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Les sculptures épurées de Sophie Bocher

Publié le 24 mai 2017 par Savatier

Si l’on excepte, notamment, Camille Claudel, Germaine Richier ou Louise Bourgeois, peu de femmes ont choisi de s’exprimer à travers la sculpture. Le caractère très physique de cette discipline ne suffit pas à expliquer le phénomène, car la peinture et la tapisserie d’art peuvent aussi, dès que l’on aborde les grands formats, soumettre toute créatrice à de sérieuses contraintes physiques. L’hésitation soulevée par la troisième dimension reste donc un mystère.

Cependant, pour l’artiste contemporaine Sophie Bocher, la question ne se pose pas. C’est dans la sculpture qu’elle s’exprime ; elle s’y épanouit au point d’en expérimenter presque tous les matériaux, des plus bruts aux plus nobles. Elle revendique son admiration pour Brancusi et Henry Moore ; certaines de ses œuvres (Amour brut ou Ensemble, par exemple), pourraient aussi nous renvoyer à la Femme à l’éventail (1924) d’Ossip Zadkine.

Les sculptures épurées de Sophie Bocher

Deux tendances principales se dégage, dans le travail de Sophie Bocher. La première se situe à la limite de l’abstraction et de la figuration. Les personnages sont épurés. Pour en mettre à jour l’essence, le superflu, le pittoresque, le séduisant s’effacent. Des formes dépouillées, émerge une tension qui exclut tout recours à l’artifice, à la facilité. Cette approche ne peut se concrétiser qu’au prix d’un travail technique rigoureux mis au service d’une vraie recherche intérieure portée sur les formes. On aurait toutefois tort d’en conclure hâtivement que cette démarche pourrait aboutir à une esthétique austère. Les courbes du Bouddha (bronze) rassurent – ce Bouddha qui trouve si bien son équilibre dans la paume de la main – , la couleur émaillée apposée sur le grès d’Ensemble adoucit la matière tout en la soulignant ; partout, la sensualité imprègne les lignes et les volumes.

Les sculptures épurées de Sophie Bocher

D’autres sculptures se conçoivent en couple, comme La Conversation (résine de bronze) ou Intimités (résine polyester). Dès lors, chacun conserve le loisir d’en modifier la disposition, afin de les faire dialoguer, de les opposer, de les unir ou, délibérément, de les isoler. L’artiste laisse au spectateur – ce qui est rare – la liberté de réinterpréter ses œuvres à son gré, de leur inventer une histoire.

Les sculptures épurées de Sophie Bocher

Cette liberté prend une dimension peut-être plus radicale avec la seconde source de création : les sculptures abstraites. Là encore, les formes présentent un caractère épuré, synthétique sans pour autant céder à un minimalisme stérile. Certaines se composent de plusieurs éléments qui s’imbriquent ou se superposent. Sophie Bocher en propose un assemblage, mais elle ouvre au collectionneur le champ de tous les possibles en l’invitant à procéder aux recompositions de son choix, par permutation des éléments existants. Dès lors, la limite ne repose plus que sur les lois physiques qui régissent leurs centres de gravité respectifs et les principes esthétiques relatifs à l’équilibre des lignes.

Les sculptures épurées de Sophie Bocher

Cette approche défie le respect figé dont on entoure traditionnellement l’œuvre d’art – à qui viendrait-il en effet l’idée de faire pivoter une toile abstraite, dont le peintre a imposé le sens par l’emplacement délibéré de sa signature ? Il y a donc ici rupture avec les conventions. Le dialogue ne réunit plus deux sculptures qui se répondent ou s’opposent, il met en présence la créatrice et son amateur, devenu acteur de l’objet qu’il conserve et, rôle plus complexe et plus exaltant, responsable de la préservation de son harmonie plastique. Tel est le cas de Compositions/aléatoire (grès noir composé de 3 éléments) ou du Totem (grès blanc composé de sept éléments), qui n’est pas sans rappeler quelques figures de Family of Man de Barbara Hepworth.

Les sculptures épurées de Sophie Bocher

La matière participe bien entendu aux vibrations que l’œuvre dégage. Ce n’est pas seulement une question de texture – de la minéralité d’un grès primitif ou d’un béton industriel au soyeux d’un bronze poli – ; c’est aussi une affaire de lumière. Celle-ci circule autour des volumes, glisse sur les surfaces métalliques, s’accroche au grain des minéraux, se laisse absorber par les plâtres.

Les sculptures épurées de Sophie Bocher

L’une des œuvres les plus singulières de l’artiste est une installation intitulée D’Après Man Ray. Tout part du Monument à Sade, un montage photographique que l’artiste américain réalisa en 1933 et qui fut publié dans Le Surréalisme au service de la révolution. Il s’agit d’un fessier féminin accompagné, en surimpression, du dessin d’une croix inversée. Cette dernière se rapproche volontiers d’un un trou de serrure, et c’est précisément cet accessoire que Sophie Bocher propose au premier plan de sa création. Le spectateur qui s’en approche découvre alors, dans un premier temps, un alignement de trois fessiers en résine transparente, conformes à la photo de Man Ray. Mais, dans un second temps, il prend conscience que le miroir situé tout au fond lui renvoie l’image de son œil. Ce dispositif optique permet ainsi au regardeur de se confronter, sans aucune équivoque, à son statut de voyeur.

Les sculptures épurées de Sophie Bocher

Il existe enfin un tirage en bronze du fessier, tout à fait autonome, qui réserve une intéressante surprise : en retournant la sculpture, on découvre, dans sa partie incurvée, une arrête centrale qui la rapproche de celle que l’on trouve dans la Feuille de vigne femelle de Marcel Duchamp dans sa version de plâtre conservée au Centre Pompidou, laquelle avait été peinte en vert – est-ce un hasard ? – par… Man Ray. Nous restons en bonne compagnie…

Les travaux et l’actualité de Sophie Bocher, dont l’atelier se situe à Malakoff, sont présentés sur son site Internet en suivant ce lien.

Illustrations : Bouddha (bronze) – La Conversation (résine de bronze) – Intimités (résine polyester) – Le Totem (grès blanc) – Compositions/aléatoire (grès noir) – D’Après Man Ray (installation) – Verso du Fessier, tirage en bronze. Photos © Sophie Bocher.


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