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QUelque chose de Tennessee

Publié le 22 juin 2008 par Dje
QUelque chose de Tennessee

Tout plaquer, repartir de zéro, laisser toute sa vie derrière et prendre le large pour goûter à l'aventure, sans savoir où l'on va, sans même savoir ce que l'on fait. Cela nous est tous arrivé d'y penser au moins une fois, et ce n'est pas surprenant car c'est peut-être un des plus grands fantasmes de l'humanité. Illusion douce que l'on peut se défaire de tout sans même un regard en arrière, que l'on maîtrise notre vie de bout en bout et que l'on ne dépend pas de contraintes extérieures et matérielles. Illusion utopique qui ne dupe bien entendu personne, mais dans un coin de sa tête chacun aime à y songer, c'est humain. Son petit paradis, sa petite île déserte, son petit coin de rêve qui offre protection et refuge. Quelque chose de Tennessee comme le décrivait un poète franco-suisso-belgo-monégasque qui cherchait peut-être déjà dans cette métaphore un moyen de s'affranchir de ses contraintes fiscales.

Certains vont pourtant jusqu'au bout de leur utopie et claquent la porte de leur vie dans bruit sec et violent. Vous avez sûrement entendu parler de Ian Usher, ce Bitannique installé en Australie qui met sa vie en vente sur ebay. Ce qui a priori relève d'un des nombreux canulars dont le site d'enchères est friand - en vrac notons des ventes de belles-mères, de planètes, de neurones, ou encore d'un coffre-fort au contenu secret dont on a perdu le code - est une annonce tout ce qu'il y a de plus sérieuse. Ce cher Ian vend en effet tout ce qui compose sa vie : sa maison, ses amis, son travail avec l'aimable autorisation de son patron, mais également tout son mode de vie puisqu'il propose à l'heureux élu de lui faire découvrir ses passions et ses hobbys. Un nouveau Ian, clone du premier, qui lui permettrait de s'affranchir de toutes ses contraintes et de repartir dans la vie d'un nouveau pied. Original mais plutôt efficace, car les enchères ont déjà dépassé les 400.000 €. Ce que l'histoire ne dit pas, c'est que va faire l'acheteur de son ancienne vie... Va-t-il lui aussi la mettre aux enchères, ou réussira-t-il dans un tour de passe-passe à mener simultanément la vie de deux hommes ? Voilà comment en deux coups de cuiller à pot la schizophrénie passe du statut de maladie à celui de fait de société. Un jeu de chaises musicales avec pour enjeu une vie entièrement neuve, j'avoue que ça a une certaine forme de piment.

Mais que dire alors de Stuart Hill, ou l'histoire d'un loser malchanceux qui s'autoproclame chef d'une nouvelle nation indépendante ! Ce marin peu talentueux vit en effet seul depuis sept ans sur un îlot de l'archipel des Shetland suite à un naufrage peu glorieux lors d'une tentative de tour de la Grande-Bretagne à la voile. Sept années de solitude qui ont dû lui taper sur le crâne et provoquer cette curieuse décision de faire de son bout de terre une nation autonome et idéale, sans impôts, avec sa propre monnaie et son propre drapeau. C'est en effet ce que Stuart Hill annonce sur son site Internet cette semaine, ce qui soit dit en passant me plonge dans un océan de perplexité si l'on considère le fait que l'individu habite sous une tente depuis sept ans. Décidément, le Wifi s'améliore de jour en jour... Une déclaration d'indépendance qui se conclue dans un élan lyrique remarquable : " J'invite aussi n'importe qui dans le monde qui soutient cette cause à se libérer des menteurs, des voleurs et des tyrans des gouvernements et à devenir citoyen de Forvik " Quand je parlais d'utopie... Mais quand on sait que l'intéressé a également envoyé une lettre à la Reine d'Angleterre pour qu'elle le reconnaissance comme chef d'Eat de cette nouvelle nation, le coté chevaleresque de la démarche en prend un coup. De gentil illuminé, Stuart Hill devient présumé coupable de soif de pouvoir, aussi infime soit-il. C'est de suite beaucoup moins glorieux.

Si la sagesse n'attend pas le nombre des années, l'envie d'horizons nouveaux non plus au vu de l'incroyable périple qu'a accompli Jan-Ole, un adolescent allemand de 13 ans. S'ennuyant chez lui, il a laissé un mot très simple à ses parents (" Ne vous faites pas de soucis mais c'est trop ennuyant ici, je voudrais découvrir un peu le monde "), emprunté leur voiture, et est parti pour un voyage de 800 kilomètres qui l'a mené jusqu'aux portes de Paris. La version moderne de la fugue, je pars juste à l'autre bout de l'Europe, mais ne vous inquiétez pas je reviens. Je ne peux pas m'empêcher de trouver l'idée très rafraîchissante. Dans sa folle embardée, l'aventurier en herbe n'a pourtant pas oublié certaines choses indispensables, notamment sa Playstation retrouvée sur le siège arrière de la voiture. Il perd pas le Nord le gamin ! Je veux bien partir à l'aventure, mais jamais sans ma console. Ah ça oui, on est loin de la vie d'ascète selon Tennessee...

Ian, Stuart, Jan, trois histoires parallèles, trois comportements proches du mimétisme. Des pseudo-aventuriers des temps modernes qui chacun à leur manière tournent leur action au ridicule à cause de détails matériels insignifiants. Ces mêmes détails matériels dont ils devaient pourtant se vanter n'avoir plus besoin en se lançant dans leur quête de nouveauté. Mais voilà, chassez le naturel et il revient au galop. En guise de page blanche, ils ne récoltent qu'une bavure d'encre prompte à remplir les dépêches de la rubrique insolite. Tennessee peut dormir sur ses deux oreilles, son mythe a encore de beaux jours devant lui ; ce n'est pas encore aujourd'hui qu'il dépassera le statut d'utopie


(C'est donc ça nos vies... 23.06.2008)

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