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Jean Piaget : Psychologie et pédagogie

Par Capesphysiquechimie

La lecture de ce livre peut laisser pantois le jeune acteur du système éducatif que je suis. Difficile de combattre le sentiment que, 40 ans après son écriture, les choses ont peu ou pas évolué. Ont-elle régressé ? L'histoire nous répondra et sanctionnera ou non l'orientation conservatrice prise par les projets de programmes applicables dès septembre.
Jean Piaget présente dans cette édition spéciale - Psychologie et pédagogie - de deux de ses articles, parus au tome XV de l'Encyclopédie française consacré à l'éducation, quelques unes de ses vues sur l'éducation et l'instruction. Le livre se partage en deux parties bien distinctes : la première est consacrée à l'évolution de l'éducation et de la pédagogie jusqu'en 1965 , la deuxième (correspondant à un article rédigé en 1935) s'arrête à la description et la justification des méthodes nouvelles d'enseignement (Mathématiques modernes, Méthode globale d'apprentissage de la lecture etc). L'ensemble de l'ouvrage évoque de nombreux résultats de Psychologie du début du XX ème siècle.
La première partie constitue une critique de l'absence d'interdisciplinarité française, ainsi que de la mauvaise place faite alors aux toutes jeunes Sciences de l'éducation.
Dans les milieux occidentaux non empiristes, la crise de l'enseignement philosophique tient avant tout à la séparation des Facultés des Lettres et des Sciences, et, corrélativement, à celles des sections dites littéraires et scientifiques des écoles du second degré. On ne saurait exagérer les méfaits de tels cloisonnements, dont le résultat le plus clair est la constitution d'une sorte de corps social de philosophes appelés à s'occuper directement de la totalité du réel sans initiation personnelle à ce qu'est une recherche scientifique délimitée. Alors que les grands philosophes de l'histoire ont tous contribué au mouvement scientifique de leur temps ou ont anticipé des travaux possibles (comme les empiristes pour la psychologie ou Hegel pour la sociologie), on forme aujourd'hui des spécialistes du transcendantal qui entrent de plain-pied dans le monde des essences avec autant plus d'aisance qu'ils ignorent toute spécialité, même en psychologie. On peut alors se demander si ce n'est pas en vertu d'une sorte d'artefact sociologique, que des esprits ainsi formés formeront à leur tour les générations des sections littéraires des lycées en entretenant le divorce de l'esprit scientifique et de l'esprit philosophique.
in Psychologie et pédagogie, de Jean Piaget
Piaget propose un début de réflexion autour d'une épistémologie des Sciences de l'éducation et de la pédagogie, s'interrogeant sur trois des questions fondamentales de l'épistémologie :
  1. Quoi enseigner ?
  2. Pourquoi l'enseigner ?
  3. Comment l'enseigner
Dans cette perspective, Jean Piaget présente quelques-uns des progrès et des changements qui sont intervenus dans la manière d'enseigner, tout en critiquant le verbalisme et le conservatisme de certaines méthodes institutionnelles - des méthodes incarnées dans le débat actuel par l'instituteur à moustache de la Troisième République.
Elle (la pédagogie traditionnelle) regardait volontier l'enfant... comme capable, par exemple, de saisir tout ce qui est logiquement évident, ou de comprendre la profondeur de certaines règles morales ; mais, en même temps, elle le considérait comme fonctionnellement différent de l'adulte, en ce sens que, tandis que l'adulte a besoin d'une raison, d'un mobile, pour agir, l'enfant, lui, serait capable d'oeuvrer sans motif, d'acquérir sur commande les connaissances les plus disparates, de faire n'importe quel travail, simplement parce que c'est exigé par l'école, mais sans que ce travail réponde à aucun besoin émanant de l'ui-même enfant, de sa vie d'enfant.
Clarapède, in L'éducation fonctionnelle.
Il interroge aussi le lecteur sur l' "enseignabilité" de certaines disciplines, telles la philosophie ou les langues mortes. Jean Piaget regrette notamment qu'aucune étude, a posteriori d'un enseignement des langues mortes, n'ait été réalisée dans le but de vérifier les dires du sens commun, au sujet des bénéfices d'un apprentissage du latin dans le secondaire sur le raisonnement et la santé spirituelle . C'est par là qu'il entame cette première partie :
La première constatation qui s'impose après trente ans d'intervalle (entre son premier texte paru à l'encyclopédie, en 1935, et le présent écrit, ndb), et qui est surprenante, est l'ignorance dans laquelle nous sommes restés quant aux résultats des techniques éducatives.
in Psychologie et pédagogie, de Jean Piaget
La fin de cette partie est consacrée aux initiatives internationales et au traitement politique que subissent les découvertes récentes en psychologie de l'enfant et en pédagogie, une partie dont l'intérêt réside dans une description historique des faits et des décisions politiques. A vrai dire, tout ceci paraît quelque peu désuet en 2008.
Je ne résiste à l'envie de glisser (discrètement) ici une petit pique adressés aux recrutements des professeurs d'université des instituts de recherche en pédagogie :
Un autre inconvénient signalé discrètement est la possibilité pour des mathématiciens, physiciens ou biologistes, etc., qui réussissent peu en leur branche de trouver dans les départements d'Education des débouchés sous forme d'enseignement de la didactique des mathématiques, de la physique et de la biologie, ce qui n'avance pas toujours la recherche en didactique.
in Psychologie et pédagogie, de Jean Piaget

