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Un été avec Machiavel, de Patrick Boucheron

Publié le 11 juillet 2017 par Francisrichard @francisrichard
Un été avec Machiavel, de Patrick Boucheron

Du 11 juillet 2016 au 19 août 2016, tous les jours de la semaine, France Inter diffuse une émission de Patrick Boucheron, de la série Un été avec Machiavel, un auteur italien certes très connu - il a donné son nom au machiavélisme -, mais en réalité bien méconnu.

Une seule des émissions de la série n'est pas diffusée, celle du 15 juillet, au lendemain de l'attentat de Nice, engloutie dans la tristesse, la colère et l'hébétude qui l'ont suivi. Mais elle figure dans le volume publié par les Éditions des Équateurs, dans leur collection Parallèles.

Or cette émission de la série est importante. Elle est en effet consacrée au De natura rerum de Lucrèce, livre de poésie matérialiste qui a tellement impressionné le Florentin qu'il l'a non seulement lu, à quelque trente ans, mais recopié.

Patrick Boucheron pose d'ailleurs la question à propos du Nicolas Machiavel (1469-1527) lecteur du poète latin: qu'est-ce au fond que sa philosophie sinon le passage en politique du matérialisme de Lucrèce?

Pour Machiavel, en effet, gouverner, ou apprendre à ne pas se laisser gouverner, c'est-à-dire comprendre les choses du politique, consiste à déchirer le rideau des apparences...

Dans le même cinquième chapitre d'un livre qui en comporte une trentaine, au sujet toujours de Machiavel, grand lecteur devant l'Éternel (auquel il ne croyait peut-être pas), l'auteur dit quelque chose qui devrait faire réfléchir:

Jamais les livres ne produisent de révolutions. Ils ne deviennent nos alliés que si nous sommes préparés à les lire. Ils sont des maîtres de liberté, oui, mais seulement pour ceux qui sont suffisamment libres.

Nicolas Machiavel voyage et écrit beaucoup pendant qu'il est premier secrétaire de la seconde chancellerie de la République de Florence, c'est-à-dire de 1498 à 1512: des milliers de dépêches, rapports et lettres de légation à destination de toute l'Europe ...

Machiavel n'est pas l'auteur d'un seul livre, Le Prince, dont le titre originel est De principatibus, qui ne traite pas des républiques mais des principautés et que nous ne savons pas vraiment comment [...] lire , d'autant que ledit prince est un personnage fictif...

L'auteur donne toutefois une clé pour le lire, à partir de la citation d'une recommandation de Machiavel: Aussi est-il nécessaire à un prince, s'il veut se maintenir, d'apprendre à pouvoir ne pas être bon et d'en user et de n'en pas user, selon la nécessité.

Il la commente ainsi: Nécessaire: la pensée politique de Machiavel est une philosophie de la nécessité. Elle vise un but: se maintenir. Ses règles d'action ne s'imposent aucune autre fin que l'usage: user, ou ne pas user, selon la nécessité.

Machiavel n'est pas l'auteur d'un seul livre. Il a écrit des comédies, dont La Mandragore. Relire Le Prince après l'avoir lue peut faire douter le lecteur: Et s'il blaguait? On lit dans l'article "Machiavélisme" de l' Encyclopédie de Diderot et d'Alembert cette notation intrigante:

"Ainsi ce fut la faute de ses contemporains, s'ils méconnurent son but: ils prirent une satire pour un éloge."

Dans Le discours sur la première Décade de Tite-Live, Machiavel pose un diagnostic: la bonne santé du corps social résulte de l'équilibre de ses humeurs, c'est-à-dire non pas d'un ordre politique qui nierait les troubles, mais d'une organisation des désordres sociaux.

Dans L'art de la guerre, il exprime notamment son admiration pour les armées des Suisses, maîtres des guerres modernes. Mais ce qu'il admire le plus, c'est la cohésion politique de ces paysans soldats, soudés par la défense des libertés cantonales.

Dans Histoire de Florence, le principal ressort de sa narration est le déniaisement: l'historien n'exalte ni les grands hommes, ni les beaux principes, il ne s'engage pas plus dans la péroraison vertueuse que dans l'abaissement courtisan.

Ces quelques traits montrent que Machiavel n'est décidément pas celui qu'on dit ...

En tout cas, Patrick Boucheron a bien raison de dire que son nom ne surgit que lorsque l'orage gronde. Il annonce les tempêtes, non pour les prévenir, mais pour nous apprendre à penser par gros temps.

Un tel temps n'est-il pas advenu?

Francis Richard

Un été avec Machiavel, Patrick Boucheron, 152 pages, Éditions des Équateurs

Dans la même collection:

Un été avec Victor Hugo, de Laura El Makki et Guillaume Gallienne (2016)

Un été avec Baudelaire, d'Antoine Compagnon (2015) Un été avec Montaigne, d'Antoine Compagnon (2013)

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