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Je ne vis que ses yeux

Par Vertuchou

..  Je ne vis que ses yeux. Ils prirent possession de moi avec tant d’ironie qu’à peine je pus balbutier des politesses, m’incliner, sourire. Ces yeux vous regardaient, à quoi je n’étais guère habitué, par dédain sans doute, d’accorder à quelqu’un d’autre ce pouvoir. Je n’eus pas le temps de reconnaître la couleur de ce regard, ni le visage dont il émanait.

Elle était vêtue de noir, obscure vraiment, comme une prêtresse ou ce qu’on voudra de sévère et d’imposant. Encore aujourd’hui je ne peux voir une femme en deuil sans la revoir, elle, brune et sombre, avec dans les yeux tout l’éclat de l’insolence et de la gaieté.

Au dîner, j’observai Concha ouvertement, et elle soutint mon regard. Elle ne refusait ni n’engageait le combat, et ses yeux se posaient sur les miens, curieux et froids, sans que je puisse décider s’ils étaient pour ou contre mon désir. Comme tous les yeux admirables, je m’apercevais qu’ils avaient une couleur difficile à identifier ni marron, ni verts, avec une tache pourpre dont on aurait dit qu’elle savait user.

Philippe Sollers, Une curieuse solitude

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Je ne vis que ses yeux
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