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Comment les lobbies de l’électricité freinent la transition énergétique

Publié le 16 juin 2017 par Blanchemanche
#transitionenergétique
14/06/2017

Claude TurmesDéputé européen Vert du LuxembourgComment les lobbies de l’électricité freinent la transition énergétique


La transition bas carbone patine en Europe. Les difficultés de l’économie ne sont pas seules en cause. Les fournisseurs traditionnels d’énergie ont le pied sur le frein. Entretien avec Claude Turmes, député européen, membre de la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie. Jusqu’en 2013, l’Union européenne était de très loin le leader de l’investissement dans les énergies renouvelables. Depuis, cette dynamique est cassée. A qui la faute ?L’ Union européenne était en effet bien partie. La directive de 2009, avec l’obligation de rachat à un tarif garanti, a entraîné un boom de la production d’électricité renouvelable. Cependant, les grands groupes, comme EDF en France ou E.ON en Allemagne, ne se sont pas engagés dans ce mouvement. En Allemagne, 95 % de la génération d’électricité éolienne et photovoltaïque proviennent d’investisseurs non traditionnels, dont des collectivités, des coopératives, des agriculteurs, des PME, de simples citoyens !En Allemagne 95% de l’électricité éolienne et photovoltaïque viennent d’investisseurs non traditionnelsLa montée en puissance des renouvelables a fini par devenir très problématique pour les grands électriciens. En effet, ils ont poursuivi leurs programmes d’investissement dans les sources fissiles et fossiles, alors que, contrairement à leurs estimations, la demande d’électricité cessait de progresser. Elle s’est au contraire mise à stagner, notamment du fait des progrès de l’efficacité des bâtiments et des équipements. Par ailleurs, les Etats membres n’ont pas réussi à s’entendre pour faire émerger un prix du CO 2 assez élevé pour éliminer les vieilles centrales à charbon très polluantes. Résultat : le marché européen de l’électricité s’est retrouvé en surcapacité, ce qui s’est traduit par un effondrement des prix de gros.Ainsi, avec la pénétration croissante des renouvelables dont les coûts, parallèlement, chutaient et devenaient de plus en plus compétitifs, le modèle économique des RWE, E.ON, Engie, EDF, Electrabel, Endesa et autres oligopoles traditionnels de l’électricité s’est trouvé directement menacé. Ces groupes ont donc organisé la riposte.Le business model des grands groupes de l’énergie s’est trouvé menacé, ils ont organisé la riposteIl y a eu une entente des grands énergéticiens européens pour brider l’essor des renouvelables ?Oui, et mon livre détaille cette histoire. On peut la faire débuter le 21 mai 2013, lorsque Gérard Mestrallet, alors patron d’Engie [ex-GDF], reçoit à Bruxelles, à la veille d’une réunion du Conseil européen consacrée à l’avenir de la politique énergétique, une dizaine de ses pairs. La rencontre s’est tenue au musée Magritte, dont Engie est un mécène. D’où le nom de "Groupe Magritte" par lequel se désignent les membres de ce puissant lobby des énergéticiens européens auquel nous avons affaire. Un premier axe d’action a consisté à s’attaquer aux gouvernements pour freiner la mise en oeuvre de la directive de 2009 au niveau national. Cette stratégie a remarquablement réussi en Espagne, puisque l’Etat a mis fin du jour au lendemain aux tarifs de rachat incitatifs qu’il pratiquait. Depuis 2013, l’essor exceptionnel de ces filières a été cassé net, dans un pays qui jouit pourtant d’un énorme potentiel.Le Groupe Magritte s’est employé à affaiblir les ambitions de la future législation européenne
Le deuxième axe se situe au niveau européen. Le Groupe Magritte a travaillé main dans la main avec la très libérale direction générale de la Concurrence de la Commission européenne. Il a réclamé et obtenu l’abandon du tarif d’achat garanti pour les renouvelables, progressivement remplacé depuis 2016 par un système où les producteurs doivent vendre eux-mêmes leur électricité sur le marché, un complément de rémunération leur étant reversé pour couvrir l’écart des coûts de production avec les moyens conventionnels. Ce nouveau mécanisme, beaucoup plus contraignant et complexe à gérer, est dissuasif pour les acteurs de petite taille : agriculteurs, PME, coopératives citoyennes. Or, c’est précisément eux qui, grâce à la simplicité et à la sécurité du régime du tarif d’achat, ont assuré l’essor des énergies renouvelables en Allemagne et ailleurs en Europe.Toujours au niveau européen, le Groupe Magritte s’est employé à affaiblir les ambitions de la future législation. Celle de 2009 fixait des objectifs pour 2020. La prochaine, en discussion actuellement, donnera le cadre pour la période 2020-2030. En janvier 2014, Manuel Barroso, alors président de la Commission, faisait ainsi une proposition allant dans le sens des intérêts du lobby des électriciens : à la différence de celle de 2009, Barroso a proposé que la future directive ne fixe pas d’objectifs nationaux contraignants, mais uniquement un objectif européen global, dès lors plus incertain. Par ailleurs, la proposition d’atteindre 27 % de renouvelables dans la demande énergétique finale en 2030 n’est vraiment pas assez ambitieuse, dans un contexte où les coûts des énergies renouvelables ne cessent de chuter.Atteindre 27 % de renouvelables dans la demande énergétique finale en 2030 n’est pas assez ambitieuxEst-il encore possible de réviser à la hausse les objectifs pour 2030 ?Oui, et c’est ce pourquoi je me bats comme parlementaire