Polémique mise à part, la partie la plus palpitante, la plus excitante, qui fait mon poil se dresser plus que toutes ces inepties sur l'Ecole qui sont balancées sur les ondes, c'est la deuxième partie, dans laquelle Piaget rappelle la nécessité d'un changement dans la façon d'enseigner.
Dans la mesure au contraire où l'enfance est considérée comme douée d'une activité véritable et où le développement de l'esprit est compris dans son dynamisme, le rapport entre les objets à éduquer et la société devient réciproque : l'enfant tend à se rapprocher de l'état d'homme non plus en recevant toutes préparées la raison et les règles de l'action bonne, mais en les conquérant par son effort et son expérience personnels ; en retour, la société attend des nouvelles générations mieux qu'une imitation : un enrichissement.
in Psychologie et pédagogie, de Jean Piaget

L'erreur séculaire et aisément compréhensible faite par les instructeurs fut de considérer le petit d'homme comme un petit homme. Jean-Jacques Rousseau ne remarquait-il pas :
Commencez par étudier vos élèves, car assurément vous ne les connaissez point.

Jean Piaget justifie ainsi la nécessité d'avertir les éducateurs du primaire et du secondaire de la nécessité d'une psycho-pédagogie de l'enfant. Il revient sur les précurseurs des méthodes nouvelles d'enseignement, Pestalozzi (XVIII ème siècle), Fröbel (XIX ème), et Clarapède (XX ème) tout en justifiant en les citant les méthodes actives d'enseignement (celles qui placent l'élève au centre du dispositif éducatif, si critiquées en ce moment) :
Elle (l'éducation active, ndb) réclame surtout qu'ils (les élèves, ndb) veuillent ce qu'ils tout ce qu'il font ; qu'ils agissent non qu'ils soient agis.
Clarapède, in L'éducation fonctionnelle.
Il profite de l'occasion pour rappeller les différences entre les logiques de l'enfant et de l'adulte. Il explique que l'adulte fait preuve d'une intelligence surtout gnostique et réflexive, tandis que le type d'intelligence chez l'enfant est pratique et sensori-motrice. Ainsi l'enfant a-t-il des difficultés , avant l'âge de dix ans, à raisonner de manière formelle, c'est à dire à faire naître ses idées de données simplement assurées et non pas observées. Il se trouve que l'enfant ignore longtemps les systèmes hiérarchisés de concepts bien délimités et raisonne grâce à une sorte de déduction mal rêglée.
Sans adhérer aux thèses piagetistes, il faut avouer que la lecture de ces écrits de quarante ans ont le mérite de questionner l'attitude politique actuelle. L'échec récent, au sujet des Mathématiques modernes et des méthodes globales d'apprentissage de lecture, est-il un échec politique d'un ministère qui n'a pas réussi à diffuser la bonne parole dans les IUFM (remplis de "littéraires" que les théories ensemblistes ont du effrayer), un échec méthodologique, les moyens nécessaires à l'application de ce que la psycho-pédagogie engageait qui n'ont pas été adaptés, ou bien tout simplement l'échec obligé d'une théorisation qui n'avait pas lieu d'être, échec d'un positivisme inadéquat qui a sacrifié quelques élèves sur l'autel de leur bonne foi ?
Il est rassurant que 40 années après leur invention, ces méthodes actives de pédagogie soient initiées en Sciences Physiques. La nouvelle façon d'aborder la démarche expérimentale, par une approche heuristique avec investigation est un des rejetons des pédagogies actives. Ne Reste qu'à surveiller la DEPP, qui sans doute évaluera les résultats d'un tel bouleversement dans l'enseignement des Sciences Physiques, sachant que ses premiers bénéficiaires rentrent en classe de Troisième l'année prochaine. [édition du 02.05.08] Ont été corrigées quelques fautes d'orthographe et supprimées les références précises à des organismes de l'E.N., droit de réserve oblige. De même, mon propos a été précisé suite aux remarques de Jeff.
Jean Piaget : Psychologie et pédagogieEduquer, c'est adapter l'individu au milieu social ambiant. Mais les méthodes nouvelles cherchent à favoriser cette adaptation en utilisant les tendances propres à l'enfance ainsi que l'activité spontanée inhérente au développement mental (...)."
in Psychologie et pédagogie, de Jean Piaget

Jean Piaget

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