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Pourquoi je ne serai jamais sociologue. A propos du livre de Becker : La bonne focale. De l’utilisation des cas particuliers en sciences sociales

Publié le 09 juillet 2017 par Antropologia

Pourquoi je ne serai jamais sociologue. A propos du livre de Becker : La bonne focale. De l’utilisation des cas particuliers en sciences sociales  BECKER, Howard S. La bonne focale. De l’utilisation des cas particuliers en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2016.

Dans le but de valoriser l’examen de situations, Becker nous propose différents exemples de première ou deuxième main pour lâcher au milieu du livre, à la page 157, la phrase suivante : « …une fois que les faits allégués sont infirmés, les idées demeurent… ». Au delà du vocabulaire que je ne peux accepter – on ne rencontre pas des « faits » mais des informations – Becker avec sa franchise et sa subtilité habituelles nous donne la clef des différences entre une anthropologie « sérieuse », la nôtre, et la sociologie. Cette phrase montre que même chez les plus convaincants  (Becker), la sociologie trouve une large part de son autorité non dans les résultats des enquêtes mais dans le récit « suggérant des dimensions, des aspects » des événements étudiés – « une émeute à Durban, des troubles dans un pays de l’Europe centrale »…

Ainsi le travail du chercheur en sciences sociales serait davantage celui d’un essayiste qui imagine des récits que de l’enquêteur qui veut accéder à des informations les moins discutables. Christopher Lloyd nous avait pourtant dit depuis longtemps que « l’histoire des sciences semble indiquer que le long parcours des valeurs des structures incluant des théories générales ne dépend pas au départ d’une simple confirmation empirique » (Lloyd, 1993). Nous rencontrons souvent cette tentation de l’essai, mais même Becker la justifie.

Il convient maintenant d’en rechercher les causes, multiples et concomitantes. La première résulte de la nécessité d’interroger les documents de toutes les façons possibles et si possible nouvelles. Ce décentrage est illustré par toute l’œuvre de Foucault ce qui lui a permis de se dispenser avec succès de consulter les archives. Il posait de nouvelles questions à des informations relativement connues (les livres de médecine de la fin du XVIIIème siècle par exemple). Il restait en même temps dans la tradition de la philosophie qui reprend de manière nouvelle les textes antérieurs. Mais les sciences sociales qui affirment rendre compte de la réalité pratique (et pas seulement de ses causes) ne peuvent adopter cette démarche. Aussi, d’autres pensent devoir se consacrer à la rédaction d’ « essais à la française » selon l’expression de Chartier où ils présentent leurs opinions sans daigner les justifier par autre chose que leur statut institutionnel ou politique.

Comme souvent, De Certeau nous fournit le fil de l’affaire quand il oppose ce qui est observé à ce qui est conclu, autre formulation de la séparation entre les sources de première et de deuxième main (Certeau, 2005 : 93). Anthropologue, je choisis résolument les premières. Malgré sa subtilité et ses enquêtes Becker n’a pas voulu rompre avec une tradition fort néfaste qui croit pouvoir se dispenser de critiquer ses sources et il n’est pas le seul.

Bernard Traimond

CERTEAU; Michel de, L’invention du quotidien. 1.arts de faire, Paris, Folio essais, 2005.  

LLOYD, Christopher, The Structure of History, Oxford, Blackwell, 1993.



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