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(Anthologie permanente) Cédric Le Penven, "appartenir / à la moindre inflexion"

Par Florence Trocmé

Le penven joachimCédric Le Penven publie Joachim aux Éditions Unes.

et te voilà
à quelques mois d'être père
arpentant les heures et les territoires
recherchant les insectes, les oiseaux, les herbes
à nommer pour qu'il sache
que le monde entier réclame son nom
qu'il faut savoir distinguer l'orchidée bécasse
de l'orchidée abeille
que les méandres et les gorges couchent ensemble
pour que nous puissions dormir sur des berges
souples et attendre la touche
qu'il n'est pas de vert émeraude plus
beau intense que celui des tanches
que le mois d'avril vient d'aperire
et qu'il voie que les bourgeons
obéissent à leur étymologie
/
être là
ce matin devant la fenêtre
l’œil nouant / dénouant l’entrelacement
d’une clôture à vaches
j’ai la conviction d’appartenir
à la moindre inflexion
/
ce qui résiste
je cogne contre
cogne contre
cogne
contre ce qui résiste
le silence   l'amour   un regard
mais pas la peine
d'aller si loin
une main un jour d'hiver
ordinaire, pâle et sale
chemins boueux, herbe brunie
par le gel et les bruits de muqueuses
du sol sous nos pas
suffisent
Cédric Le Penven, Joachim, Éditions Unes, 2017, 112 pages, 19€., pp. 34 à 36.
Prière d’insérer :
Joachim s'ouvre en vers brefs, comme pour mesurer le franchissement de la pudeur : l'attente d'un enfant longtemps espéré, si difficile à venir. Angoisse du futur face à l'angoisse de l'enfance, face à cette possibilité ouverte devant soi d'être un père autre, à l'inverse de celui qui distribuait les coups. Fragilité et bouleversement jusque dans les pronoms personnels qui changent et glissent d'un poème à l'autre, dans l'incertitude d'être soi face à l'enfantement. L'écriture se dépouille, délaisse obscurité et métaphores pour avancer frontalement vers le lecteur dans une quête de clarté des objets, comme si pour habiter le monde, tendre vers l'autre, il se manifestait un refus de dissimulation. À travers le lieu de La Gourgue ensuite, lieu à la fois réel et littéraire, sensible et symbolique, Le Penven développe une géographie intime, dans une tension entre la fugacité des perceptions - terres humides, lumière à travers les branches, eau fraîche du ruisseau, odeurs des bois - et l'extériorisation du souvenir par le mouvement physique et l'exténuement de l'effort physique, qui empêche la réminiscence des rancœurs d'étouffer à l'intérieur de soi, après avoir plongé au fond de la mémoire, de sa noirceur. La Gourgue est un lieu, mais aussi un langage, l'invitation à nommer ce qui nous entoure, découvrir le nom des choses pour les identifier en nous, les reconnaître puis les transmettre. Voir le monde, le fait de se mouvoir dans le monde, comme un enfant se découvre. Un lieu, un poème, un enfant contre une colère. Dans le secret du lieu, approcher la forme de sa vie.
bio-bibliographie de Cédric Le Penven


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