Magazine Côté Femmes

En colonie de vacances, la si, la sol

Par Claude Le Goff

Des fois, j’ai besoin de m’ancrer dans le concret. Peut-être parce que j’étudie les mots, et qu’il n’y a rien de plus abstrait que le langage (Saussure atteste), mais je crave les petites choses, comme le contact humain ou des petites voix qui m’appellent Shakira.

Raphaëlle veut être une écrivaine, une poète et étudier la littérature, comme moi. Raphaëlle veut tomber amoureuse. Mais Raphaëlle a un trouble du spectre de l’autisme, doublé d’un trouble envahissant du développement, et à cause de ça, elle n’y pense même pas.

C’est l’histoire d’une petite fille a peur d’être un feu d’artifices qui ne va jamais éclater.*

J’ai rencontré Raphaëlle l’été dernier. Elle venait de changer de famille d’accueil pour la fois de trop, mais s’accrochait à la vie avec une résilience et un courage qui me sont inconnus.

Elle habitait chez A. depuis quelques temps et visitait le camp avec Melvin, son frère d’accueil, pour la première fois. Melvin venait tout juste d’être placé en urgence chez A.; un jeune de treize ans avec une déficience intellectuelle, un TSA et un trouble du langage. J’avais fini par décoder Melvin, et compris le lourd bagage qu’il trainait dans son sac-à-dos, blotti entre ses quelques effets personnels.

Ces enfants-là avaient besoin d’une routine autant qu’ils avaient besoin d’amour. Chaque soir, on s’assoyait sur les tables vertes comme les forêts autour de nous pour parler. À défaut de pouvoir leur donner une vie meilleure, je leur donnais du temps.

Pendant onze jours, j’ai appris à connaître ces enfants, et eux, à me connaître.

Mais le soleil ne brille pas toujours en camp de vacances. Des fois, il fait gris pis il pleut. Des fois, le soir, tu pleures tellement, que tu ne peux pas t’arrêter. Tu voudrais faire plus, mais tu te sens vraiment fourmi.

Ils sont un peu devenus les miens. Du haut de mes dix-neuf ans, j’étais prête à les adopter.

Sauf qu’ils repartent, et qu’adieu n’a jamais fait aussi mal.

Un jour, il fait froid et la neige a neigé, comme disait l’autre. Tu retournes au camp et ils sont là. Tu te sens fondre, même si les lacs où vous nagiez ont gelés. Tu les reconnais dès qu’ils entrent, parce que tu les connais comme si tu les avais fabriqués.

Tu ne les as pas porté, mais tu les supportes. Tu voudrais les monter encore plus haut que le belvédère. Tu voudrais les emmener ailleurs. Tu serais même prête à les ramener à la nage à travers le lac.

L’été dernier, je m’assoyais sur le quai sous une pluie de lucioles filantes et je leur souhaitais d’avoir plus. Plus d’amour, plus de réussites, plus de compréhension, surtout.

N’importe quoi pour les aider à remonter à la surface, à reprendre leur souffle dans leur vie à obstacles. Ils ont besoin de mon aide, de mon air. Ils ont besoin de mon souffle, et j’écris pour eux.

J’ai rencontré 1000 visages comme les leurs, et chaque fois, j’ai dû m’arracher à eux comme on arrache un band-aid. C’est pire qu’une peine d’amour, parce que cet amour-là est sans égal. Ces enfants-là aiment difficilement, fortement et indéfiniment.

Je me rappelle encore du bleu des yeux de Davick, un jeune fugueur de quatorze ans avec qui j’ai marché tous les soirs sur la base, soit pour le rattraper, soit pour l’écouter.

Comme disait un de mes campeurs, quand on était coincés en pédalo au milieu du lac; rentre à la maison.

Le camp est ma deuxième maison, et je n’ai pas fini d’y retourner.

*La belle métaphore vient de Raphaëlle



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