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Les pendants d’histoire : après l’Age d’Or

Publié le 11 février 2017 par Albrecht

Avec le passage du rococo au néoclassique, la mode des pendants s'éteint progressivement : l'esprit de jeu va laisser place à l'esprit de sérieux, la mythologie à l' Histoire Antique et le décoratif au démonstratif.

Trois ans après la publication de l'Emile, ce pendant engagé se place résolument dans le camp de Rousseau.

Le jeune riche, encouragé par son précepteur et surveillé par son père et sa mère, fait face d'un air crispé à son maître de mathématiques, en se reculant le plus possible sur son siège. La mappemonde et le plan de la forteresse disent bien que ce type de savoir est celui qui sert au pouvoir. Le jeune frère, encore un peu libre, feuillette un carnet de dessins à côté d'une guitare qui attend la fin du pensum.

Du côté des pauvres, pas d'enseignant spécialisé, tout le monde instruit les enfants : le père montre comment suivre un plan, la mère surveille la broderie, la grande soeur apprend les lettres à la petite et une servante aide le plus jeune à monter l'escalier.

Un chien de compagnie (inutile) et un chat (utile) complètent la symétrie. A remarquer aussi,à l'extrême droite, le mendiant qui entre chez les pauvres, et à l'extrême-gauche, le valet indifférent qui quitte la pièce des riches. Les uns font la charité, les autres se font servir.
pendants d’histoire après l’Age d’Or

C'est dans l'Antiquité que Hellé va maintenant chercher une mère et un père modèle, dans un pendant très classique qui respecte l'opposition intérieur/féminin et extérieur/masculin.

"Cornélie, mere des Gracques, recevant la visite d'une Dame Campanienne, richement vêtue, & qui tiroit vanité de toutes ses parures, lui dit, en lui présentant ses Enfans, qui revenoient des Ecoles publiques : pour moi, voilà mon faste et mes bijoux. Valere Maxime, lv. IV, ch. 4″

N otice du Salon de 1779

" Quelqu'un riant de voir Agésilas à cheval sur un bâton, avec son fils, qui était encore dans l'enfance : maintenant, lui dit Agésilas, gardez-moi le secret. Quand vous serez père, vous conterez mon histoire à ceux qui auront des enfants. " Histoires diverses d'Elien, traduites du grec, avec des remarques par B.-J. Dacier, 1772 Vincent (François-André ), 1776 ,Musée Fabre, Montpellier

Bien que le goût néoclassique commence à remplacer le rococo, la sophistication de ce pendant continue à exiger une lecture experte.

Une scène d'intérieur s'oppose à une scène en pleine air. Dans chacune, un jeune soldat casqué et cuirassé dialogue avec un homme mûr barbu, accompagné d'un jeune homme en toge blanche.

Alcibiade et Socrate

A gauche, Alcibiade est un jeune général ambitieux, qui revient prendre conseil auprès de son maître Socrate. Celui-ci, en contrebas du militaire casqué, est remis a égalité par la présence derrière lui de son daimon ailé et couronné de lauriers, qui lui souffle la bonne leçon : avant de gouverner les autres, il faut apprendre à se connaître soi-même . De la main droite, chacun des deux montre le signe de son pouvoir : le bâton de commandement et l'index de la persuasion. De la main gauche, chacun tient en réserve son arme : l'épée ou le rouleau de parchemin [1].

Cette composition en V est sous le signe de la confrontation : dans le triangle du milieu s'inscrivent le bouclier et le glaive.

Bélisaire

A droite, Bélisaire est un vieux général aveugle et déchu, qui se sert de son casque pour mendier, et porte encore sa cuirasse sous son manteau de pauvre. Un jeune garçon le guide. Un de ses anciens soldats le reconnait au moment où il lui donne l'aumône, crispant les lèvres devant la dureté du sort [2].

Cette composition en V inversé est sous le signe de la communion : les mains du jeune homme, de l'homme mûr et du vieillard se rejoignent autour du casque, arme d'orgueil devenu récipient d'humilité : son retournement est à l'image du retournement du destin.

La logique

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Du bâton de commandement au bâton du mendiant, il n'y a que l'interstice entre les deux pendants.
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Fragonard et Marguerite Gérard , 1780-85, Harvard Art Museums, Cambridge

Réalisés par l'élève assistée par le maître, on ne sait pas trop dans ces deux tableaux ce qui relève de Marguerite Gérard et ce qui relève de Fragonard.

