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"Arrête avec tes mensonges" de Philippe Besson / "La princesse et le dictateur" de Ben Mazué

Publié le 08 février 2017 par Notsoblonde @BlogDeLaBlonde

Il y a fort fort longtemps (plus de six ans, tu vois, ça ne me rajeunit pas), j'écrivais ici des billets qui mettaient en parallèle certaines de mes lectures avec des chansons.

Aujourd'hui, alors que ça fait un très long moment que je me suis absentée (si je trouve les mots qu'il faut et le courage d'en "parler" je publierai peut-être à ce propos, ici, bientôt) je décide que je m'y remets.
J'aime ce genre de moment, dans la vie, où ce que tu lis / écoute / vis même, parfois- semble se télescoper, se faire écho et où l'un éclaire l'autre; magie des hasards heureux qui jalonnent l'existence.

Pourquoi coupler dans un même billet le dernier roman de Philippe Besson et le nouveau spectacle de Ben Mazué? Je leur trouve une douce parenté.

Il y a des gens, tu sais, dont le talent est de raconter des histoires; ça me gêne un peu de les qualifier de conteur tant le terme me semble plutôt réservé à ceux qui, en relatant le moindre évènement, leur donnent une dimension épique, en font une aventure inattendue, haletante. Pour d'autres, je parlerais plutôt de "raconteurs"; le mot est moins joli mais il convient mieux à leur talent qui consiste à décrire le quotidien, à dire la "vérité vraie" tant et si bien qu'on s'y croirait.
Philippe Besson me semble de ceux là.
Je n'ai pas tout lu de lui, loin de là, mais je garde un souvenir ému de son roman "se résoudre aux adieux". Il est de ces écrivains qui embarquent le lecteur immédiatement, à peine le temps de planter le décor et de donner vie aux acteurs de leur petit théâtre personnel, l'immersion est totale. Dans son dernier roman, on découvre que ce talent qu'a l'auteur, il ne l'a pas forcé. Tout petit déjà, il en fait la confession, il racontait des histoires (d'où le titre du livre d'ailleurs) :

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Quand j'étais enfant, ma mère ne cessait de me répéter "arrête avec tes mensonges." J'inventais si bien les histoires, paraît-il, qu'elle ne savait plus démêler le vrai du faux. J'ai fini par en faire un métier, je suis devenu romancier.

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Il a longtemps, dans ses romans, mêlé fragments de vie personnelle et fiction, donnant vie à des personnages imprégnés des souvenirs de ceux qui l'avaient marqué mais en brodant des histoires imaginaires, sans doute inspirées malgré lui de certains moments forts de sa propre vie.

Plus tard, j'écrirai sur le manque. Sur la privation insupportable de l'autre. Sur le dénuement provoqué par cette privation ; une pauvreté qui s'abat. J'écrirai sur la tristesse qui ronge, la folie qui menace. Cela deviendra la matrice de mes livres, presque malgré moi. Je me demande quelquefois si j'ai même jamais écrit sur autre chose. Comme si je ne m'étais jamais remis de ça : l'autre devenu inaccessible. Comme si ça occupait tout l'espace mental.

La mort de beaucoup de mes amis, dans le plus jeune âge, aggravera ce travers, cette douleur. Leur disparition prématurée me plongera dans des abîmes de chagrin et de perplexité. Je devrai apprendre à leur survivre. Et l'écriture sera un moyen pour survivre. Et pour ne pas oublier les disparus. Pour continuer le dialogue avec eux. Mais le manque prend probablement sa source dans cette première défection, dans une imbécile brûlure amoureuse.

Aujourd'hui, il tombe le masque, avec "arrête avec tes mensonges", le bien nommé.
Il livre ici, dans une langue directe et précise, les détails d'une histoire d'amour fondatrice. De celles qui vous construisent et vous ébranlent à jamais. On s'y retrouve forcément un peu et on frémit, avec lui, de ces drôles de clins d'oeil que nous réserve la vie. D'un bout à l'autre du récit, on ne décroche pas, lecteur assidu pendu à ses mots, espérant le dénouement heureux, se délectant de la mise en lumière de l'homme qu'est Philippe Besson, à travers le récit de cette histoire d'amour qui électrise.

