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La La Land – L’envie d’avoir envie

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Damien Chazelle n’attend pas. D’entrée, ce dernier donne le la. Son La La Land sera énergique et dynamique, ou ne sera pas. Un plan-séquence pour introduction, une chorégraphie millimétrée à l’exécution. Couleurs chatoyantes, musique entêtante : c’est parti pour deux heures de sublimation d’une déjà excellente note d’intention.

Jouant d’emblée sur les contrastes, et la profondeur de champ. Courtes, longues focales, palette chromatique du plus sombre au plus éclatant : le chemin à parcourir sera semé d’embûches, excitant, long et court à la fois. Affaire de talent, aussi de foi.

Hollywood n’aime rien de plus que d’être contée. Surtout dans sa capacité à faire rêver. Son passé glorieux, son héritage fabuleux. Michel Hazanavicius ne s’y était pas trompé : The Artist s’inscrivait lui-aussi dans cette démarche déférente (réussie) totalement assumée.

Le titre québécois du film – Pour l’amour d’Hollywood – sur ce plan est on ne peut plus équivoque : le dernier film du réalisateur de Whiplash reste avant tout une flamme déclarée au cinéma musical de la grande époque, peut-être plus proche des Demoiselles de Rochefort que de West Side Story. Quoi qu’il en soit, très typé sixties.

Pourtant, n’appréhender La La Land que sous l’angle de l’hommage réactualisé serait (à tort) passer à côté du véritable objet filmique proposé.

Avec pour porte d’entrée non pas la Cité des Anges tel qu’annoncé, mais bien une nouvelle fois le jazz, sa symbolique, sa grammaire, et son rapport au passé.

Que va s’empresser de railler Mia (Emma Stone), aspirante actrice enchaînant désespérément castings après castings pour enfin décrocher un rôle, pour laquelle ce genre musical revient peu ou prou à de la musique d’ascenseur. Et ce au grand dam de Sebastian (Ryan Gosling), pianiste cumulant les contrats miteux, quant à lui grand amateur et ardent défenseur du jazz, dont le rêve serait de justement monter un club qui en respecterait l’âme et l’histoire.

Une opposition de vues qui donnera lieu à un échange on ne peut plus savoureux, au cours duquel Sebastian tentera tant bien que mal de sensibiliser Mia à la richesse d’un art et d’une pratique en voie d’extinction, déconsidérés au profit de l’instantanéité de purs produits de consommation.

Après la maitrise technique et l’excellence de la pratique dans Whiplash, Damien Chazelle s’attaque désormais ainsi dans La La Land au cœur et au(x) moteur(s), ce qui anime les artistes, ce qui les meut dans leur volonté de transmettre et partager. Et d’un point de vue plus égocentrique, de tout simplement briller.

Un travail d’introspection à l’échelle de son propre travail. Une réflexion plus large quant à la marche de l’art en général, en particulier du cinéma…

… Qui n’en oublie pas, pour autant, de proposer une histoire au plaisir communicatif et immédiat !

Merci en grande partie à un choix de casting fondamental qui aura subit bien des aléas, pour un résultat heureux, totalement adéquat. Déjà à l’œuvre dans le sous-estimé Crazy Stupid Love, le couple Emma Stone-Ryan Gosling s’avère ainsi une nouvelle fois merveilleux, tant leur entente et leur chimie se montre à la hauteur de leur connivence de jeu.

Une alchimie aux sources du rythme imprimé par Damien Chazelle à son film, dont la clé de la réussite doit avant tout se baser, tambours battants, sur une mélodie structurelle parfaitement cadencée.

En mélomane averti, Damien Chazelle, et ce depuis ses débuts, connaît la chanson. Percussion des dialogues, échanges tout en vivacité : La La Land peut pleinement se vivre et s’apprécier par sa musicalité.

Dans la continuité de Whiplash et de Guy and Madeline on a Park Bench (son premier long déjà très bon), la félicité de visionnage passe en grande partie par la qualité de la bande-son.

