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ADORNO, Theodor W. Le conflit des sociologies. Théorie critique et sciences sociales.

Publié le 25 avril 2017 par Antropologia

ADORNO, Theodor W. Le conflit des sociologies. Théorie critique et sciences sociales.  Paris, Payot Rivages, 2016.

La taille de la dernière traduction d’Adorno (1903-1969) m’autorise à picorer dans ce livre gros et dense – un recueil d’articles publiés entre 1951 et 1969 – ce qui me paraît le plus intéressant pour les anthropologues d’aujourd’hui. Son auteur m’intéresse particulièrement pour deux de ses combats, celui contre les chiffres et Lazarsfeld durant la Deuxième guerre mondiale, et celui en faveur du microscopique, depuis. Ces deux thèmes se retrouvent dans son livre mais présentés de façon encore plus systématique.

Il s’inscrit dans la « théorie critique » allemande qui utilise des catégories et une bibliothèque philosophiques pour traiter des questions de sociologie. Ce mélange des genres m’a toujours gêné surtout qu’ici encore, et je me demande pourquoi, certaines disciplines échappent à leurs critiques comme l’économie politique qui elle, présenterait la réalité (« Dans un monde qui est dans une large mesure dominé par des lois économiques… p.394). Malgré son intérêt, le livre d’Adorno tombe lui aussi dans ce piège, peut-être pour ne pas s’attaquer à plus fort que soi.

Mais il se rattrape par sa critique du positivisme – dont il reprend la définition habituelle qui inclut Durkheim, le cercle de Vienne et le premier Wittgenstein – qui entre autre, remplace le processus de vie par la « conscience collective » (p. 147). Il s’ensuit une vive critique de Durkheim mais aussi de Weber et de quelques autres à qui il reproche leur « chosisme » et plus généralement l’oubli de la médiation langagière (p. 257, 268, 376…). En conséquence, Adorno récuse tous les préjugés tant de fois répétés comme des évidences : la distance, l’objectivité et la représentativité (p. 390).

Ensuite, j’y ai vu – comme toujours chez Adorno – l’intérêt pour le singulier et la méfiance envers les totalités dont il établit l’histoire depuis la scolastique. J’y ai également trouvé une vive attaque contre les binarismes et particulièrement contre l’opposition statique/dynamique et ses corrélats structure/conjoncture ou encore la recherche d’invariants (p.317).

En un mot, le livre d’Adorno nous interpelle sur une série de questions que généralement nous avons posées et résolues en réfléchissant sur nos propres enquêtes, leur déroulement, leur force, mais aussi leurs limites. Il donne les fondements philosophiques et épistémologiques de nos pratiques et de nos hésitations. Ce n’est pas inutile et ça rassure.

Mais Adorno reste fidèle à un certain nombre de positions qui me semblent obsolètes telle l’affirmation de la totalité sociale. Son analyse de l’échange me paraît particulièrement significative : il constate que ce dernier implique une opération abstraite, l’évaluation d’un montant. Ensuite, pour rendre compte de ces pratiques, il reprend le vieux dualisme valeur d’usage et valeur d’échange, aujourd’hui bien oublié pour donner au second terme le statut de celui « qui règne sur le besoin humain » (p. 424). Il retrouve ainsi cette totalité qui le hante, qu’il refuse tout en la recherchant, au point d’établir une discipline « incritiquable », l’économie politique.

Pourtant, à la page 417, une phrase propose aussi un programme qui est le nôtre : « Seule la compréhension de la genèse des formes de réaction existantes et de leur rapport au sens de ce dont on fait l’expérience, permettrait de déchiffrer le phénomène enregistré ».

Bernard Traimond



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