Traîneau contre berceau, scène dynamique sur fond ouvert contre scène statique sur fond fermé, le vieux formalisme de Watteau fonctionne encore. Mais dans une esthétique bien différente, où la Coquette rococo se trouve subsumée par la Mère, sans rien perdre de son élégance. Si Rousseau a mis à la mode le dévouement à ses enfants, il reste encore largement théorique et c'est toujours la gouvernante qui s'occupe de l'intendance.Dans chacun des tableaux, on la reconnait facilement : c'est celle qui porte la moins belle robe.

La mère se réserve le meilleur rôle : tirer la voiture sous le regard de bébé ou servir de but à ses premiers pas (sous lesquels un tapis rouge a été prudemment préparé).

Un grand frère et une grande soeur jouent les figurants à l'arrière-plan, tandis qu'au premier plan un chien fou et un chat doux donnent l'ambiance de chaque pendant.

La femme âgée dans le second tableau pose question : plutôt que la grand-mère, il faut sans doute y voir la gouvernante qui, à la génération précédente, a accompagné elle aussi la mère dans ses premiers pas.
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Dans Le tricheur, deux groupes s'opposent : à droite, le tricheur est en train de faire entre dans son jeu une élégante ; à gauche, un couple composé d'un homme âgé (inspiré d'un portrait d'Oberkampf) et d'une jeune femme passe dignement à distance.

Les pendants d’histoire : après l’Age d’Or

Comme souvent, chez Boilly, des thèmes secondaires viennent déjouer la moralité apparente : à la droite du digne vieillard, un gamin est visiblement en train de lui faire les poches ; à sa gauche, un chien renifle l'arrière-train d'un autre, sous-entendant un rapport à la fois intéressé et animal entre la belle et le bourgeois.


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Une petite fille, qui se retourne pour observer les canidés, crée un lien entre le groupe du tricheur visible, et celui des deux tricheurs cachés : le pickpocket et la courtisane.

Dans l' autre pendant, la composition s'organise autour d'un seul groupe central, dans lequel la marmotte remplace le jeu de cartes comme point d'intérêt principal. On retrouve certains personnages : la fillette en robe longue, les deux élégantes, le musicien avec un bicorne à plumet à l'emplacement du tricheur. Le mendiant avec son bâton et son chapeau s'est transformé en un colporteur qui s'éloigne vers le droite.

Mis à part ces quelques correspondances et le fait qu'ils représentent tous deux une scène de la rue parisienne, les deux pendants fonctionnent essentiellement en solitaires.
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David Wilkie, un des peintres les plus côtés de la période de la Régence, commença à faire fortune avec des scènes de genre imitées des hollandais (Teniers, Van Ostade). Il réalisa ainsi plusieurs pendants, formule très appréciée par le Régent (devenu ensuite le roi George IV). Après 1828, son style évolua vers un romantisme à la Delacroix, sans qu'il cesse pour autant de sacrifier à la mode des pendants.

Wilkie peignit le Colin-Maillard pour faire pendant au tableau de Bird, que le Régent possédait déjà. Le thème commun est celui d'une communauté villageoise qui s'organise autour d'un meneur de jeu, soit pour chanter (le bedeau) soit pour s'amuser (l'homme aux yeux bandés).

D'amusantes scènes secondaires sont à découvrir :

  • chez Bird :
    • le marmot qui ne veut pas aller au lit,
    • la cage à serin collée au plafond et aveuglée par un linge pour ne pas gêner les chanteurs ;
  • chez Wilkie :
    • le gamin qui s'est fait mal au pied avec la chaise renversée,
    • le chien écrasé, l'homme au balai attendant sa proie,
    • le gamin plaqué contre le mur,
    • le couple qui profite du tohu-bohu pour s'embrasser.

pendants d’histoire après l’Age d’Or Les pendants d’histoire : après l’Age d’Or

En 1813, pour remplacer le tableau de Bird, le prince demanda un nouveau pendant à Wilkie qui, submergé par les commandes, ne le livra qu'en 1818. Le titre fait allusion à la coutume écossaise de donner un penny par invité, pour contribuer aux frais du mariage et à l'installation du jeune ménage.