Délicieusement rétros, modernes juste ce qu’il faut, les partitions du fidèle d’université Justin Hurwitz font mouche (plus de deux ans de travail, c’est à noter !), dans leur propension à se jouer de nos souvenirs de cinéphiles, à nous émerveiller de tant de madeleines convoquées. Forcément jazzies, Les Parapluies de Cherbourg rencontrent Chantons sous la pluie, les musiques de La La Land charment, enchantent, et plus surprenant encore, trahissent les attentes.

La La Land – L’envie d’avoir envie

Derrière leur optimisme de façade, leurs notes virevoltantes, leurs mélodies addictives et entêtantes, une histoire finalement pas si marrante.

La rançon du succès : les sacrifices à opérer, des choix sans retours à poser.

Mia et Sebastian : deux jeunes gens pétris de talent rêvant très grand, au début diamétralement opposés, puis rassemblés par leurs espoirs, leur ambition, et leurs passions, desquels naîtra un amour de pur cinéma (cœur tendre ou de pierre, on y croit !) qui, trahison du prétendu côté bonbon, ne résistera fatalement pas à l’accomplissement et l’affirmation de soi.

Une perversion de l’attendu omniprésente dans La La Land, où la référence déférente se voit constamment travestie voire annulée par une séquence, une utilisation de la musique à l’ironie grinçante. Le glamour, le fantasme artificiel que chacun prend plaisir à embrasser étant battus en brèche par le sursaut momentané, toujours emprunt de mélancolie et de gravité, de la réalité.

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Une résurgence du réel au sein duquel tout le monde ne sait pas forcément danser, encore moins chanter. Des synchronisations labiales mal accordées, des enchaînements parfois à contretemps. Mia et Sebastian, leurs acteurs surtout, à dessein n’y échappent pas. Damien Chazelle se fait fort de distiller aspérités et anomalies inusitées dans un genre traditionnellement extrêmement calibré.

Le rêve, oui. Le talent et des idées, aussi. La perfection, quant à elle, n’a finalement pas à être de la partie.

Trois pans magnifiquement résumés au cours d’un Epilogue poignant, nous plaçant lui-aussi devant un dilemme inattendu : celui d’être à la fois fascinés par les images proposées, immergés et transportés par un tourbillon de fantasmes incarnés, et dans le même temps, d’éprouver une certaine amertume pour deux êtres accomplis, (s’)étant pourtant passés à côté.

D’un bonheur absolu, de rêves embrassés, aux ambitions personnelles et professionnelles mêlées.

Bien sûr sans trop en dévoiler… Oups, raté ?

Qu’on se le tienne pour dit : la richesse de La La Land tient moins à ses rebondissements qu’aux messages qu’il entend faire passer. Un gage de revisionnage plaisir, assurément de pérennité. La force des véritables réussites amenées à durer.

Si d’aucuns se chargeront de lui apposer l’étiquette de « film à Oscars » pour mieux le dévaluer, La La Land s’avère par ailleurs suffisamment bien fabriqué pour tenir la distance, et traverser les années.

Armé d’un CinémaScope élégant et raffiné, soutenu par des nuances de couleurs éclatantes de profondeur et de netteté, des décors aux costumes en passant par les drapés, Damien Chazelle a fait de ce dernier un objet de fascination visuelle que l’on ne se lasse pas de regarder.

Sans tutoyer la vision novatrice d’un Juan Antonio Bayona sur A Monster Calls, Chazelle s’en tient à ses classiques, tout en leur insufflant une énergie et une fraicheur bienvenues, sans effets racoleurs par nature amenés à tomber en désuétude. L’esbroufe n’est pas de mise dans ses scènes, dont chaque aspect respire le respect et l’amour du travail bien fait.

Deux heures de ravissement, spectacle intelligent sans être ronflant, La La Land sait flatter son audience, par générosité plus que par cynisme et opportunisme mal placés.

« City of stars, are you shining just for me? »

Chef-d’oeuvre, futur classique ? Une chose est sûre : La La Land nous aura conquis, et donné sacrément envie !

La La Land – L’envie d’avoir envie



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