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Sara Grira : À propos de Nike et du hijab… et du féminisme orientaliste

Publié le 10 mars 2017 par Gonzo

Sara Grira : À propos de Nike et du hijab… et du féminisme orientaliste

Modeste contribution au combat des femmes pour la reconnaissance de leurs droits, je propose cette semaine une traduction d’un texte de Sarah Grira (سارة قريرة) récemment publié dans Al-Akhbar.

En feuilletant la masse d’articles qui, le 8 mars, font de la femme, de ses droits et du féminisme le sujet du jour (comme une sorte d’acte de contrition annnuel), mon attention a été attirée par une brève, publiée sur le site du Telegraph : la société Nike a l’intention de commercialiser un voile conforme à la mode sportive islamique, une annonce qui fait le bonheur des « sportives musulmanes » (et pas forcément celui des musulmanes voilées).

Comme je me considère comme une féministe et que je m’intéresse à tout ce qui peut contribuer à ce que les femmes jouissent de leurs droits, je me suis naturellement réjouie de voir que celles qui ont choisi de porter le hijab puissent enfin participer à des compétitions sportives professionnelles et modifier ainsi l’équation simpliste qui, pour beaucoup, hommes et femmes confondus, fait d’une voilée le synonyme d’une femme soumise au pouvoir d’un mâle, qu’il s’agisse d’un père, d’un frère ou d’un mari. En même temps, j’étais quelque peu étonnée, pour ne pas dire stupéfaite, par l’attitude positive, voire militante, de la société Nike qui, franchement, n’est pas une chose courante pour une marque qui fait fabriquer ses produits par les enfants des pays du Sud en échange d’une poignée de dollars, pour les revendre ensuite dix ou cent fois leur prix. À la recherche d’une réponse, j’ai regardé la vidéo promotionelle que Nike a tourné à cette occasion, avide de découvrir les premières images de ce combat féministe. Et voilà ce que j’ai trouvé : sur fond d’une musique de plus en plus exaltée, une voix de femme, avec l’accent du Golfe, évoque les multiples défis que doivent affronter les femmes – voilées ou non – quand elles choisissent de pratiquer le sport professionnel. De temps à autre, surgissent des images dignes de Lawrence d’Arabie : un cavalier bédouin dans le désert, une femme aux yeux lourdement fardés portant de lourds colliers en or, des terrasses de maisons qui m’ont rappelé des séquences de Homeland, le feuilleton tellement critiqué pour son racisme. Je me suis alors demandé si la majorité des sportives arabes, et celles qui sont voilées en particulier, venaient de ce genre d’endroit ou bien de villes modernes, comme dans la plupart des capitales arabes ? En fait, est-ce que ces sportives voilées ne vivent pas dans le monde arabe, au contraire de l’épéiste américaine Ibtihaj Muhammad ou de Halima Aden, le mannequin, voilé, qui a fait sensation lors du dernier défilé de Max Mara à Milan ?

Puisque j’évoque la mode et ses défilés (d’autant plus que c’est la semaine de la mode à Paris), certains se souviendront peut-être de la polémique suscitée il y a tout juste un an par les propos de Laurence Rossignol, ministre française de la Famille, des Enfants et des Droits des femmes. Évoquant ce qu’elle appelait « la mode islamique » que commençaient à adopter de grandes marques internationales, elle avait comparé les femmes qui portaient le hijab aux « nègres (sic) qui étaient pour l’esclavage », se conformant ainsi au discours féministe officiel sans s’arrêter aux multiples considérations économiques qui avaient poussé des marques aussi célèbres que Dolce & Gabbana à se lancer sur ce marché décrit, à tort, comme « religieux ».

Dans ce monde néo-libéral qui aspire à tout transformer toute valeur d’usage en valeur d’échange, ou encore, pour ne pas s’en tenir au seul vocabulaire marxiste, à transformer toute chose, matérielle ou non, en produit destiné à la vente et à l’achat, il convient peut-être d’abandonner des binarismes sommaires tels que « religieux/laïc », ou « moderne/réactionnaire », pour effectuer un sauf qualitatif qui nous permette d’aborder ce genre de phénomènes (ainsi que les banques islamiques ou encore le marché du halal), non pas du point de vue religieux ou féministe comme on le fait, mais dans une perspective économico-capitaliste. On comprendra alors que les grandes marques mondiales ne se préoccupent guère d’aller à l’encontre des principes adoptés dans les sociétés européennes pour peu que leurs profits soient assurés. Le destin du féminisme, comme tout combat mené par des forces de gauche, c’est de refuser toute forme de domination et d’exploitation, joliment « maquillée » ou non.


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