Le marié incite la mariée à rentrer dans la danse, tandis qu'une fille se penche pour rajuster son soulier. Derrière eux , un second trio leur fait écho : un jeune homme remet son gant d'un air entendu en proposant de danser à une fille dubitative , tandis que son amie assise la pousse à y aller. Entre les deux trios de jeunes gens, une vieille femme s'intéresse surtout à la boisson.

Ce nouveau pendant insiste sur la cohésion et la gaité naturelle d'une communauté de gens simples, toujours prêts à pousser les chaises pour se réjouir tous ensemble.
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Ces tableaux sont inspirés de la comédie pastorale écossaise de Allan Ramsay, The gentle shepherd (1725). La composition est très simple : dans chacun, deux filles au premier plan à gauche, un homme et un chien en arrière-plan à droite. Ces pendants en parallèle, et non en miroir, sont fréquents chez Wilkie, et laissent toute liberté pour l'accrochage.

Dans le premier tableau, en extérieur, Roger joue de la flûte pour Jenny. On a de la peine aujourd'hui à comprendre l'émotion intense qu'a pu produire cette oeuvre chez les contemporains en proie à la scottishmania :

" Je n'y ai jeté qu'un coup d'oeil ; mais j'ai vu la nature si joliment représentée, qu'en dépit de tout, , les larmes jaillirent de mes yeux, et les impressions qu'elle me fit sont aussi puissantes maintenant qu'alors. [...] Jamais rien de ce genre ne m'a fait une telle impression. [3]

Dans le s econd tableau, en intérieur, Glaud, son chien entre les jambe, regarde ses filles qui font la toilette .

" Tandis que Peggy lace son corsage,
Avec un noeud bleu Jenny attache sa chevelure.
Glaud près du feu du matin jette un oeil
Le soleil levant brille à travers la fumée
La pipe en bouche, les chéries le réjouissent,
Et de temps en temps il ne peut s'empêcher
une plaisanterie.' "
" While Peggy laces up her bosom fair,
With a blew snood Jenny binds up her hair;
Glaud by his morning ingle takes a beek,
The rising sun shines motty thro' the reek,
A pipe his mouth; the lasses please his een,
And now and than his joke maun interveen.' "
The Gentle Shepherd, Act V, Scene II

Ainsi, sous le rustique béret écossais, la pipe de l'amour paternel fait écho au pipeau de l'amour pastoral.
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Encore un pendant en parallèle : deux escaliers, en extérieur et en intérieur, montent de droite à gauche vers une image sainte.

Dans le premier tableau, deux femmes s'agenouillent devant la Madonne, but de leur pélerinage. Des pifferari lui rendent hommage avec leur musique lancinante que Wilkie avait pu comparer, les entendant jouer à Rome pour Noël, avec les cornemuses écossaises.

Dans le second tableau, deux autres femmes pèlerin, avec leur coiffe plate caractéristique, se retrouvent maintenant assises en position dominante, tandis qu'une jeune fille noble s'agenouille pour leur laver les pieds, une autre debout tenant la serviette. La scène est censée se passer dans l'église de la Sainte Trinité des Pèlerins, à Rome, la fille agenouillée serait la princesse Doria. Deux des femmes essuient leur visage en sueur, preuve d'un chaleur qui les accable même dans l'église.

Ce pendant est typique du renouvellement radical de Wilkie tant pour le style - qui rompt complètement avec le fini à la hollandaise, que pour le sujet - qui abandonne le folklore écossais pour l' exotisme méditerranéen, assaisonné de piment catholique.
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Ces deux pendants rembranesques sont inspirés par un poème de Robert Burns, Address to the Haggis (Hommage à la panse de brebis farcie) [4]. La composition est toujours en parallèle : à gauche la cheminée, à droite la table familiale où l'on dit le Bénédicité à midi, et où l'on lit les Ecritures le samedi soir.

