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Pearl Buck, Vent d’est, vent d’ouest

Par Ellettres @Ellettres

Pearl Buck, Vent d’est, vent d’ouestDans une prose dépouillée, Pearl Buck pénètre une nouvelle fois au sein d’une maisonnée chinoise traditionnelle de haute naissance des années 1930. Ce monde clos et strictement normé, héritier d’un empire du milieu dont les cendres fument encore, c’est le vent d’est. Il s’ouvre, avec plus ou moins de bonheur, au vent d’ouest, ou plutôt à la bourrasque que représente la modernité occidentale.

Cette rencontre s’opère à deux niveaux. Tout d’abord par le mariage de Kwei Lan, jeune fille élevée pour être une bonne épouse soumise à la chinoise, avec un jeune médecin qui revient d’Amérique et ne jure que par la civilisation occidentale. C’est lui qui va l’inviter à débander ses pieds, dont la petitesse fait pourtant la plus grande fierté de la jeune femme, ce qu’elle finira par faire par amour pour lui (et finalement beaucoup de soulagement). Grâce à lui, elle conserve auprès d’elle son fils premier-né, au lieu de l’offrir à ses beaux-parents, comme premier descendant mâle de la famille. Elle découvre les bizarreries d’une maison construite à l’occidentale, comme les escaliers, qu’elle descend la première fois sur les fesses ! (Ils sont si peu faits pour des pieds bandés !) Et regrette parfois la lumière mate que laissent filtrer les persiennes de papier, si avantageuse pour son teint, contrairement aux vitres qui font miroiter une lumière drue.

Au moment où elle s’est peu à peu appropriée ces nouvelles façons de faire, et commence à apprécier la liberté dont elle jouit, elle apprend que son frère, parti étudier en Amérique, revient avec une épouse américaine ! C’est le branle-bas de combat dans la maisonnée de sa mère, tout se ligue pour faire échouer cette union jugée contre-nature et faire épouser au fils récalcitrant la fiancée qui lui avait été désignée depuis la naissance… Kwei Lan se sent écartelée entre son sentiment de devoir envers sa famille (le collectif, le lien au passé) et son attrait nouveau pour le primat de l’amour (l’individu, le futur) qui la conduit à soutenir son frère.

Qui du vent d’est ou du vent d’ouest gagnera cette partie de bras de fer ? Cette rencontre entre deux mondes doit-elle nécessairement passer par le rapport de force ?

Narrant les faits à la première personne, du point de vue de Kwei Lan, Pearl Buck arrive à merveille à opérer des jeux de miroirs entre deux civilisations très différentes, dont chacune pense qu’elle est la normalité, et l’autre la barbarie ! Quand Kwei Lan raconte simplement les us et coutumes chinois, le lecteur (occidental, et surtout actuel) peut à bon droit s’étonner. Mais c’est elle qui s’étonne des habitudes américaines : comment, on habille les bébés américains en blanc, couleur du deuil ? Et les femmes ne baissent pas les yeux devant les hommes ? Elles ne prennent pas grand soin de leur apparence, en huilant et fleurissant leurs cheveux, en adoptant une petite voix douce, mais elles courent et rient aux éclats ? La couleur de la peau et des cheveux elle-même est un motif d’étonnement, voire de frayeur.

Ce jeu d’oppositions peut sembler un peu simpliste, voire à l’avantage de l’Occident. Mais il faut se souvenir que Pearl Buck transcrit le ressenti d’une « Chine éternelle », d’une « Chine profonde » face à la pénétration, qui semble injuste, à la limite de la colonisation, de l’influence occidentale. Ce sont des choses issues de son observation, et on ne peut qu’admirer sa faculté à endosser le point de vue, subjectif, d’une jeune Chinoise qui n’était jamais sortie des murs de sa maison. Les personnages sont assez simples en apparence, et le roman lui-même a tout l’air d’un fabliau sur la rencontre entre deux mondes, qui a priori sont insolubles l’un dans l’autre… a priori.


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