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Drame de l'Erika: la responsabilité Total

Publié le 24 juin 2008 par Duncan

CJCE, arrêt du 24 juin 2008, Aff. C-188/07, Commune de Mesquer.

Erika Erika (en photo), 12 décembre 1999. Un nom et une date qui évoquent un drame environnemental de grande ampleur: de nombreuses plages du Finistère souillées, l'océan atlantique polluée par les hydrocarbures... Le fioul de l'Erika était destiné à la société italienne Enel en vue de la production d'électricité. La société Total Raffinage (devenu Total France) avait vendu le fioul à Total International qui avait elle-même affrété l'Erika afin de livrer le fioul commandé à Enel.
La question posée à la Cour de Justice dans l'affaire en cause est d'importance. Il s'agissait de savoir si le fioul transporté par l'Erika peut être considéré comme un déchet au sens de la directive 75/442. Et, si tel est bien le cas, sur qui repose la responsabilité (vendeur? affréteur? propriétaire?) de l'élimination de celui-ci?
Le litige opposait la société Total à une commune française (Mesquer). Selon cette dernière, le fioul constitue un déchet conformément à la directive précitée et doit dès lors être éliminé aux frais de la société Total.

L'arrêt est relativement long et technique mais ses principales conclusions peuvent être résumées assez facilement.

La Cour va tout d'abord écarté la qualification de déchet pour le fioul seul. En effet, bien que ce fioul soit un sous-produit de pétrole, il peut être utilisé commercialement comme combustible et ne constitue donc pas à proprement un déchet, l'entreprise ne cherchant pas à "s'en défaire" (voyez le point 48 notamment).

Par contre, ce fioul, une fois qu'il est libéré accidentellement, à la suite d'un naufrage, des soutes d'un navire et mêlé à l'eau de mer ainsi qu’à des sédiments et dérive le long des côtes d’un État membre jusqu’à s’échouer sur celles-ci, constitue "des déchets au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 75/442, dès lors que ceux-ci ne sont plus susceptibles d’être exploités ou commercialisés sans opération de transformation préalable" (point 63).

Cette qualification étant retenue, la Cour va se tourner vers la question de la responsabilité de l'élimination d'un tel déchet. Selon "l’article 15, second tiret, de cette directive prévoit que, conformément au principe du pollueur-payeur, le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par les détenteurs antérieurs ou par le producteur du produit générateur des déchets" (point 69).

La question qui se pose immédiatement est de savoir si tant le vendeur du fioul (Total France) que l'affréteur du navire (Total international)  peuvent être solidairement responsables de ce nettoyage ou pas, en tant que "détenteurs antérieurs" ou "producteur du produit".

La Cour considère tout d'abord que "dans le cas d’hydrocarbures accidentellement déversés en mer, il convient de relever que le propriétaire du navire transportant lesdits hydrocarbures est, en fait, en possession de ceux-ci immédiatement avant qu’ils ne deviennent des déchets. Dans ces conditions, le propriétaire dudit navire peut donc être considéré comme ayant produit ces déchets au sens de l’article 1er, sous b), de la directive 75/442 et être ainsi qualifié à ce titre de «détenteur» au sens de l’article 1er, sous c), de cette directive" (point 74).

Bien plus "s’agissant d’hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite du naufrage d’un navire pétrolier, le juge national peut considérer que le vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant a «produit des déchets», si ce juge, au vu des éléments que lui seul est à même d’apprécier, aboutit à la conclusion que ce vendeur-affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par ce naufrage, en particulier s’il s’est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel événement telles que celles concernant le choix du navire. Dans de telles circonstances, ledit vendeur-affréteur pourra être considéré comme détenteur antérieur des déchets aux fins de l’application de l’article 15, second tiret, première partie, de la directive 75/442" (point 78).

Toutefois, le droit national, en application de certaines convention internationale sur la responsabilité des pollution par hydrocarbures,  peut prévoir des plafonds de responsabilité qui empêchent en pratique que ces personnes ne prennent le coût du nettoyage entièrement à leur charge. Le droit international peut également prévoir la mise en place d'un fonds d’indemnisation, tel que le FIPOL, aux ressources plafonnées pour chaque sinistre, qui prend en charge en lieu et place des «détenteurs» au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 75/442, les coûts liés à l’élimination des déchets résultant d’hydrocarbures accidentellement déversés en mer. Ceci aura évidemment pour effet de limiter grandement la portée de la directive - soit que le plafond de responsabilité est trop bas, soit que les conditions d'intervention du fonds ne sont pas remplies -  et du principe du pollueur-payeur. Et la Cour ne va pas l'entendre de cette oreille...

A cet égard, selon la Cour, "s’il s’avère que les coûts liés à l’élimination des déchets générés par un déversement accidentel d’hydrocarbures en mer ne sont pas pris en charge par ledit fonds ou ne peuvent l’être en raison de l’épuisement du plafond d’indemnisation prévu pour ce sinistre et que, en application des limitations et/ou des exonérations de responsabilité prévues, le droit national d’un État membre, y compris celui issu de conventions internationales, empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et/ou l’affréteur de ce dernier, alors même que ceux-ci sont à considérer comme des «détenteurs» au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 75/442, un tel droit national devra alors permettre, pour assurer une transposition conforme de l’article 15 de cette directive, que lesdits coûts soient supportés par le producteur du produit générateur des déchets ainsi répandus. Cependant, conformément au principe du pollueur-payeur, un tel producteur ne peut être tenu de supporter ces coûts que si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage du navire" (point 82).

En clair, "contrairement à ce que les sociétés Total ont fait valoir lors de l’audience, la Communauté n’est pas liée par les conventions sur la responsabilité civile et FIPOL" (point 85). Bref, c'est une très nette défaite pour Total. Le juge national français pourra écarter l'application des dites règles de droit national issues de conventions internationales afin d'assurer la pleine effectivité de la directive (si les conditions d'application en sont remplies, cfr supra).



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