Lecture incontournable de ce début d'année, "arrête avec tes mensonges" est un livre vers lequel je reviendrai (et l'envie est assez rare pour être soulignée).

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Ben Mazué est un auteur/compositeur/interprète qui s'apprête à sortir son 3ème album (en mai, a priori). Il s'intitule "la princesse et le dictateur" et dans celui-ci, peut-être plus que jamais, il a décidé de se mettre à nu.

Son crédo à lui, ça a toujours été l'introspection et c'est, si tu veux mon avis, dans cet exercice qu'il révèle le meilleur de son art. Il écrit aussi sur des personnages qu'il façonne en associant des bribes de ceux qu'il a pu croiser pour leur composer une identité propre et ça a donné lieu, par exemple, à la jolie galerie de portraits qui jalonnent l'album précédent ("33 ans") mais, et son album à venir le confirme, c'est lorsqu'il parle de lui que ses mots sont les plus efficaces.

Dans ce spectacle dont je ne tiens absolument pas à dévoiler le secret ici, histoire que tu puisses être aussi agréablement surpris que je l'ai été samedi dernier (NDR : oui, j'ai mis un temps fou à publier ce billet que j'avais pourtant rédigé dans la foulée du concert), il choisit de raconter un moment précis de sa vie.

Enfin de sa vie...Un épisode de la vie de Vincent et Romy, plutôt.
Deux personnages qui ressemblent beaucoup au couple qu'il forme dans la vie et qui lui permettent de laisser planer pudiquement un voile d'autofiction sur une réalité dont on ne sait jamais vraiment à quel point elle est inspirée de la sienne.
Alors oui, son spectacle est un concert parce qu'il y chante souvent mais ce n'est pas tout.
Par un procédé original, Ben Mazué réussit à embarquer avec lui le public dans un moment plein de rebondissements et de tourments. On démarre à ses côtés par un concert à Bercy (si!) et on ne décroche pas un instant jusqu'au tableau final. On est entre le stand up, le drame musical (difficile de parler de comédie) et le concert classique, et tout ça donne un très bon mix.
A ce stade là de mon billet, il y a fort à parier que tu ne comprends pas très bien de quoi il s'agit exactement et c'est très bien comme ça. J'espère seulement avoir attisé suffisamment ta curiosité pour te convaincre d'aller le voir bientôt (toutes les dates sont là, d'autres suivront).

Si d'aventure tu voulais acheter l'album avant de réserver ta place, sache qu'il te faudra patienter : l'homme a parié sur une tournée qui précède sa sortie, où l'on retrouve plusieurs de ses anciens morceaux qui côtoient les tout nouveaux.

"La princesse et le dictateur" c'est l'histoire d'un homme qui appréhende la vie avec l'idée que vivre c'est sans cesse de réinventer, sans limite ou presque, et qui en donne l'illustration concrète, sur scène, depuis quelques années.
Après avoir changé radicalement de carrière pour embrasser la vie d'artiste à plein temps, Ben Mazué réinvente aussi à chaque album ce qu'est un concert, pour lui.
Multipliant les combinaisons scéniques jusque là (que je préfère réduites à l'essentiel dans son cas, le binôme me semble parfait; tu noteras que ça tombe bien puisqu'il évolue en ce moment seulement accompagné de Robin Notte aux claviers), il sort du carcan formaté auquel nous sommes tous un peu habitués en proposant une alternative au live "classique", qui est à mon sens, ici, l'apogée de ce qu'il a pu jusque là présenter.
Il y a dans son nouveau spectacle une histoire, des personnages, un narrateur; il y a du vécu, des émotions à fleur de peau et des instantanés d'un couple qui doute. C'est beau, audacieux et enlevé.
Quand les lumières se sont éteintes, j'ai pensé à la Nouvelle Vague pour le côté "je casse les codes et je propose ma propre option" mais aussi pour la mise en scène de la voix, les procédés atypiques employés et pour ce passage, que je venais de lire dans "Arrête avec tes mensonges", qui évoque une scène d'un film de Truffaut, et qui me revenait comme en écho :

