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Laurent Fiévet revisite les comédies musicales

Publié le 01 juillet 2017 par Savatier

Laurent Fiévet, titulaire d’un doctorat en études cinématographiques et audiovisuelles, aurait pu se contenter d’enseigner le septième art. Mais, à force de visionner des films, de les assimiler jusque dans les moindres détails, l’envie lui est venue de constituer et partager une forme de musée imaginaire, non pas en accumulant les pellicules ou les DVD, mais en créant ses propres vidéos à partir de séquences de films existants qu’il revisite. Avec l’exposition Ball change, qui se tient jusqu’au 22 juillet à la galerie Mathias Coullaud (12, rue de Picardie, 75003), l’artiste présente son travail singulier, à travers plusieurs installations tout à fait étonnantes. Ball change s’articule autour d’un thème familier de tous (du moins, le croit-on avant de pousser la porte de la galerie) : la comédie musicale hollywoodienne.

Une première installation, intitulée « Dislocated », met en présence trois grands écrans sur lesquels alternent des séquences de Down Argentine Way (1940), The Gang’s All Here (1943), Tous en scène (1953), West Side Story (1961) et Mary Poppins (1964). Cinq grands classiques et cependant cinq univers hétérogènes. Chaque écran diffuse une scène différente, mais la bande-son d’un seul film s’impose avant qu’une autre vienne s’y substituer. Des banquettes sont mises à la disposition des visiteurs ; il est conseillé de s’y installer et d’observer ce qui se passe devant nos yeux. Au premier abord, le spectateur ne voit qu’une succession de séquences ; pourtant, progressivement, il découvre le travail de Laurent Fiévet, qui joue des images comme un violoniste de son archet, pour en obtenir les effets les plus extrêmes, mais avec une grande délicatesse : les personnages avancent, puis reculent, une scène se superpose à une autre, les rythmes varient. Une nouvelle chorégraphie en résulte. Suivre les trois écrans simultanément ou se concentrer sur l’un d’entre eux, tel est le dilemme pour le regardeur. Son cerveau est soumis à ces changements constants, qui suscitent une grande diversité de perceptions, dans un spectacle quasi-hypnotique.

Laurent Fiévet revisite les comédies musicales

Dans la salle suivante, deux écrans placés en angle diffusent des extraits du célèbre French Cancan de Jean Renoir (1954). Cette fois, donc, un seul film sert de matériau à l’artiste, mais la succession des plans, les passages constants et répétitifs d’avant en arrière, en annihilant toute référence narrative, produisent un même effet endiablé et hypnotique. Au point que le cinéphile, qui ne sait plus très bien où il en est, finira par être surpris de reconnaître au passage les visages, connus ou oubliés, de Jean Gabin, Dora Doll, Jean Parédès, Jean-Marc Tennberg, Léo Campion ou Rosy Varte.

Plus calme et très esthétique, une troisième vidéo reprend avec la même approche (et la déformation visuelle) la scène des bas de soie de La Belle de Moscou (1957), avec Cyd Charisse. Laurent Fiévet l’a intitulée « Wool Stockings », exercice facétieux lorsque l’on sait que le titre original du film était « Silk Stockings »… Enfin, une dernière, « Hollywood » – que l’on peut voir en trois nuances de couleurs – met en scène la même Cyd Charisse et Gene Kelly dans la séquence culte « Broadway Melody Ballet » de Chantons sous la pluie (1952).

On ne mesure pas assez la somme de travail que représentent ces montages minutieux. Le visiteur sort de ce tourbillon d’images, les sens défiés par chaque œuvre et assez ébloui. Sa perception des grands classiques qu’il pensait connaître, car issus de la mémoire collective, s’en trouve modifiée. Certes, beaucoup s’interrogent encore sur le statut de la vidéo qui, progressivement, s’installe dans les musées et les expositions. Est-ce une œuvre d’art, dans la mesure où elle reste intangible, éphémère, à l’opposé d’une peinture ou d’une sculpture dont la matérialité rassure. Sans doute l’est-elle : le travail de Laurent Fiévet en témoigne. Quant au support numérique, il laisse au collectionneur le loisir de regarder et de partager cette œuvre selon sa fantaisie. Et c’est peut-être cela, la magie.


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