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(Note de lecture) Franck Doyen, "Collines, ratures", par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé

DoyenCollines, ratures et l’énigme

Tout de suite est installée une distance entre le narrateur, son sujet, et le lecteur, en même temps qu’une mise en demeure : ce « vous », « vous tenez encore debout » au chapitre 1, « votre récit rouillé » au chapitre 2, à nouveau « vous tenez encore debout » au chapitre 3 jusqu’à la toute fin « vous finirez enfin calciné, emporterez avec vous les bêtes, les fleurs et les arbres, les collines, ratures », ce vous nous concerne autant qu’il concerne, dans son écart et sa proximité, l’auteur du livre, Franck Doyen. Ce neuvième recueil pourrait s’inscrire dans ce mouvement contemporain de l’écoute, de l’attention consacrée aux bêtes, mouvement dont on ne peut que se réjouir tant qu’il y a à observer, apprendre, comprendre et ne pas comprendre, d’elles. Il ne s’agit pas d’ode poétique à la nature mais simplement de prendre en pleine part cette présence énigmatique à nos côtés.
Celui qui écrit ici est aussi apeuré que les bêtes poussées entre les planche de bois à coups de fourches. Un monde sans doute se meurt, dans les fermes et les campagnes, au cœur de toutes ces odeurs merveilleuses, liées à l’enfance mais pas seulement.
Rien ne manque ici de tous les mondes de la nature, du simple caillou à l’herbe, du ciel à l’arbre, du soleil à la peau des bêtes, de la nuit au pré, et la présence fragile de l’homme qui en fait l’expérience... Il semble seul, et seul à pouvoir rendre compte de cette séparation. La bête vache sait-elle qu’elle est seule ou se croit-elle juste un mouvement du troupeau ? Depuis Vaches, le déchirant petit livre de Frédéric Boyer, depuis Le parti pris des animaux de Jean-Christophe Bailly, depuis l’expérience que nombre d’entre nous peuvent faire à la tombée du jour quand surgit - mais qui est-il - celui ou celle qui surgit et nous fige dans l’émotion l’émerveillement, l’énigme - le monde animal s’est entrouvert : « Dire comment vous les aimez, pour ce qu’elles sont et ne sont pas ». Ici s’entrouvre aussi simplement ce que l’on appelle la nature, « débris de vert », « le chemin défait » « paysages soulèvent » ... L’homme est désemparé, c’est toujours plus grand que lui. Il est inquiet, il sait ce qu’il est peut-être le seul à savoir qu’il mourra et qu’au fil des ans, c’est la rouille qui envahit fer et os... La vie de la campagne, fermes, bois, patois, la vie de la montagne dans laquelle on imagine la transhumance, meuglements et fumerolles, est traversée par des mots clairs et nets comme les sonnailles. Rien ici pourtant d’un goût pour le passé, rien de cela, la simple présence interrogative, parfois traversée de douleur, de quelqu’un qui tente de se tenir debout au monde.
Ce mince recueil est un très beau livre.
Isabelle Baladine Howald

Franck Doyen, Collines, ratures, La lettre volée, 2017,  54 p., 14€ - extraits de ce livre.


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