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Karl Marx et les luttes politiques (1), par Roger Garaudy

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit


Karl Marx et les luttes politiques (1), par Roger Garaudy
« Le but final de mon travail écrivait Marx dans la préface du Capital c'est de découvrir la loi économique du développement de la société contemporaine. » De cette loi découle le passage nécessaire du capitalisme au socialisme, ce que Marx appelait, dans « Le Capital », l'expropriation des expropriateurs. Mais Marx n'a jamais confondu nécessité et fatalité. L'action de l'homme est l'un des éléments par lesquels s'accomplit là nécessité. Marx définit le mouvement ouvrier : " la participation consciente au processus historique qui bouleverse la société."
DE L'UTOPIE A LA LUTTE DE CLASSE Le concept fondamental de la politique marxiste comme de la philosophie et de l’ économie marxistes c'est le concept de classe. Les analyses du Capital ont permis de donner à ce concept un fondement scientifique.
Conformément à l'orientation générale de l'économie politique marxiste pour laquelle l'essence de la réalité économique doit être cherchée au niveau de la production, les classes sociales se définissent par le rôle joué dans la production. De ce point de vue le prolétariat, par exemple, se définit comme la classe : 1. ne possédant aucun moyen de production ; 2. produisant, par la vente de sa force de travail, de la plus-value ; 3. ayant une conscience plus ou moins claire de la place qu'elle occupe dans la société capitaliste et de sa mission historique. Dans le Manifeste communiste Marx donne des communistes une définition qui fixe en même temps la tâche fondamentale du mouvement : « les communistes luttent pour les objectifs immédiats et les intérêts de la classe ouvrière et ils défendent en même temps l'avenir du mouvement. » Avant Marx le concept de classe avait été élaboré notamment par les historiens français de la Restauration et les économistes anglais et la notion de prolétariat avait été avancée par les utopistes ; mais le prolétariat était défini beaucoup plus par ses misères et ses souffrances que par son combat et ses fins dernières. Déjà sous une forme encore philosophique Marx, dans sa Contribution à la philosophie du Droit de Hegel, avait caractérisé le prolétariat comme une force historique autonome exerçant en histoire la fonction hégélienne de la négativité. Dans Le Capital la définition du prolétariat deviendra objective et scientifique et, avec elle, celle de la bourgeoisie
capitaliste, définie non par sa richesse ou sa conception
du monde ou tout autre critère se situant en économie au niveau de la répartition, ou même au niveau psychologique ou moral, mais par la place qu'elle occupe dans la production, comme propriétaire des moyens de production et comme prélevant la plus-value sur les travailleurs. Le Capital insiste plus particulièrement sur ces deux classes dont le rôle est déterminant dans le développement du système capitaliste. Mais Marx n'en néglige pas pour autant les autres classes sociales. Dans le troisième et quatrième livre du Capital, il analyse non seulement les structures et le développement de la classe des propriétaires fonciers bénéficiaires de la rente et tes formes particulières d'exploitation agraire, mais aussi tes classes moyennes et tes distinctions fondées sur les critères objectifs entre productifs et improductifs. Marx souligne en particulier les contradictions inhérentes à la nature même des classes moyennes : elles « combattent la bourgeoisie parce qu'elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l'envers la roue de l'histoire. Si elles sont révolutionnaires c'est en considération de leur passage imminent an prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels, elles abandonnent alors leur propre point de vue, pour se placer à celui du prolétariat. La richesse et la complexité de la conception marxiste
des classes apparaît avec évidence dans les travaux
historiques de Marx, dans ses articles sur Les luttes de classe en France, dans son Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte, modèle d'analyse historique des classes et de leurs rapports, et dans ses études sur la Commune de Paris. La tâche essentielle que s'est assignée Marx sur le plan de la politique théorique, c'est de déterminer avec précision, en fonction de critères objectifs, la mission historique du prolétariat : « Il ne s'agit pas, écrivait Marx, de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier se propose momentanément comme but ; il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit historiquement faire conformément à son être. » De cette mission le prolétariat ne peut prendre conscience au seul niveau de ses luttes économiques. Il n'y parvient que par une prise de conscience politique et par l'accès à une conscience théorique, scientifique, du devenir total de l'histoire. Dans Misère de la Philosophie Marx montre quels éléments objectifs rendent possible le passage de la lutte économique à la lutte politique. « La grande industrie rassemble en un seul point une masse de gens qui s'ignoraient mutuellement. La concurrence les divise du point de vue de leurs intérêts. Mais la défense du salaire, cet intérêt qui leur est commun par rapport au patron, les unit en une seule idée commune de