" Le thème est celui des " cotters ", paysans auxquels le propriétaire fournissait un cottage en échange de travail, plutôt que d'un loyer. Ce système avait disparu dans les années 1820. avec la réforme agraire. Il était lié à la tradition du culte à la maison, qui disparaissait tout aussi rapidement. En 1836, l'Église d'Écosse avait distribué à tous ses ministres une lettre pastorale les invitant à encourager parmi leurs paroissiens cette pratique mourante. Au cœur du presbytérianisme se trouvait l'aspiration de laisser la gouvernance de l'Eglise au soin des chefs de famille , plutôt qu'aux propriétaires fonciers locaux, comme c'était, grossièrement parlant, le cas dans la pratique anglicane. Ces tableaux , comme d'autres de Wilkie, mettent en valeur la vertu domestique comme une caractéristique particulière et spéciale des Ecossais. " [5]

L'atelier de Watteau

" Watteau apparaît au centre, entouré d'admirateurs et d'oeuvres que Turner connaissait, dont " Les Plaisirs du Bal " (la grande peinture à gauche, maintenant à Dulwich College Gallery) et La Lorgneuse ('The Flirt' ) qui appartenait à son ami, le poète Samuel Rogers. " Notice du site de la Tate Gallery.

La visite à Lord Percy

" La peinture montre l'un des ancêtres d'Egremont (le patron de Turner), Henry Percy (assis) et ses filles Lucy (à gauche) et Dorothy (à droite). Elles avaient obtenu sa libération de la Tour de Londres, où il était emprisonné, sous le soupçon d'être impliqué dans la Conspiration des Poudres. L'histoire est rappelée par les peintures sur le mur: une vue de la tour et un grand tableau de l'Ange libérant saint Pierre de prison ". Notice du site de la Tate Gallery.

La logique du pendant

Un personnage principal, masculin, occupe la centre de chaque composition : Watteau debout contre un fauteuil et regardant vers la droite fait écho à Henry Percy assis regardant vers la gauche.

Le décor est conforme aux règles empiriques des Pendants architecturaux :

  • deux murs-frontons ferment les bords externes : ici, ils servent à exposer des tableaux dans le tableau ;
  • une forme de continuité existe entre les bords internes : ici , elle est assurée par les couples assis près de la fenêtre et les femmes debout près de la porte ;
  • une source centrale de lumière éclaire les deux panneaux.

Les " tableaux dans le tableau " rendent hommage aux maîtres que Turner avait ou admiré chez ses amis ou chez son patron : Watteau, représentant la peinture du XVIIIème siècle et Van Dyck celle du XVIIème. Le pendant est également un hommage à la couleur blanche et à la couleur rouge.

Turner avait accompagné le pendant de gauche d'un texte du théoricien de l'Art Charles-Alphonse du Fresnoy, édictant la " règle " suivante :

" Le Blanc tout pur avance ou recule
indifféremment : il s'approche avec du Noir,et s'éloigne sans lui. Mais pour le Noir tout pur,
il n'y a rien qui s'approche davantage. "
L'art de peinture de Charles-Alphonse
Du Fresnoy,traduit en françois par Roger de Piles, 1668
" White, when it shines with unstain'd lustre clear,
May bear an object back or bring it near,
Aided by black it to the front aspires,
That aid withdrawn it distantly retires ;
But Black unmixt, of darkest midnight hue,
Still calls each object nearer to the view. "
The art of painting of CharlesAlphonse Du Fresnoy,traduction en vers anglais
par John Dryden, 1783
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La versification anglaise délaye le texte original latin, tandis que la traduction française le rend presque hermétique à force de concision.

Sans doute Turner veut-il nous faire percevoir que la toile blanche, à cause de la silhouette noire à côté, nous apparaît plus proche que le drap blanc, qui pourtant est situé au premier plan.

Seul le titre du premier panneau fait référence à la " règle de Du Fresnoy " : cependant le second panneau pourrait bien illustrer le passage qui le suit immédiatement dans le texte :

Les pendants d’histoire : après l’Age d’Or
" La lumière altérée de quelque couleur ne manque
point de la communiquer aux Corps qu'elle frappe,
aussi bien que l'air par lequel elle passe. "
" Whate'er we spy thro' color'd light or air,
A stain congenial on their surface bear,
While neihb'ring forms by joint reflection give,
And mutual take the dyes that they receive. "

C'est ainsi que la l umière filtrée par le tissu du rideau teint de rouge tout ce qui l'environne.
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La Guerre

" Le tableau ... montre Napoléon en exil sur l'île de Sainte-Hélène. Il a été peint l'année du retour des cendres en France. L'image ne diabolise ni n'héroïcise le personnage, mais suggère la futilité des conflits. La sihouette isolée, en uniforme , apparaît incongrue dans son environnement, tandis que la palette rouge rappelle le traumatisme de la bataille. Dans les vers attachés à la toile, Turner compare le coucher du soleil à une "mer de sang". " Notice du site de la Tate Gallery.

