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Stéphanie Hochet : « L’Animal et son biographe »

Publié le 15 mars 2017 par Savatier

Stéphanie Hochet : « L’Animal et son biographe »Avec son dernier roman, L’Animal et son biographe (Rivages, 192 pages, 18 €) qui sort aujourd’hui en librairie, Stéphanie Hochet propose un texte singulier qui s’ouvre sur un scénario tout à fait classique, mais bifurque progressivement vers un univers angoissant qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page. Ce n’est pas si fréquent dans la littérature actuelle. Les cinq premiers chapitres racontent l’histoire d’une jeune auteure invitée à un festival organisé en plein été dans le Lot. Celle-ci doit, en particulier, présenter ses ouvrages dans les campings de la région. L’épisode, cocasse, offre à Stéphanie Hochet de belles occasions de révéler, avec un humour teinté d’une ironie bienvenue, le regard que peut porter une romancière typiquement parisienne sur ces animations culturelles aussi estivales que provinciales qualifiées, dès la première page, de « littérature en tongs ».

Les personnages, du bibliothécaire responsable de la tournée au libraire local barbu et ancien soixante-huitard, en passant par un public, mi-distrait, mi-agressif, n’échappent pas à la plume acérée de l’auteure qui livre en outre une description plaisante des lieux inconnus dans lesquels son héroïne évolue pour rencontres, dédicaces et lectures, jusque dans « ce parangon de l’oxymore, le camping de luxe. » C’est aussi pour elle l’occasion de développer une courte, mais intéressante réflexion sur le métier d’écrivain.

Puis, peu à peu, l’atmosphère s’alourdit. La jeune femme se réveille dans une maison inconnue, totalement isolée, d’où tout contact avec l’extérieur se révèle impossible. Elle est bien entendu libre de ses mouvements, aucune clôture ne la retient ; tout semble cependant avoir été pensé pour qu’elle ne puisse pas s’échapper.

Finalement, elle rencontre le maire de la petite ville de Marnas, politicien mégalomane et inquiétant entourré d’une petite cour – « un gourou, un duce de province » -, promoteur d’un « musée des espèces » où voisinent animaux empaillée et… corps humains plastinés ! L’homme poursuit un rêve fou : faire revivre l’auroch, ce bovidé sauvage des fresques préhistoriques, disparu depuis des siècles, mais que les frères Heck tentèrent de recréer par croisements génétiques en Allemagne au début des années 1920. Certes, ces travaux devaient bien plus au romantisme allemand qu’au nazisme, puisqu’il furent achevés en 1934 ; pour autant, ils n’en posaient pas moins des problèmes éthiques et scientifiques.

Le maire, dont les expérimentations sont financées par une mystérieuse « Organisation » basée en Suisse, a fait renaître l’auroch qui vit dans une zone secrète de son territoire. Avant d’officialiser sa réintroduction, il propose à la jeune auteure d’écrire une biographie de l’animal mythique, car le mythe ne prend vraiment corps que s’il est soutenu par l’écrit. Contre toute attente, celle-ci accepte l’idée, s’y investit pleinement alors que de nombreux indices qui l’entourent devraient l’inviter à fuir, que la cause qu’on lui demande de servir lui est étrangère.

Derrière le physique puissant de l’édile manipulateur dont on devine les pulsions de pouvoir, se dissimule un nouveau Minotaure ; la jeune femme, prise dans le labyrinthe, piège qui lui avait été tendu à son insu depuis sa descente du train et qui se referme, participe elle-même à sa réclusion. Cèdera-t-elle à la servitude volontaire ? Se laissera-t-elle dévorer ? Aura-t-elle plutôt l’audace de Thésée ? Ces questions obsèdent le lecteur jusqu’au chapitre conclusif.

La force de ce roman tient sans doute à l’intrigue quasi-onirique, certainement au style, à la réflexion apportée sur la relation de l’homme et de l’animal, sous-tendue par le verset de la Genèse qui accorde arbitrairement au premier la domination sur le second, et à une forme de mise en abîme de l’écrivain. Mais cette force doit aussi grandement à la structure narrative qu’adopte Stéphanie Hochet qui dévoile ici un vrai travail littéraire. Car, si son héroïne parcourt le labyrinthe, le lecteur s’y trouve lui aussi enfermé, les chapitres, où réel et irréel s’entrechoquent, agissant comme autant de murs qui le dirigent vers une sortie inconnue, hypothétique, inquiétante.


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