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Desorientale

Publié le 12 février 2017 par Lorraine De Chezlo
DESORIENTALEde Negar Djavadi
Roman - 350 pages
Editions Liana Levi - août 2016
Prix du Style - 2016
Kimiâ, devenue Kim en France, patiente dans la salle d'attente du service PMA de l'hôpital Cochin, seule avec un rouleau de sperme "nettoyé" sur ses genoux. L'attente est longue, les pensées s'envolent vers le passé, vers cette histoire familiale, iranienne, personnelle qui sera peut-être à transmettre à l'enfant à venir. Kimiâ est issue d'une grande famille de la bourgeoisie iranienne. Elle a un ancêtre seigneur féodal, deux grandes sœurs, sept oncles paternels et des parents qui sont opposants politiques, d'abord au shah d'Iran puis à Khomeiny. Les évènements tragiques vont contraindre la famille à fuir le pays et quand Kimiâ arrive en France en 1981, c'est le début d'une autre naissance, une désorientation au vu de sa mère, les nuits passées dans le Paris nocturne, des squats punks, de l'alcool et la drogue. Puis les errances et sa découverte de sa sexualité pour s'accepter lesbienne.
Désorientale. Rien que le titre, si bien choisi, si seyant, si intelligent, met l'eau à la bouche. Et l'appétit est certain dès que les premières lignes du roman sont avalées. L'ambition de retracer l'Histoire de l'Iran du XXe siècle, dans laquelle la France est présente parce que les parents de Kimiâ sont francophiles mais aussi parce que les cultures persanes et françaises ont depuis longtemps des ponts, est vraiment réussie. Parfois certes un peu long dans l'évocation des quatre générations antérieures, le récit saute souvent d'évocation en souvenir, et atterrit de temps à autre dans cette salle d'attente, redonnant tout son souffle au récit, entretenant toujours habilement ce suspense. Extrait :"Je suis devenue, comme sans doute tous ceux qui ont quitté leur pays, une autre. Un être qui s'est traduit dans d'autres codes culturels. D'abord pour survivre, puis pour dépasser la survie et se forger un avenir. Et comme il est généralement admis que quelque chose se perd dans la traduction, il n'est pas surprenant que nous ayons désappris, du moins partiellement, ce que nous étions, pour faire place à ce que nous sommes devenus."  De nombreuses parenthèses, de nombreuses digressions interviennent dans le récit de Kimiâ, qui conte mais qui interpelle son assistance, qui interprète et retranscrit ses souvenirs au fur et à mesure. Le texte est brillant, les mots sont choisis, les descriptions sont implacables lorsqu'elles décrivent l'exil, la peur, la place d'un enfant auprès d'un père intellectuel tourné vers la politique, l'absence de communication des sentiments douloureux, l'incapacité du père Darius d'intégrer la vie de ses filles, et la lente destruction des relations familiales une fois l'émigration accomplie, et alors qu'ils deviennent libres. Il n'est pas question d'intégration, Kimiâ étant déjà été élevée dès toujours dans la culture française, sans voile, sans obscurantisme. Extrait :"Raconter, conter, fabuler, mentir dans une société où tout est embûche et corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de beurre peut virer au cauchemar, c'est rester vivant. C'est déjouer la peur, prendre la consolation où elle se trouve, dans la rencontre, la reconnaissance, dans le frottement de son existence contre celle de l'autre. C'est aussi l'amadouer, le désarmer, l'empêcher de nuire. Tandis que le silence, eh bien, c'est fermer les yeux, se coucher dans sa tomber et fermer le couvercle."  Une fiction romanesque foisonnante, riche, qui entête et éblouit, qui révolte et force l'admiration. Rencontre avec l'écrivaine à la librairie de la Colline aux livresLes avis de la rédaction - OnLaLu

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