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(Note de lecture) Christian Vogels, "iconostases", par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé

Vertiges

Vogels
Iconostase vient du grec eikonostasion, qui signifie « images dressées », c’est la cloison en bois ou en pierres séparant, lors des rituels orthodoxes, le clergé  du choeur, des fidèles et des célébrants, eux-ci donc cachés par des icônes. Ce serait une porte vers le divin. Je l’ai appris en cherchant ce que ce titre voulait dire. L’auteur se serait aussi inspiré des polyptyques flamands, cela mériterait une recherche approfondie qui serait, à tous égards, passionnante et éclairante.
Il y a nombre de portes et c’est peu dire, dans le livre de Christian Vogels, iconostases qui vient de paraître chez Jacques Brémond, toujours sur de très beaux papiers. Large format pour ce texte infini, qui m’a rappelé les lectures vertigineuses du Glas de Jacques Derrida, un des plus beaux livres livres du monde de celui qui aurait rêvé d’être un poète - et personne n’a jamais pensé à lui dire qu’il était. Ici, et ça n’est pas un mince compliment, nombre de portes de lecture(s), rigoureuses, à pratiquer en tous sens, de la plus classique aux plus transversales, paraissent et apparaissent, nous augurant des lectures durant des années entières. C’est à la fois magnifique et étourdissant. Voici un exemple de lecture, dès la première page :
comme   le rien   dans l’ombre
sur le corps  se fige   la ride
l’heure   seule
va   se perd   dans l’eau
parmi les morts   ça rêve   la nuit
le chemin   de sel   en soi
ou bien  (c’est moi qui propose) :
comme se fige la ride le rien dans l’ombre
ou bien :
sur le corps   le rien   la ride
ou bien :
l’heure      se perd   la nuit
va      se fige   dans l’ombre
parmi les morts   se perd   la ride
le chemin   se fige   en soi
ou bien :
en soi   ça rêve   sur le corps
ou bien :
  le rien
  se fige
  se perd
  ça rêve
  de sel
etc. et toujours du sens. Ca n’est qu’un exemple, livre infini, texte saturé de sens, pure poésie. C’est bien sûr un grand travail sur la langue et la syntaxe qui interrogent, tourmentent et passent de trois à sept corps de vers sur une seule page, parfois alignés, parfois déstructurés.
Paysages urbains proches de la scène de guerre, « de béton   on voit   la ferraille   toits éventrés », visage de l’autre, cette pure énigme, « le vêtir   le dévêtir », «  cet autre   qui me pénètre   de ce corps », ces évocations de tableaux, peut-être, « dans le lin   nu   souillé d’argile » « Véronique   sur la toile », silhouette et souvenir et le froid, la pénombre, toutes choses et plus encore qui font la misère et la solitude humaines, mais lui permettent aussi la métaphysique et la poésie.
La plus belle iconostase est peut-être  celle numérotée XXXVI, violente, crue « on tue ce vieux   ce qui fait l’affaire   ce nomade   sous la main ».
La poésie ici est portée haut, la mise en page impeccable, et cela a dû être un sacré travail.
Puisse Jacques Brémond être récompensé de son obstination avec ce livre qui devrait être sur toutes les tables des librairies tant il contient à lui seul tant de livres.
Puisse Christian Vogels poursuivre le sens jusqu’à l’os.
La poésie est aujourd’hui la forme la plus libre, la plus réjouissante, la plus inventive de forme et de pensée, Iconostases en est la preuve.
  
Isabelle Baladine Howald

Christian Vogels, Iconostases, éditions Jacques Brémond 2017, non paginé, 24€
Écouter Christian Vogels lire deux "Iconostases"


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