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Kidi Bebey : Mon royaume pour une guitare

Par Gangoueus @lareus
Kidi Bebey : Mon royaume pour une guitareAuteure de livres de jeunesse, Kidi Bebey s’est lancée dans une très belle aventure littéraire : écrire un roman sur la famille Bebey et en particulier sur la figure du grand homme de culture, musicien, romancier, journaliste, haut fonctionnaire international que fut Francis Bebey. Un roman porté par une magnifique écriture sur laquelle j’aurais l’occasion de revenir. 
Pour plusieurs raisons, j’ai aimé ce roman. Et pour être très honnête, ces raisons ne sont pas forcément objectives. Mon histoire personnelle et familiale ressemble à celle de Madame Kidi, tel que son père Francis Bebey aimait l'appeler. De plus l’artiste camerounais fait partie de la discothèque familiale. Comme James Brown, Count Basie, Franco, Vivaldi, Jean-Michel Jarre, Tabu Ley et bien d'autres. « Le fils d’Agatha Moudio » est un morceau qui nous faisait gesticuler quand nous étions mômes, mes frères et moi. Allez savoir pourquoi. Peut être parce que c’est un des rares artistes africains en France dont nous comprenions les paroles au début des années 80. Mon père aimait Francis Bebey. Cette biographie romancée est donc le bienvenu. Et elle va s'avérer riche au travers de ce qu’elle révèle d’une époque coloniale, d’une famille africaine en France, l’accomplissement d’une destinée. 
1ère phase : Deux frères liés. 
Deux destinées différentes Au commencement, nous sommes au Cameroun. Le contexte est celui d’une famille douala, les Bebey. Le père Fritz est un pasteur protestant rigoriste. Une progéniture constituée d’une dizaine d’individus. Francis est un des derniers de cette grande fratrie. Dans le clan du pasteur Fritz, Francis encore gamin est déjà isolé, en quête d’un lien plus important que son frère aîné Marcel va combler suite à une fugue. Un lien fort connecte ces deux frères. Une quête perpétuelle, des rendez-vous manqués, des chassés-croisés et le désir de Francis d’honorer le pacte conclu avec son frère : donner le meilleur de soi, réussir comme son frère en France avec une bonne bourse. Marcel, un des premiers membres de l’élite camerounaise à se rapprocher des indépendantistes de l’UPC. Kidi Bebey rencontre avec beaucoup de délicatesse la tragédie longtemps tue au sein de ce frère aîné trop tôt disparu. Dans cette première phase, le lecteur ressent le poids qui s’est abattu sur les familles camerounaises qui détenaient en leur sein des militants indépendantistes. Francis, journaliste puis jeune fonctionnaire international va se tenir à distance. Cet épisode de la vie de Francis Bebey est une des clés de son non retour que Kidi Bebey tente de traiter dans son roman. Il y a aussi dans cette phase la rencontre des parents et le début de l’histoire familiale. 
2è phase: l'impossible retour et regard sur une enfance singulière en France 
Dans le fond, Kidi Bebey rend un vibrant hommage à son père et elle nous conte aussi la question de l’improbable retour de cet intellectuel africain, en définissant toutes les entraves familiales, socio-

Kidi Bebey : Mon royaume pour une guitare

Source L'oiseau indigo

politiques. Et par conséquent, elle souligne l’intégration de cette famille camerounaise en France au fil des décennies 50-60-70-80. Comme dans le roman de Landry Sossoumihen, c’est avant tout le portrait d’une famille appartenant à l’élite africaine en France, loin des figures répétés du clandestin, du docker, du sapeur smicard qui nourrit l’imaginaire et la littérature africaine produite en France. La construction de Madame Kidi comme l’appelle affectueusement son père est complexe. Construire un discours sur les vacances en France, sur la découverte du pays, faire face à la famille africaine tentaculaire, aux représentations du Noir dans l’inconscient de ces copines de classes, s’approprier Paris par des balades dans la Ford Taunus du père. Je me suis identifié à certaines descriptions pour plusieurs raisons, l’histoire de la famille Bebey ayant quelques points de similitude avec celle de mes parents. 
3è phase : Un choix radical 
Francis Bebey après plusieurs années de loyaux services au sein de l’UNESCO finit par démissionner pour se mettre à la chanson. Vu sous cet angle, cela fait un peu cliché. Mais c’est l’histoire vraie de Francis Bebey. L’histoire d’un accomplissement personnel après avoir pendant des années voulu satisfaire un pacte secret avec son frère aîné Marcel. C’est un choix complètement fou pour tout le monde sauf pour sa famille dont il est le grand timonier. Compositeur, interprète, producteur, c’est une bascule complète pour Francis Bebey et pour sa famille qui subissait le poids du culte obsessionnel de la performance et la frustration du père. Madame Kidi est aux premiers postes, adolescente, de la mue de son père. 
Ce roman est avant tout la déclaration d’amour d’une fille pour son père bien aimé. Ce sont des textes rares. Il peut manquer d'aspérité sur certains aspects. La plume délicate de Kidi Bebey est totalement au service de la fiction qu’elle propose. Le texte a une approche assez singulière pour un roman familial. Il y a ce que j’appelle des relations exclusives qui écrasent cette dimension familiale. Francis/Marcel. Francis et son épouse. Francis/Kidi. Le reste est secondaire. C’est donc son histoire et comme elle disait très bien lors d’une rencontre chez Présence Africaine, d’autres membres de la fratrie auraient un autre regard...
Kidi Bebey, Mon royaume pour une guitare
Editions Michel Lafon, Première parution en 2016.

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