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Janis Otsiemi nous guide dans les bas-fonds de Libreville

Par Samy20002000fr

Drogue, violence, jeux, vengeance… Le tableau du Gabon peint par Janis Otsiemi dans son dernier roman, Tu ne perds rien pour attendre, qui inaugure la nouvelle collection Sang Neuf de chez Plon, est bien peu reluisant. C’est surpris par cette sombre peinture et par ailleurs intrigués par la culture africaine que les lecteurs de Babelio sont venus rencontrer l’auteur, dans les locaux de son éditeur, le jeudi 16 mars dernier.

Flic à Libreville, Jean-Marc a perdu sa mère et sa sœur dans un accident dont le coupable n’a jamais été poursuivi. Jean-Marc est entré dans la police à cause de ce drame pour condamner à sa manière ce meurtrier. Mais, fatigué des magouilles de ses collègues de la PJ, il a demandé à être muté à la Sûreté urbaine de Libreville ; un service où il a le temps de préparer une vengeance qui le fait tenir au quotidien. En attendant le jour où il fondra sur son ennemi juré comme un prédateur, tel un Dexter à la mode gabonaise, il nettoie les rues de Libreville des voyous, violeurs, politiciens véreux et génocidaires rwandais qui y sont planqués…

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Entre la magie et le réel

Pour saisir la profondeur des romans de Janis Otsiemi, il faut garder en tête que la frontière entre le réel et le fantastique est bien plus floue en Afrique qu’en Europe : “La notion de mérite n’existe pas en tant que telle chez nous. Pour réussir dans la vie, mes compatriotes ont recours à des fétiches et des marabouts, pas directement au travail.” A ce cadre particulier s’ajoutent malheureusement d’importants soucis judiciaires, qui ont inspiré à l’écrivain son dernier roman : “ Si l’on  partage quelque chose en Afrique, c’est bien l’impunité. Notre société judiciaire est au service du pouvoir et pas à celui de la société civile. Mon héros est justement désabusé par cette justice et c’est la haine envers ce système qui le pousse à se venger.”

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Imaginer pour dénoncer

S’il a décidé de créer un “Dexter” africain, l’écrivain a bien l’intention de mettre le doigt sur les nombreux problèmes qui sévissent dans son pays : “Mes histoires sont en elles-mêmes relativement banales, mais elles sont souvent un prétexte pour dénoncer ce qui me dérange. Je parle notamment dans ce livre des casinos corses qui constituent selon moi un véritable fléau qui touche toute la société gabonaise.” Le jeu n’est pas le seul mal dont souffrent les habitants de la capitale gabonaise selon Janis Otsiemi, qui y vit encore aujourd’hui : “Aux côtés du jeu, la corruption fait également de nombreux ravages, sans parler de la drogue, dont les routes traversent notre capitale depuis que la lutte anti-terroriste menée au Sahel, les a déplacées. L’Afrique est un véritable polar à ciel ouvert.”

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Une langue d’adoption

Les romans de Janis Otsiemi constituent également à leur manière une réflexion autour de la langue française. En effet, l’écrivain entretient un rapport plutôt complexe avec notre langue, vue comme un héritage forcé datant de la colonisation : “La langue française n’est de base pas la mienne, elle ne peut pas traduire la réalité dans laquelle je vis. Le français traduit vos soucis et votre quotidien, mais il ne peut pas raconter toute mon histoire.” A cet héritage difficile s’ajoute au Gabon l’absence de langue nationale, qui rend le langage toujours plus complexe : “Chaque ethnie triture la langue pour se l’approprier. D’ailleurs, c’est une belle vengeance vis à vis du colonisateur que de transformer son langage alors qu’il était venu nous l’imposer ! ”

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Un polar gabonais

Lassé par la production, à ses yeux très monotone, des romans policiers, Janis Otsiemi a voulu proposer une série d’enquêtes dans un cadre nouveau : “J’en avais assez de retrouver Paris et New-York dans tous les polars que je lisais. Libreville, la capitale du Gabon où je vis, possède une vraie matière romanesque, car derrière les paysages de carte postale, se trouve une réalité bien plus sombre qu’il est important de ne pas cacher ; c’est là que se trouve ma vie. De plus, les écrivains africains ne se préoccupent pas de vraisemblance : pour plaire à un public étranger, ils mettent souvent en scène des médecins légistes, propres aux enquêtes américaines, alors que cette profession n’existe même pas chez nous.” Résidant dans l’un des plus grands bidonvilles de sa région, Janis Otsiemi a choisi d’écrire pour ses amis : “Les premières fois, mes amis trouvaient que j’écrivais comme un bourgeois, or, je voulais qu’ils se reconnaissent dans mes romans. C’est pour cela que je suis venu au polar et que j’ai choisi d’y mettre en scène mon quotidien.”

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Lutter pour sa liberté

Triste réalité, dire la vérité sur son pays n’est pas toujours une décision facile à prendre pour les écrivains. S’il ne s’est encore jamais senti directement en danger, Janis Otsiemi confie son inquiétude au sujet du devenir de sa liberté d’expression : “J’ai reçu des appels du président du Gabon qui me demandait de cesser de faire de la mauvaise publicité pour le pays. Je subis également une pression extérieure. Je joue au chat et à la souris avec le gouvernement et sais que je dois faire attention.” En revanche, Janis Otsiemi n’est pas prêt de céder à la pression ou à se cacher  : “Je n’use pas de pseudonyme car j’assume totalement mes choix ; c’est ma liberté dont il s’agit et je refuse catégoriquement d’y renoncer.”

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Apprentissage sur le terrain

Afin de rendre ses personnages crédibles, et notamment ses policiers, rien de mieux que d’aller les trouver directement où ils se trouvent. C’est en effet sur le terrain que Janis Otsiemi amasse la matière nécessaire pour écrire ses romans : “Tout commence souvent par une histoire inventée. Je vais voir la police en expliquant que j’ai perdu mon petit frère et que je souhaite aller voir dans la prison s’il s’y trouve. Une fois sur place, je peux récolter toutes les informations dont j’ai besoin, auprès des prisonniers comme des agents de sécurité.” Ce travail de terrain, Janis Otsiemi le soigne afin de gagner en réalisme : “Je veux que le Gabon de mes livres soit le vrai et que les habitants se reconnaissent dans mes écrits. Lorsque j’évoque un lieu dans mes romans, je commence toujours par m’y rendre afin de rester au plus proche de la vérité dans mes descriptions.”

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Autodidacte

Avec neuf soeurs, Janis Otsiemi s’est longtemps contenté de romans photographiques à l’eau de rose : “J’aimais bien ces romans, mais à 15 ans, j’ai découvert le poème Le Lac d’Alphonse de Lamartine et c’est alors que je me suis mis à dévorer tous les classiques.” Dans une région où l’accès à l’éducation demeure difficile à une grande partie de la population, Janis Otsiemi s’est formé en autodidacte à l’écriture : “J’ai arrêté l’école en classe de troisième. Pour apprendre à écrire, j’ai donc copié des pages et des pages de Balzac, pour en saisir le style et développer ensuite le mien.” Comme expliqué plus tôt, Janis Otsiemi ne fait pas partie de la classe privilégiée de Libreville et la littérature semble avoir joué un grand rôle dans son élévation sociale : “La littérature m’a sauvé. Je vivais dans un quartier violent et la plupart de mes amis de l’époque sont aujourd’hui en prison. Personnellement, la littérature m’a ouvert les yeux et m’a permis de ne pas foncer dans le mur.”

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Découvrez Tu ne perds rien pour attendre de Janis Otsiemi, publié chez Sang Neuf.


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