J'aurais pu lui parler également de ce que François Truffaut fait dire au personnage interprété par Fanny Ardant dans La Femme d'à côté ; en plus je venais juste de voir le film : J'écoute uniquement les chansons parce qu'elles disent la vérité. Plus elles sont bêtes, plus elles sont vraies. D'ailleurs, elles ne sont pas bêtes. Qu'est ce qu'elles disent? Elles disent : "Ne me quitte pas... Ton absence a brisé ma vie..." ou "Je suis une maison vide sans toi... Laisse moi devenir l'ombre de ton ombre..." ou bien "Sans amour, on n'est rien du tout....".

Le hasard a voulu que j'entame la lecture du dernier Philippe Besson au moment où je devais assister au concert de Ben Mazué, clin d'oeil de la vie qui n'est pas sans intérêt car tous les deux, dans leurs oeuvres les plus récentes, ont décidé de jouer la carte de la sincérité dans une autofiction fortement imprégnée de leur propre vécu mais où la limite entre réalité "vraie" et projection fantasmée est toujours comme gommée.

Au fond, il s'agit toujours de ça... La vérité "vraie" n'existe plus dès lors qu'elle est racontée : Chacun y projette ses propres attentes, sa perception intime de son propre rôle dans l'histoire et construit sa propre mythologie; si bien qu'à un moment crucial du spectacle de Ben Mazué, on croirait presque entendre Romy prononcer ces mots "arrête avec tes mensonges!".
Raconter la vie, la vraie, est ce que ça n'implique pas toujours d'accepter d'avoir un parti pris? Mais alors comment faire pour que les récits s'accordent, au sein du couple et que les ressentis ne s'écartent pas trop l'un de l'autre, pour que les berges de nos réalités fantasmées restent suffisamment proches pour être encore reliées?

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A ce propos (le billet qui ne s'arrête jamais, le retour), je ne sais pas si tu suis la série "The Affair" mais ça me semble le moment idéal pour l'évoquer.
Le point de départ est une banale histoire d'adultère, racontée à plusieurs voix. Chaque épisode étant coupé en deux, il permet d'apprécier la vision des mêmes évènements par l'un ou l'autre des personnages clés.

Ca parait simple présenté comme ça, mais c'est grand; encore une histoire d'ingéniosité du procédé.

Ca dit tout de la mémoire qui trahit, de la porosité de notre perception du réel qui s'imprègne sans cesse de nos attentes, de nos valeurs, de nos projections intimes sur ce/ceux qui nous entoure(nt). C'est d'une finesse inouïe et c'est une des séries qui a su le mieux me captiver ces derniers temps. Il ne s'agit pas seulement des mots employés que l'on restitue chacun différemment, de son côté, et qui trahissent notre propre vérité intime, non. Il y a aussi les souvenirs des décors, ces gestes, des lumières d'alors qui, lorsque chacun restitue sa version des faits, rendent compte de la distance insensée qui existe entre deux visions d'une même réalité.

(Je n'ai pas trouvé de bande annonce qui soit la hauteur de celle-ci et directement en français mais...tu peux activer les sous titres en français sur celle-ci, directement sur le lecteur (il faut aller dans paramètres sélectionner la langue puis choisir d'afficher les sous titres en bas de l'écran).

Pour terminer je joins à ce billet quelques liens :

Pour te procurer le dernier Philippe Besson, comme le mieux reste d'aller le commander chez ton libraire de quartier, tu cliques sur le lien ici puis sur "acheter le livre" et en entrant ton code postal tu seras parfaitement conseillé.

Concernant Ben Mazué, tu peux suivre son actualité par ici.

Pour te procurer la saison 1 de The Affair en DVD c'est par là.

(Juste si tu es curieux, je glisse l'article qui faisait déjà le lien entre un de ses textes et un roman : "J'étais derrière toi" de Nicolas Fargues et "Tout recommencer" de Ben Mazué.)

Pour terminer, je te quitte en musique, attention, ce n'est pas un titre du nouvel album à paraitre mais un extrait de l'album collaboratif de Grand Corps Malade ("Il nous restera ça") auquel il a participé :


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