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Tu me vertiges, de Florence M.- Forsythe

Publié le 25 mars 2017 par Francisrichard @francisrichard
Tu me vertiges, de Florence M.- Forsythe

A présent, le spectacle commence. Maria aperçoit un homme à l'allure certaine qui prend place dans l'entrebâillement d'une porte-fenêtre. Il est de trois quarts dos. Il frappe les trois coups du brigadier, lit les indications scéniques de la pièce sans se retourner.

Cet homme dont le dos a suscité en Maria Casarès un petit frisson, c'est Albert Camus. En ce 19 mars 1944, où elle assiste à une représentation d'une pièce de Pablo Picasso, chez Louise et Michel Leiris, mise en scène par Camus, elle ne sait pas encore qu'ils s'aimeront, et qu'ils devront le faire dans le secret.

La pièce surréaliste du Catalan, qui est l'occasion d'une fiesta, dans le Paris occupé, a pour interprètes des célébrités: Jean Aubier, Jean-Paul Sartre, Louise Leiris, Zanie Campan-Aubier, Simone de Beauvoir, Michel Leiris, Dora Maar, Germaine Huguet, Raymond Queneau et Jacques-Laurent Bost.

Dans l'assistance Maria retrouvera Jean-Louis Barrault, qui jouait avec elle dans Les Enfants du paradis, elle fera la connaissance de Claude Simon, elle écoutera chanter Mouloudji, elle côtoiera Henri Michaux et Georges Bataille, bref elle évoluera dans un microcosme de gauche très parisien, typique de l'époque.

Quelque temps plus tard, Marcel Herrand, directeur du Théâtre des Mathurins proposera à Maria de lire une pièce du même Camus, Le Malentendu. Celui-ci d'ailleurs viendra lire son texte au théâtre d'une voix murmurante, basse et intériorisée et Maria entreprendra à partir de ce moment-là de le séduire parce qu'il lui plaît...

Il faut dire qu'il est bel homme: bouche sensuelle, yeux gris-verts brillants de malice, et des épaules frondeuses faites pour vous envelopper. Lui, de son côté, ne sera pas insensible à cette belle jeune femme quand il contemplera un jour de près le pourtour de ses lèvres, le décolleté de son cou, la couleur de sa peau...

A l'issue d'une autre fiesta, qui se déroule chez Charles Dullin cette fois, le 5 juin 1944, Maria et Albert finiront la nuit ensemble dans le studio qu'André Gide prête à ce dernier. C'est en prenant leur petit-déjeuner au Café de Montparnasse qu'ils apprendront le débarquement des Alliés sur les côtes normandes.

Commencent dès lors les amours entre l'écrivain et la comédienne. Mais ce seront des amours compliquées. Car Albert avouera d'abord à Maria qu'il est marié à Francine, puis, plus tard, quand cette dernière, de retour à Paris, après un long congé en Algérie, aura vécu un temps avec lui, qu'ils attendent un enfant.

Cette dernière nouvelle décide Maria à rompre, le 5 septembre 1945. Mais le hasard - ou la providence - fera qu'ils se croiseront dans la rue, le 6 juin 1948. Aussi renoueront-ils - en fait ils n'ont jamais cessé de s'aimer - mais sous conditions. Ils auront chacun leur vie, encore qu'Albert aura bien du mal à ne pas être possessif.

Or Maria n'appartient à personne, mais, dans le même temps, elle ne peut se passer de lui. Ils mettront ensemble en pratique la théorie de Camus sur l'amour double: celui-ci, qui ne croit pas en Dieu mais n'est pas athée pour autant, ne peut pas être réduit à ses théories sur l'absurde et sur la révolte, exprimées dans ses oeuvres...

Dans Tu me vertiges (apostrophe de Maria à Albert, à un moment donné), Florence M.- Forsythe réussit subtilement, dans le contexte de fin de guerre, puis d'après-guerre, à ressusciter et à faire aimer ce magnifique couple maudit, hors normes: Albert Camus, de gauche, mais anti-stalinien; Maria Casarès, femme libre, mais fière de sa lignée.

Francis Richard

Tu me vertiges, Florence M.- Forsythe, 416 pages Le Passeur Éditeur (en librairie le 30 mars 2017)


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