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Abdel-Bari Atwan : l’Irak « encore plus nouveau » et la fin de l’hégémonie américaine au Moyen-Orient

Publié le 13 juillet 2017 par Gonzo

Pour « justifier » la présence de ce billet par rapport à la ligne éditoriale de ce carnet, j’aurais pu évoquer l’importance d’une presse indépendante qui permet (encore), grâce à internet, à de tels points de vue de s’exprimer et d’être lus. Il va de soi en effet que les lignes dont je présente ci-dessous un résumé (fidèle) accompagné d’une courte traduction n’auraient pu être publiées dans la presse du Golfe, non plus que dans la plupart des médias arabes, y compris pour la presse arabophone offshore (à Londres notamment, où Abdel-Bari Atwan (عبد الباري عطوان), l’auteur de cet article, dirigeait un quotidien qu’il a dû se résoudre à vendre aux Qataris, voir ici). Mais je suis loin d’être certain également qu’il trouverait sa place dans la presse « mainstream », en Europe en général et en particulier en France (y compris dans un périodique tel que Courrier international).

En toute franchise, mon envie de présenter à ceux qui n’ont pas accès à la version arabe cet éditorial,  paru le mercredi 12 au soir, tient en réalité à l’importance qu’il revêt à mes yeux. Il exprime le point de vue de ce que l’on appelle le courant nationaliste arabe (l’onglet de recherche vous permettra de vous faire une idée plus précise de ce journaliste aussi important que peu entendu en France). C’est assez différent, comme vous pourrez vous en rendre compte, de ce que nous assène, jour après jour, la cohorte des « spécialistes » et autres « analystes », natifs du monde arabe ou « indigènes » !

Au moment de laisser la parole à l’auteur, j’ai une pensée, que beaucoup partageront ici, pour une amie, Houda Ayoub, qui n’est plus là pour m’aider à débrouiller les pièges d’une langue qu’on n’a jamais fini d’apprendre.

Abdel-Bari Atwan : l’Irak « encore plus nouveau » et la fin de l’hégémonie américaine au Moyen-Orient
Pourquoi Hassan Nasrallah a-t-il fait l’éloge dans son dernier discours des oulémas sunnites en Irak et du rôle qu’ils ont joué pour étouffer dans l’œuf les risques de dissension confessionnelle ? Après l’effondrement du « califat » de Mossoul, sommes-nous à la veille d’une nouvelle carte du Moyen-Orient ? Pourquoi l’Iran s’oppose-t-il à l’entente russo-américaine au sud de la Syrie ?

Abdel-Bari Atwan ouvre son éditorial en mentionnant une étonnante coïncidence, celle de la reprise de Mossoul par les forces irakiennes et du 11e anniversaire de la défaite des troupes israéliennes lors de la guerre de 2006 au Liban. Faut-il y voir le reflet de la montée en puissance de l’axe iranien enchaînant victoire sur victoire en Irak, en Syrie et au Liban, alors que l’axe saoudien est plongé dans une crise interne, dans les tensions entre les États du Golfe à commencer par le Yémen et le Qatar ?

La « ceinture iranienne » qui s’étend de Mazâr-e Charif en Afghanistan jusqu’à la banlieue sud de Beyrouth sur les bords de la Méditerranée en passant par l’Irak et la Syrie gagne toujours en solidité au regard des défaites qu’accumule l’axe opposé. La principale raison des succès du premier tient au fait qu’il s’appuie sur la résistance face à l’occupation israélienne, alors que le second prône au contraire la « légitimation » de l’occupant israélien.

Dans le discours qu’il a prononcé après la reprise de Mossoul, le « chef de la résistance libanaise à l’occupation israélienne » a évoqué une très grande victoire, due notamment à la courageuse position qu’ont prise les oulémas sunnites en Irak, ce qui a permis d’éviter la discorde confessionnelle. Nasrallah a eu raison de parler ainsi, mais c’est également une habile manœuvre qui laisse deviner les craintes de voir des forces régionales et internationales tenter de ranimer un crise entre sunnites et chiites en Irak, par exemple avec l’apparition de nouveaux groupes armés, surgissant après la disparition de l’« État islamique ».

Après la réussite du modèle iranien, celui de forces militaires non traditionnelles du type des Gardiens de la révolution, avec le Hezbollah au Liban, on assiste aujourd’hui au succès des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi) irakiennes, davantage confessionnelles et moins disciplinées, mais qui possèdent tout de même dans leurs rangs quelques dirigeants et combattants sunnites.

Alors que les USA ont pu se vanter naguère d’avoir établi un « nouvel Irak » sur les ruines du parti Baath (trans-confessionnel), on se trouve aujourd’hui en présence d’un « Irak encore plus nouveau », qui retrouve sa place régionale à l’ombre de l’axe irano-syrien.

Toutefois, si Nasrallah a parlé juste lorsqu’il a évoqué ceux qui s’efforcent de minimiser l’importance de la victoire de Mossoul, on aurait souhaité également qu’il évoque les craintes de nombre d’Irakiens, et d’Arabes, face aux risques de dérives confessionnelles dont on a eu plus d’un exemple [lors des combats dans l’ouest de l’Irak et particulièrement à Mossoul], même si certains considèrent qu’il s’agit d’actes isolés.

Le Moyen-Orient «  se dirige vers un remodelage régional de sa carte politique et même géographique au regard de ce qui se met en place à une vitesse accélérée, en Syrie, sous l’influence grandissante de la Russie et dans le contexte de l’échec des spéculations, depuis six ans, sur la chute du régime.

«  La période dorée qui a vu l’argent du Golfe diriger la région depuis deux décennies se défait à toute vitesse, non pas seulement à cause de la baisse des revenus pétroliers et de l’évaporation de la plupart des réserves financières [des pays exportateurs de pétrole], mais également en raison des plans américains visant à introduire le désordre et l’instabilité dans la région du Golfe, tandis que se préparent des procédures judiciaires contre trois de ces États (l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats) accusés de protéger le terrorisme. Quinze actions en justice sont ainsi en cours devant les tribunaux américains contre ces États accusés d’être impliqués dans les attaques du 11 septembre 2001, avec des compensations pour les familles des victimes qui pourraient attendre un montant de trois trillions de dollars.

«  Certes, la plupart des guerres et des tentatives de dislocation [des États existants] qui ravagent la région aujourd’hui profitent à Israël. À court terme, cependant, car les changements auxquels nous faisions allusion dans le cadre du nouvel équilibre des forces sont une menace pour l’existence de cet État. Ce que celui-ci craint le plus, actuellement, c’est l’arrivée à sa frontière, au sud de la Syrie, de forces militaires iraniennes non conventionnelles (à savoir le Hezbollah, les Gardiens de la révolution et les Unités de mobilisation populaire). D’ailleurs, le fait que l’Iran ne soit guère satisfait de l’entente russo-américaine pour un cessez-le-feu dans cette zone en est la meilleure illustration, ce qui nous incite à douter de la possibilité pour cette entente de durer. »

ABA évoque encore l’Égypte, qui fait sans doute partie de la coalition quadripartite (avec les Saoudiens, les Émiriens et les Bahreïnis) contre le Qatar mais veille à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier puisqu’elle a officiellement félicité les autorités irakiennes pour leur victoire à Mossoul, tandis que les attaques dans la presse cairote contre le régime iranien se font moins nombreuses.

En conclusion, il lui apparaît que les changements actuels affaiblissent la suprématie des USA aux Moyen-Orient. Peut-être même y mettent-ils fin…


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