Ce commentaire consensuel rend bien peu compte des réactions indignées des contemporains et de l'incompréhension des critiques. Pour comprendre les intentions de Turner, il est indispensable de donner la totalité de ses vers, qui imaginent en ces termes le discours que tient Napoléon à la bernacle :

" Ah ! Ta coquille en forme de tente
Est comme le bivouac nocturne d'un soldat
Au milieu d'une mer de sang
- Mais tu peux rejoindre tes camarades. "
" Ah: Thy tent-formed shell is like
A soldier's nightly bivouac, alone
Amidst a sea of blood -
- But you can join your comrades "
Turner, Fallacies of Love

Donc Napoléon croit voir la tente d'un dernier soldat isolé dans la bataille, et dans sa générosité de vaincu, donne l'autorisation au coquillage de faire retraite vers ses camarades : injonction bien ridicule vu l'obstination naturelle de la bernacle à rester sur son coin de rocher.


Les pendants d’histoire : après l’Age d’Or
Et nous, que voyons nous ?
A droite des châteaux dans les nuages au dessus d'un rivage transformé en champ de bataille. Puis une sentinelle anglaise derrière l'Empereur perdu dans ses chimères - il la dédaigne, mais c'est bien la cruelle réalité. Puis un Napoléon perché sur son propre reflet comme sur des échasses [6]: manière de dire que sa hauteur et sa gloire sont aussi fallacieuses qu'un reflet dans une flaque. Enfin la bernacle, dont la forme triangulaire évoque pour le spectateur non pas une tente imaginaire, mais évidemment le bicorne qui vient compléter le reflet.

Ainsi, la flaque met en évidence un syllogisme spéculaire : si Napoléon est regardé par la sentinelle, et si la bernacle est regardée par Napoléon, alors Napoléon n'est qu'une grande bernacle, incrustée jusqu'à la mort sur son rocher.

La Paix

" La Paix montre la sépulture en mer de l'ami et rival de Turner, le peintre Sir David Wilkie, mort près de Gibraltar à son retour de Terre Sainte sur le vaisseau l'Oriental. " La palette froide et les noirs saturés créent un contraste frappant avec son pendant, Guerre, et traduisent le calme et la dignité de la mort de Wilkie, comparée à la mort en disgrâce de Napoléon. " Notice du site de la Tate Gallery.

Là encore, les vers d'accompagnement ajoutent à la compréhension :

" La torche de minuit luisait sur le côté du steamer
Et la course du mérite fut stoppée sur le bas-côté. "
" The midnight torch gleam'd o'er the steamer's side
And Merit's corse was yielded to the side. "


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La mise à la mer eut lieu à 20h30 [7], mais Turner la place symboliquement à minuit, ce qui autorise ce spectaculaire effet de clair-obscur : dans la lueur puissante de la torche de l'autre vaisseau se découpe en ombre chinoise, derrière la roue à aube du steamer, la plateforme d'où sans doute le cadavre a été jeté.

La logique du pendant

Au delà du contraste jour/nuit et du motif turnérien du ciel mélangé à la mer, ce qui unit en profondeur les deux tableaux est le thème de la mort au loin : tandis que la dépouille de Napoléon a été rapatriée en grande pompe, celle de Wilkie a été escamoté à la sauvette.

L'ironie acide de La Guerre venge cette injustice : tandis que les empires terrestres finissent dans la solitude, sur une île aussi infime qu'une coquille, c'est l'immensité de la mer qui accueille les peintres de mérite, dans la fraternité de deux vaisseaux anglais : ce que glorifie la sobriété austère de La Paix.

Les pendants d’histoire : après l’Age d’OrLes pendants d’histoire : après l’Age d’Or

Bayard, qui connait bien son Fragonard , ressuscite avec bonheur l' ambiance des fêtes galantes, de part et d'autre d'un grand escalier.