résistance, de coalition... Les coalitions, au début, sont isolées, mais elles rassemblent des groupes toujours plus importants et la défense par les travailleurs de leur union contre un capital qui est toujours Un en face de lui, devient pour eux beaucoup plus nécessaire que la défense du salaire... Dans cette lutte — véritable guerre civile — se rassemblent et se développent tous les éléments d'une bataille prochaine. Parvenue à ce point la coalition prend un caractère politique.» La prise de conscience théorique indispensable pour que le prolétariat, de classe « en soi » devienne classe « pour soi », est le résultat d'une dure bataille contre les idées dominantes auxquelles spontanément sont soumises les masses et qui sont les idées de la classe dominante. Cette prise de conscience exige une lutte permanente contre l'utopie. C'est par là que Marx commença sa lutte politique mais, en 1877 encore, il mène ce combat lorsque « en Allemagne un esprit « pourri » a prévalu dans notre parti... avec toute une bande d'étudiants sans maturité et de docteurs trop savants qui veulent donner au socialisme une tournure « idéale plus haute », c'est-à-dire remplacer la base matérialiste (qui exige une étude sérieuse et objective quand on veut opérer sur elle) par la mythologie moderne avec ses déesses : Justice, Liberté, Égalité et Fraternité. » Le développement même de la pensée marxiste qui commence par la rupture avec l'utopie, vérifie la thèse marxiste selon laquelle « l'existence d'idées révolutionnaires à une époque déterminée présuppose déjà l'existence d'une classe révolutionnaire. » Le chartisme anglais, les insurrections ouvrières des canuts lyonnais en France et des tisserands silésiens en Allemagne, étaient des indices de l’existence d'une classe ouvrière devenue une force historique autonome. Le mérite scientifique de Marx et de sa conception de l'histoire est d'avoir pris conscience que ces mouvements n'étaient pas fortuits mais qu'il s'agissait de formes plus ou moins développées d'une même lutte historiquement nécessaire du prolétariat contre la classe dominante. Dès lors le communisme ne pouvait plus être une utopie, la création imaginaire ou sentimentale d'un idéal de société parfaite, mais une prise de conscience d'un mouvement réel, de la nature, des conditions et des fins dernières de la lutte effectivement menée par la classe ouvrière. L’Idéologie allemande donnait déjà un fondement scientifique au Communisme. Ce n'était plus seulement une doctrine mais un mouvement. Il ne s'agissait plus de partir d'aspirations morales ni d'une spéculation hégélienne, ni d'un humanisme feuerbachien, mais d'une analyse objective et scientifique des lois du développement de l'histoire. Cette conception nouvelle se heurtait aux conceptions anciennes du communisme, utopiques et conspiratives. Après l'échec du complot blanquiste de 1839 à Paris, la Ligue, des Justes avait été dispersée. Une opposition se dessina entre les éléments réfugiés en Suisse qui, avec Weitling, professaient une conception utopiste et conspirative, et les éléments réfugiés à Londres qui, sous l'influence du mouvement chartiste, luttaient contre cette orientation. Marx vit dans cette opposition le germe d'une rupture entre le communisme utopique et te communisme scientifique. Pour aider à la clarification idéologique, Marx, au printemps de 1846, se mit à créer des comités de correspondance. Comme l'expliquait Marx dans sa lettre à Proudhon du 5 mai 1846 « le but principal de notre correspondance sera de mettre les socialistes allemands en rapport avec les socialistes français et anglais. » En se liant à des mouvements réels, Marx entendait en finir avec l'utopie. Il s'agissait d'utiliser la correspondance pour soumettre à une critique impitoyable, au moyen de pamphlets imprimés ou lithographies, le mélange de socialisme ou de communisme franco-anglais et de philosophie allemande qui constituait alors la doctrine secrète de la Ligue, pour le remplacer par une vue scientifique de la structure économique de la société bourgeoise, seul fondement théorique solide ; enfin pour exposer, sous une forme populaire, qu'il ne s'agissait nullement de la réalisation d'un système utopique quelconque, mais de la participation consciente au processus historique de révolution sociale qui s'accomplissait. Marx au début de 1846, mena une polémique très vive contre Weitling, contre ce qu'il appelait le communisme des artisans et le communisme philosophique. Weitling avait le mérite d'être adversaire du réformisme:
selon lui l'émancipation de la classe ouvrière ne
pouvait être réalisée par des réformes obtenues en accord avec la bourgeoisie, mais par la lutte de la classe ouvrière et par une révolution sociale, dirigée contre la bourgeoisie, révolution qui détruirait la domination de l'argent et établirait, avec la communauté des biens, l'égalité et la fraternité entre les hommes. Mais cette révolte et cet idéal étaient fondés non sur une analyse scientifique du développement historique réel, mais sur des exigences morales et finalement, dans son livre L'Evangile des pauvres pécheurs (1843) Weitling définissait
le communisme comme la réalisation du christianisme
primitif.
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Karl Marx. Conclusion du livre
pages 253 à 259
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