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la flamme toujours brûlante des émotions d'autrefois

Par Jmlire

la flamme toujours brûlante des émotions d'autrefois" Ambitions et défaillances, c'est de l'humanité de tous les temps.

Mes relations avec le général Foch sont antérieures à la guerre qui nous réunit, si différents, dans une action commune au service de la patrie. Les journaux ont raconté comment je le nommai commandant de l'École de guerre, m'en référant à ses capacités présumées, sans faire état de ses relations avec la congrégation de Jésus. Le hasard veut que les choses se soient à peu près passées comme on les raconte. Ce n'est pas l'ordinaire. Je confirme donc l'échange des deux propos :

- J'ai un frère Jésuite.

- Je m'en f...

J'aurais pu faire choix d'une expression plus réservée. Mais mon interlocuteur était un soldat, et je tenais à être compris. À défaut d'autres mérites, ma parole avait l'avantage d'être claire. Cela pouvait suffire. Le général Picquart, ministre de la Guerre, m'avait recommandé très chaudement le général Foch pour la mise en œuvre d'un cours de stratégie qui était à créer. Je ne demandai rien de plus...

L'heure actuelle n'est pas aux suggestions du silence. Ce ne sont de toutes parts que parleurs parlant d'inutiles paroles dont le bruit charme peut-être des foules au tympan crevé. Peut-être est-ce pour cela que j'ai cédé moi-même à l'entraînement universel, avec l'excuse d'empêcher que l'absence de réponse ne parût une confirmation. Non que cela m'importe autant qu'on pourrait croire. Quand on a mis dans l'action tout l'intérêt de la vie, on ne s'arrête guère aux superfluités.

Lorsque j'ai vu ce dévergondage d' "histoires de troupiers" où, dans l'intimité de la caserne, le soldat cherche inconsciemment une revanche de conflits hiérarchiques qui ne se sont pas toujours clos à son avantage, j'aurais peut-être été capable de renoncer à mon devoir si le souffle des grands jours n'avait magiquement ranimé la vieille flamme, toujours brûlante, des émotions d'autrefois.

Quoi ! Monsieur le Maréchal, vous êtes si réfractaires aux frissons des plus belles heures qu'il vous a fallu dix ans de méditations refroidies pour vous dresser contre moi sans autre cause qu'une rétrospective de grognements militaires ! Encore avez-vous envoyé sur le terrain un autre à vôtre place - ce qui ne se fait pas. Redoutiez-vous donc à ce point la riposte ? Ou bien avez-vous pensé que si je mourais avant vous, comme il était probable, je serais resté, post mortem, sous le poids de vos accusations ? Monsieur le Maréchal, cela n'aurait pas été d'un soldat.

Voyons, Foch ! Foch ! Mon bon Foch ! Vous avez donc tout oublié ? Moi, je vous vois tout flambant de cette voix autoritaire qui n'était pas le moindre de vos accomplissements. On n'était pas toujours du même avis. Mais un trait d'offensive s'achevait plaisamment, et, l'heure du thé venue, vous me poussiez du coude, avec ces mots dépourvus de toute stratégie :

- Allons ! Venez à l' abreuvoir.

Oui ! On riait quelquefois. On ne rit pas souvent aujourd'hui. Qui m'aurait dit que, pour nous, c'était une manière de bon temps ? On vivait au pire de la tourmente. On n'avait pas toujours le loisir de grogner. Ou, s'il y avait des grognements quelquefois, ils s'éteignaient à la grille de " l'abreuvoir". On rageait, mais on espérait, on voulait tout ensemble. L'ennemi était là qui nous faisait amis. Foch, il y est encore. Et c'est pourquoi je vous en veux d'avoir placé vôtre pétard à retardement aux portes de l'Histoire pour me mettre des écorchures dans le dos - ce qui est une injure au temps passé..."

Georges Clemenceau : extrait de "Grandeurs et misères d'une victoire", Plon, 1930 http://www.babelio.com/livres/Clemenceau-grandeurs-et-miseres-d-une-victoire/570262

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