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The Circle : une société numérique romancée

Publié le 22 mai 2017 par Fmariet

The Circle : une société numérique romancéeDave Eggers, The Circle, a novel, Alfred A. Knopf McSweenney's Books, 2013, San Francisco, 497 p.,  ebook, $7,13
Le roman met en scène une jeune femme qui obtient un emploi de rêve dans une superbe entreprise numérique, The Circle. Science politique fiction.
L'univers décrit emprunte à Facebook, à Google (le campus de Mountain View, en Californie) et Apple réunis. The Circle transcende tous les réseaux, en intègre toutes les fonctionnalités particulièrement le réseau social qui est au cœur de l'intrigue. Utopie nouvelle : rendre le monde meilleur en en connectant en permanence tous les éléments. Le rendre commode aussi. Effet de réseau. Cet effet culmine dans une utopie politique dont l'idée est ancienne : l'agora athénienne et son théâtre (devenue "town hall"), démocratie directe à la Rousseau, voter à tout moment à propos de tout, rendre l'abstention hors la loi : mais comment décider démocratiquement d'un mode de scrutin ? Utopie nostalgique d'un suffrage universel, tentation totalitaire : qui dirige The Circle ? L'espace public démocratique est orchestré par le fondateur du réseau social, qui n'est pas élu. "On ne peut imaginer que le peuple reste incessament assemblé pour vaquer aux affaires publiques", notait déjà Jean-Jacques Rousseau (Du contrat social, III, 4).
The Circle met en chantier l'unification numérique de toutes les données personnelles, leur synchronisation généralisée, la collecte constante de data aussi bien sociales que médicales. Collecte centralisée (cloud), qui les rend immédiatement et partout disponibles, mobilisables.
Phalanstère aussi, car il y du Charles Fourier dans l'utopie des "Circlers". Apologie de la transparence totale permettant à toute vie privée de devenir publique ("privacy is theft", "All that happens must be known"). L'architecture dit et répète cette transparence, tout mur de verre étant aussi un écran où défilent des messages, des photos,... ce panopticon absolu où chacun peut observer tout le monde, connaître le passé de tout le monde (entre autres grâce aux archives achetées à prix d'or à Facebook). Pas de secret ("secrets are lies"). A terme, chacun portera sur soi à tout moment une caméra ("to go clear"), les e-mails seront publics, toute communication étant partagée par tout le monde ; il y aura des capteurs partout, pour tout, y compris certains que l'on avale ("Yeah, everything's on sensors") pour révéler l'état de santé mais aussi les émotions, la fatigue... L'Internet des choses est systématisé. Rien n'est perdu, rien n'est oublié, émietté, réagrégeable à volonté. Univers dans lequel il faut tout partager (sharing is caring), où il faut participer sans cesse, en toute hâte (la solitude est un péché) sans même que les visages ne se rencontrent. Impératif catégorique ultime.

The Circle : une société numérique romancée

Affiche du film dans une salle REGAL
Mai 2017 (photo fjm)

Certains autour de nous semblent vivre partiellement déjà dans un tel monde : partageant leur emploi du temps, leurs activités et leurs émotions sur des réseaux sociaux, des messageries, leurs photos, leurs opinions, leurs vidéo, leurs goûts et dégoûts. "Community first". La vie quotidienne des Circlers, travail et loisirs, est ainsi quantifiée, ordonnée, classée, hiérarchisée. Benchmarking incessant et "pression statistique". Wearables (bracelets, colliers), "quantified self" (questionnaires à tout propos). Hyperactivité, Fear of Missing Out (FOMO). A lire avec l'éclairage contraire de l'abbaye de Thélème (François Rabelais, Gargantua, Chapitre LVII) et l'idée de volonté (générale, divine ou simple caprice). La réflexion pratique de The Circle et des Circlers aboutit à la remise en question de la critique de la communication politique et des élections, à la exigence d'une transparence complète de la vie politique et de la démocratie.
Les événements récents, illustrés par les fake news et les erreurs du programmatique, en confirment les attentes et les risques. Réminiscences de 1984 (Georges Orwell). En fait, le début du roman n'exagère guère, ce n'est déjà plus de la fiction ; parfois, le roman semble même en retard. En tout cas, les problèmes posés, dont celui de la propension naturelle d'un réseau social au monopole, sont indéniables...
Le roman a été porté à l'écran par James Ponsold ; le film, sorti dans les salles aux Etats-Unis en avril 2017, est servi par deux acteurs réputés : Emma Watson dans le rôle de l'héroïne et Tom Hanks dans celui du fondateur. Le film calque plus ou moins le roman. Mais une fiction peut-elle rendre compte des réseaux sociaux, de leur rôle social et culturel, politique sans tomber dans les clichés et les simplifications outrancières ? Quels sont les chemins de la liberté numérique ? Quelle morale pour une société numérisée ?
L'actualité de ce thème est certaine : le partage des photos avec telle ou telle de nos relations, le partage de toute activité, des déplacements, des calendriers sont déjà proposés par Facebook et Google. Nielsen travaille à une mesure des audiences radio et TV portable (wearable PPM)... Difficile d'y échapper ? La vie privée est-elle compatible avec le numérique ?
L'ambition totalisante (et non totalitaire) s'exprime ainsi dans le discours du P-DG de Google, Sundar Pichai, lors de la conférence annuelle des développeurs en mai 2017, Google I/0 : “We are focused on our core mission of organising the world’s information for everyone and approach this by applying deep computer science and technical insights to solve problems at scale”. Ambition a priori différente de celle des réseaux sociaux et des messageries : il s'agit d'organiser l'information et non les personnes.


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