A gauche, un couple assis sur l'herbe est invité par deux filles à se lever pour rejoindre la farandole ; à droite une femme seule accoudée à la balustrade est invitée par deux buveurs à descendre les rejoindre à leur table.

Les pendants d’histoire : après l’Age d’Or

Ce pendant inventif et plein de mouvement porte donc un message simple - dansons, buvons, fraternisons ! La soi-disant fête galante est plutôt un bal républicain en costumes.
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Nous nous référons ici à l'interprétation donnée dans le dossier pédagogique qui accompagne l'exposition de Mons (24/09/2016 au 29/01/2017) [8]

Les pendants d’histoire : après l’Age d’Or Grünewald, 1512-16, Musée Unterlinden, Colmar

Garouste réinterprète ici, à gauche de son diptyque, le panneau de l' Annonciation du retable d'Issemheim :

Le décor

On retrouve " le dallage polychrome du sol, les culs-de-bouteille des verrières, les remplages flamboyants des baies, les colonnettes et les moulures des arcs ogifs. Dans le dallage du sol de la chapelle, Gérard Garouste a inscrit des motifs géométriques gris-bleu dont plusieurs présentent la forme d'une croix chrétienne. L'intention didactique de l'artiste français apparaît ici en toute clarté : le spectateur doit comprendre que l'espace dans lequel l'artiste allemand a installé la figure de Marie représente, dans l'Isaïe d'Issenheim, le monde du christianisme. "[9]

Isaïe

" Chez Gérard Garouste, le prophète Isaïe retrouve un statut de personne, là où Grünewald le réduit au simple stéréotype du prophète juif enturbanné, traité telle une statue au format réduit par opposition à Marie, figure monumentale aux couleurs de la vie. Tandis que Grünewald a eu l'idée d'associer la statue du prophète à une branche en pierre, l'artiste français a souhaité intégrer ce motif de la branche à la figure du prophète, opérant une fusion de l'humain et du végétal. Des mains et des pieds nus d'Isaïe partent des racines qui constituent à l'évidence, une référence imagée au thème des racines juives de la civilisation chrétienne. " [8]

Garouste l'archange

La vue plongeante permet, tout en respectant l'architecture de la chapelle, d'escamoter le personnage de Marie, dont seul le livre est resté au sol. A la place de l'archange Gabriel, un Garouste aux ailes tricolores se trouve bâillonné et enserré dans une camisole de force, souvenir de ses séjours dans des hôpitaux psychiatriques.

" Le contraste entre le livre ouvert d'Isaïe, couvert de signes indéchiffrables, et celui de Marie, où l'on aperçoit un texte calligraphié en belles lettres gothiques, a valeur de métaphore. Grünewald suggère que la parole d'Isaïe ne se révèle véritablement qu'en latin, la langue du clergé et des lettrés de son temps. Chez Gérard Garouste, le livre des Juifs présente les mêmes dimensions que celui des chrétiens. Le texte hébreu du livre ouvert reste toutefois obscur. Garouste, bien qu'il ait appris l'hébreu, a curieusement opté ici pour des signes de fantaisie. " [8]

Sans doute pour ajouter à l' impossibilité de parler et celle d'atteindre le livre, l' impossibilité de le lire.

Le panneau de droite

Toujours en vue plongeante, mais en extérieur cette fois, il montre la chute de l'archange qui a perdu ses ailes et retombe dans le monde des crises et de la médecine.

La logique

" Il est tentant de considérer les deux toiles non pas comme un diptyque chrétien, à parcourir de la gauche vers la droite, mais comme une sorte de diptyque juif, qui se lirait de droite à gauche. La toile représentant le peintre et son médecin constituerait le point de départ du parcours narratif. La découverte par l'artiste français des racines juives, telle qu'abordées dans le tableau de gauche, en serait l'aboutissement. Son travail critique mené sur ses préconceptions chrétiennes l'a amené vers la culture juive, voie de guérison pour l'artiste alors interné. " [8]

[3] " I got only one short look of it; but I saw nature so beautifully depicted, that in spite of all I could do the tears burst from my eyes, and the impressions made by it is as powerful at this moment as it was then. [...] There was never anything of the kind made such an impression on me25. " Hogg, The Art-Union, mai 1839, no 4, p. 74.


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