bromes rougeâtres et le romarin, la fumeterre, la mélisse et la saponaire, la scabieuse, les armoises, les panicules frangées de l'eupatoire rose. "
Partis de textes qui prennent le déguisement des souvenirs biographiques, ces huit récits peu à peu remettent en scène l'omniprésent Albert qui avait précédemment occupé la place d'un ouvrage de prose : Albert & Cie. Une figure. On retrouve avec plaisir cet " Albert " : Albert enfant appelé à témoigner, Albert, collègue de lycée, Albert " sans activité professionnelle répertoriée, aux compétences généralistes et sommaires ", Albert, " homme de ressources ", Albert, alias Jojo sur le carreau qui attend en mendiant ses 65 ans, le " bout du monde ", Albert le rêveur qui s'en va jaboter avec l'Autre, Albert et Albert qui se séparent en clôturant l'ouvrage en pleine marche :
Encore un pourquoi. Pourquoi marcher ainsi ?
Tu te répètes garçon. Je viens de te le dire ! Pour avancer, tiens...pendant que j'ai le temps.
Huit textes et un seul grand mouvement qui les anime, secteur nord-ouest dans " l'instabilité générale du Ciel et de la Terre ". A tendre vers quoi ? Une espèce de cap : " On a fait ce qu'on a pu ". Du décoiffant. Du revivifiant.
Etienne Faure
Henri Droguet, Faisez pas les cons !, Editons Fario, 2016, 14,50€


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