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Tout passe de vassili grossman

Publié le 15 mars 2017 par Popov

« Tout passe » de Vassili Grossman à Saint Denis

Quand il découvre le grand auteur russe Vassili Grossman, le metteur en scène Patrick Haggiag commence par la fin, c’est à dire son œuvre ultime presque testamentaire « Tout passe » brûlot implacable et dénonciation du communisme et du marxisme post Staline. « Tout passe » qui le fascine par son écriture dense. Le metteur en scène a d’abord comme une irrépressible envie de l’entendre. Etonnante genèse du projet : « Tout passe » n’est pas un monologue théâtral russe conçu comme tel comme les Méfaits du tabac ou le Journal d’un fou mais le récit d’une vie. Cette vie et ces mots le metteur en scène veut les prononcer « ne serait-ce que quelques phrases » les faire entendre à d’autres. Projet modeste en apparence, né de l’exaltation et de l’enthousiasme provoqué par l’œuvre. Haggiag entend même la voix de celui qui les prononcera ces mots, le comédien Jean Varela voix chaude et musicale, voix peu russe, méridionale. Une voix capable dans cet univers tragique de pouvoir proférer une illusoire espérance en l’homme. Car Grossman est un penseur tragique. Malgré la lâcheté des hommes, malgré les pires dénonciations, malgré l’idéologie quelque chose est sauvable en l’homme.

« Nous devrions nous sentir importants les uns pour les autres » affiche-t-il en exergue, de retour d’apocalypse…

Et ce choix scénographique et dramaturgique des auteurs est déterminant. Il y a dans le texte original des propos philosophiques (Vassili Grossman explicite sa position philosophique en regard du bien et du mal), historiques, des débats, une analyse impitoyable de la dictature, une dénonciation de l’idéologie digne d’Hanna Arendt mais surtout des rencontres avec des gens simples qui résonnent dans la dimension théâtrale comme jamais … Et c’est l’intérêt principal de ce travail. Le théâtre y trouve sa spécificité tant dans l’implication que dans l’outrage au public . Ainsi quand le narrateur Ivan Grigorievitch apostrophe les « Judas » potentiels, les délateurs, les traîtres du passé qu’il égrène en désignant les spectateurs. Jean Varela excelle dans l’interprétation de ce personnage brûlé par l’histoire, complexe en turpitudes et culpabilités qui a cru aux idéaux révolutionnaires avant de sombrer dans les pires dérélictions. Ainsi quand il se heurte avec violence au tableau noir, ou radote sa défense face aux juges. Ainsi quand il poursuit les fantômes du passé habilement distribués dans les recoins des décombres subtilement éclairés de l’espace de cette mémoire. Et la mise en scène astucieuse n’oublie pas la fragmentation des voix et des sons. Dans la salle il y a avait un public de lycéens. Confrontés à ce texte difficile on avait dû leur faire préambule quelque réflexion au programme sur les fascismes et les tentations idéologiques (ainsi du lieu aujourd’hui commun  volontiers proféré : toute volonté collective et idéologique de faire le bien ne peut que se pervertir et engendrer le mal ou encore le mal est toujours fait au nom du bien). Grace au théâtre ils ont sans doute compris beaucoup plus : dans quel état et quelles turpitudes l’homme peut-être plongé pendant les périodes sombres de l’histoire et sans doute une idée chère à l’écrivain qui oppose au mal une « bonté sans pensée » (hors du bien religieux et social).

En période éléctorale difficile ça peut aider.

Tout Passe de Vassili Grossman

Au théâtre Gérard Philippe de Saint Denis

Jusqu’au 19 Mars


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