européen. Les enjeux climatiques relèvent de la codécision : la proposition de la Commission doit encore passer par le Parlement européen, puis par les gouvernements des 28 Etats membres, qui peuvent décider à la majorité qualifiée. Hélas, il sera très difficile de revenir sur l’abandon des objectifs nationaux contraignants. En revanche, j’ai bon espoir que le Parlement européen parvienne à proposer un objectif de 35 % de renouvelables en 2030, face aux 27 % que veulent les Etats membres. Et comme dans toute bonne négociation, on parviendra à un accord au milieu du gué.Qu’en est-il de la réglementation sur l’efficacité énergétique ?Avec la directive écoconception de 2003 (qui a introduit l’étiquetage énergétique des appareils électroménagers), l’Europe a fait un formidable pas en avant. Un frigo neuf consomme en moyenne deux fois moins d’électricité qu’il y a une dizaine d’années. Et cette dynamique se poursuit : en 2011, j’ai réussi à faire passer un amendement sur les standards à respecter dans la construction neuve : en 2021, la consommation nette d’énergie de tout bâtiment qui sortira de terre dans l’ensemble de l’ Union européenne devra être pratiquement nulle ("near zero ernegy").Les grands marchands d’électricité ne veulent pas que l’on réduise la taille de leurs marchés
Evidemment, ces mesures ne font pas du tout les affaires des grands marchands d’électricité, de gaz et de pétrole, qui ne veulent pas que l’on réduise la taille de leurs marchés. Cependant, leurs efforts pour freiner le changement commencent à être contrebalancés par les efforts inverses des entreprises qui ont intérêt aux économies d’énergie : l’industrie chimique et du verre qui produit des matériaux isolants, les fournisseurs de technologies d’optimisation de la consommation, etc. Ces clivages dans le monde économique ouvrent le jeu politique.Il faudrait aussi relever le prix du CO2 pour sortir rapidement du charbon, sans quoi l’Europe pourrait rater sa cible d’émissions en 2030 et au-delà. Que faire quand plusieurs Etats membres refusent d’engager des efforts supplémentaires pour purger le marché du carbone de ses quotas en surnombre ?Il faut que des pays comme la France et l’Allemagne appliquent chez eux un prix plancher du CO2Il faut que quelques pays, à commencer par la France et l’Allemagne, s’associent pour appliquer chez eux un prix plancher du CO2, ce que le Royaume-Uni a déjà fait de façon unilatérale. C’est une bataille que je mène en ce moment. La législation européenne sur la coopération renforcée autoriserait une telle initiative. La France, très nucléarisée, serait peu impactée. Mais l’Allemagne y a aussi intérêt, car ses centrales en surnombre plombent le marché de gros de l’électricité, ce dont tous ses producteurs pâtissent.Par ailleurs, la remontée des prix de gros, comme conséquence de l’établissement d’un prix plancher du carbone, permettra d’éliminer ce qui reste de subventions dans les filières renouvelables matures et de les réduire là où elles sont encore nécessaires.Un prix plancher du CO2 va générer des milliards d’euros de revenus pour les finances publiquesEnfin, un prix plancher du CO2 va générer des milliards d’euros de revenus pour les finances publiques. C’est autant de moyens pour soutenir l’investissement dans la rénovation thermique des logements, l’électromobilité et la production d’énergie renouvelable, avec des créations massives d’emplois à la clé. Cela permettra aussi de financer l’indispensable accompagnement social et professionnel pour les salariés impactés. Pour que la sortie rapide du charbon soit politiquement et socialement acceptable, il faut mettre de l’argent sur la table.Quel est votre regard sur l’élection française ?Je suis très déçu par le peu de considération octroyée à l’écologie dans le cadre de la campagne présidentielle. La transition énergétique a été largement occultée des débats, à l’exception des propositions ambitieuses du tandem Benoît Hamon-Yannick Jadot et, dans une certaine mesure, de celles de Jean-Luc Mélenchon. Je regrette qu’Emmanuel Macron n’ait pas fait de l’urgence climatique une priorité plus forte. Ceci dit, il vient d’être élu et la nomination de Nicolas Hulot au poste de ministre de la Transition écologique et solidaire est une très bonne nouvelle. Laissons au président le temps de mettre en oeuvre son programme.N’oublions pas qu’Emmanuel Macron est foncièrement pronucléaire
Il est positif de le voir s’inscrire dans la continuité de la loi sur la transition énergétique et de la croissance verte, qui vise entre autres choses une baisse de 30 % de la demande d’énergie et 32 % de renouvelables en 2030, et de ramener la part du nucléaire à 50 % de la consommation électrique en 2025. Son engagement sur ce point est rassurant. Mais attention, n’oublions pas qu’Emmanuel Macron est foncièrement pronucléaire. Il comptait parmi les ministres les plus actifs du précédent gouvernement lorsqu’il a fallu soutenir le projet de nouveaux réacteurs nucléaires d’EDF à Hinkley Point, au Royaume-Uni. J’espère surtout qu’il saura s’émanciper de la tutelle des grands groupes oligopolistiques tels EDF et Engie, comme il clame s’être affranchi de celle des partis politiques traditionnels.

Entretien avec Claude Turmes

Claude Turmes : les lobbies de l'électricité contre la transition énergétique

PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE DE RAVIGNANhttps://www.alternatives-economiques.fr/lobbies-de-lelectricite-freinent-transition-energetique/00079336

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