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Des éléphants dans le jardin, de Meral Kureyshi

Publié le 23 février 2017 par Francisrichard @francisrichard
Des éléphants dans le jardin, de Meral Kureyshi

On avait des éléphants dans le jardin. Le plus petit passait sa tête par la fenêtre de ma chambre, il voulait que je lui donne des noix.

Que peut raconter d'autre la narratrice enfant au retour de ses vacances à ses petites camarades? Elle n'a en effet rien de passionnant à raconter. Alors elle invente des histoires, comme elle le fera plus tard à son moi adulte.

La narratrice est originaire du Kosovo. Elle vient de Prizren, qu'elle a quitté en 1993 avec ses parents, Baba et Anne, et son frère, qui avait huit ans à ce moment-là, alors qu'elle n'en avait elle-même que dix.

Ce sont des requérants d'asile dont la langue maternelle n'est même pas l'albanais ni le serbo-croate: ils appartiennent en effet à la minorité turque de la Yougoslavie de l'époque... Et leur procédure d'asile va durer treize ans:

Treize ans sans quitter la Suisse.

Treize ans sans avoir de travail légal.

Treize ans avec la peur d'être expulsés.

Baba est mort, à quarante-six ans. Il a tenu à être enseveli dans sa terre natale, à Prizren. A la suite de son enterrement, les souvenirs de la narratrice surgissent en elle, sans ordre chronologique: elle les raconte comme ils viennent.

La narratrice parle de ses parents, de son frère et de sa soeur (qui a dix ans de moins qu'elle), de ses grands-parents, Babaanne et Dede, et de son oncle, Aga, le frère de Baba, restés au pays; c'est-à-dire de sa famille, qui est importante pour elle.

Comme elle est de confession musulmane, l'islam est bien sûr présent dans ces souvenirs qui couvrent une période de quinze ou vingt ans. Après l'ensevelissement de son père à Prizren, elle écrit, tout au début de son récit:

Depuis un mois, chaque vendredi matin, je recouvre mes cheveux d'un foulard blanc et je récite Ya-Sin, la prière des morts, pour toi.

L'islam dont il s'agit est surtout, pour elle, convenances et rites à respecter. Quand elle évoque l'oeil bleu, censé les protéger, qui orne les maisons, elle écrit: la superstition est interdite par l'islam, alors on l'appelle tradition.

La narratrice n'aime pas son prénom et le lecteur ne saura pas quel il est. En tout cas, il sait qu'elle aurait aimé se prénommer Sarah, comme sa meilleure amie, qu'elle a perdue de vue il y a vingt ans et qu'elle croisera un jour, sans lendemain, rue du Marché à Berne.

La narratrice ne raconte pas seulement des faits vrais (ou faux) qui font une existence, elle se confie aussi:

Il ne m'est jamais arrivé de ne pas être amoureuse. Le garçon qui le premier m'avait prêté son crayon, celui qui m'avait demandé comment je m'appelais, celui qui avait partagé son petit pain avec moi, celui dont toutes les filles étaient amoureuses. Etc...

La narratrice fait enfin cet aveu déchirant de la part d'une personne dont les racines ont été transplantées malgré elle dans une autre terre:

Je n'aime pas la langue allemande. L'allemand est ma langue maternelle. Ma mère ne parle pas l'allemand.

En délaissant ma langue d'enfant, je me suis délaissée moi-même.

Ma langue maternelle, je me la suis inculquée moi-même quand j'avais dix ans.

Francis Richard

Des éléphants dans le jardin, Meral Kureyshi, 184 pages (traduit de l'allemand par Benjamin Pécoud) Editions de l'Aire


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