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Le projet français pour la présidence de la Commission Européenne

Publié le 27 juin 2008 par Argoul

Pour préparer la présidence française de la Commission européenne, un rapport a été demandé par le Président de la République à Laurent Cohen-Tanugi. « L’Europe dans la mondialisation », a été publié en avril à la Documentation Française. Il constate l’affaiblissement relatif de l’Europe depuis les années 1990 pour cause de moindres investissements recherche, enseignement supérieur et technologies de l’information. Il prône une Europe « puissance », vieille idée jacobine qui voudrait entraîner les pays européens sous une bannière bonapartiste afin de faire pièce au monde. Nos partenaires vont-ils suivre notre activisme ?

Les arguments rationnels ne manquent pas – mais le rationnel n’est pas la fin du « politique ». Ce qui manque est peut-être la « volonté » - dont la France fabiusienne du « social ! social ! social ! », comme l’Irlande adolescente du « moi j’existe ! » donnent les écartèlements.

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Arguments :

L’Europe n’existe dans le monde que là où elle s’affirme : politique commerciale, agricole, de coopération - communes. Il faut donc ajouter de nouvelles politiques extérieures communes : diplomatie énergétique et environnement, immigration et codéveloppement, surveillance des prises de contrôle dans les secteurs sensibles.

La croissance des pays émergents est ambivalente. C’est une manne pour nos exportations si nous savons concurrencer les autres fournisseurs tels qu’Etats-Unis et Japon. L’Europe doit aussi faire face à la concurrence croissante de ces économies en plein essor qui exportent leurs marchandises à bas prix et incitent surtout nos grandes entreprises à venir y produire.

Handicap européen : l’énergie. Elle est rare, chère, convoitée. La géopolitique, fondée sur les rapports de puissance, prime aujourd’hui. Bien plus que les « amitiés » de la Françafrique ou les « intérêts » conjoints des actionnaires américains et arabes. Les pays émergents importants utilisent l’économie comme un outil de la puissance (Russie, Chine, pays du Golfe, Brésil, Vénezuela…). Ce pourquoi il vaudrait mieux négocier ensemble.

Autre handicap justement : l’égoïsme national. « Le protectionnisme n’est depuis longtemps plus une option pour l’Europe, moins encore que pour aucun autre acteur du commerce mondial (…). A l’échelle de la planète, l’Union européenne est un acteur de taille moyenne très dépendant de son commerce extérieur. » Mais quels sont les efforts des politiciens pour faire accepter une union toujours plus forte aux Européens ?

Le changement climatique va générer un secteur économique nouveau et appelé à être l’un des moteurs de l’économie de l’innovation. L’Europe est bien placée, leader sur l’économie verte avec un avantage technologique dans de nombreux domaines. » Sauf que… innover est bien joli mais avec quels entrepreneurs ? Quelles grosses PME ? Quels investissements privés et publics ? Quelle politique conjointe de recherche ? Quelle reconversion pour les licenciés des industries traditionnelles ?

Autre atout, l’euro. « Avec la plongée du dollar, la monnaie européenne est en passe de devenir la 2ème monnaie de réserve internationale. Cette ‘mondialisation’ de l’euro est porteuse d’atouts considérables pour l’Europe : protection face aux fluctuations monétaires, capacité à influencer la compétitivité européenne à travers la politique monétaire, constitution d’un vaste marché financier en euros, voire financement plus facile des déficits… » Sauf que… une véritable monnaie est une monnaie « puissance » avec une politique budgétaire commune d’investissement et de redistribution. Ce n’est pas le cas dans l’UE – personne n’en veut. Patrick Artus y voit même un germe de divergence des modèles industriels, donc d’éclatement potentiel de l’UE. Sur ce sujet, on se contente d’incantations.

Le constat du rapport est sans appel : « L’alliance du libre-échangisme et de l’idéalisme produit ainsi un consensus européen en faveur d’une ‘politique de l’exemplarité’ qui tient actuellement lieu à l’Union de stratégie économique extérieure : ‘imposons-nous les contraintes qui nous semblent bonnes pour nous-mêmes et efforçons-nous de convaincre nos partenaires et concurrents de faire de même’. » Progressiste sur le principe, cette politique de ‘réciprocité positive’ est surtout naïve : que faire si nos partenaires ne jouent pas le jeu ? et que faire pendant la longue période de transition requise ? Or, nous sommes devant « de nouvelles grandes puissances économiques et politiques qui ne sont, pour la plupart ni des économies de marché, ni des démocraties libérales, ni des alliés naturels de l’Occident, et manient sans complexe les armes économiques à des fins politico-stratégiques, et vice-versa. Qu’on le veuille ou non, le dogme libéral de la déconnexion de l’économique et du politique qui avait marqué les deux dernières décennies du XXème siècle a vécu. » Cet accent Védrine, nous l’approuvons. Encore faut-il qu’il se traduise dans le concret !

Or ses propositions concrètes sont bien floues. L’Europe « devrait » suivre les Etats-Unis en favorisant les négociations bilatérales pour utiliser pour son intérêt son poids économique. Mais lequel de nos grands partenaires est prêt à cela ? L’Allemagne culpabilisée par son passé de puissance ? L’Angleterre, soucieuse de conserver par-devers tout sa liberté de manœuvre ? L’Italie incapable de décider déjà pour elle-même ? Suffit-il de dire « yaka » ?

Je crains que le rêve jacobin ne soit pas celui de la plupart des Etats de l’Union européenne. D’autant que les créneaux historiques du fédéralisme sont passés… repoussés avec horreur par les gaullistes et les communistes français (la Communauté Européenne de Défense des années 1950, la proposition allemande de fédération repoussée par les socialistes jacobins sous Mitterrand…). Les États et les populations sont las de la « grande » politique, las du volontarisme français, toujours soupçonné d’un certain impérialisme moral – surtout dans les pays où Napoléon a passé pour exporter « la révolution ». Ils préfèrent une Europe-suisse à une Europe-puissance. L’Europe du droit et du marché en commun – le plus petit dénominateur commun des intérêts nationaux qui la composent.

Mais on peut toujours essayer…

Laurent Cohen-Tanugi vient de lancer le site www.euromonde2015.eu dédié au rapport « EuroMonde 2015, une stratégie européenne pour la mondialisation ».


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