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Le Nil (extrait de "Comment l'homme devint humain")

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit
L'Egypte s'étire entre deux déserts pour s'épanouir,comme l'éventail d'un palmier, dans le delta du Nil fertilisé par les limons du fleuve. Que reste-t-il des trente et une dynasties orgueilleuses de ses pharaons si nous en retenons seulement ce qui a apporté quelque forme nouvelle de la vie, et qui demeure vivant pour nous ? Ce ne sont point les conquérants éphémères qui ont fait graver leurs exploits dans le granit... Qu'importe si, aujourd'hui, leurs sarcophages sont vides et dénouées les bandelettes de leurs momies ... Narmer, Touthmôsis, Ramsès ... Les rêves des conquérants ont tourbillonné comme des feuilles mortes et les sables en ont recouvert le sang. Que reste-t-il de leurs conquêtes, sinon les images qui les évoquent ? Elles n'ont d'autre grandeur que celle de l'artiste qui les a sculptées. Que reste-t-il de leur orgueil et des richesses de leurs tombeaux ? Au-delà des ors et des pierres précieuses, leur avidité de conserver dans la mort leurs guerriers et leurs serviteurs fait revivre, en figurines d'argile ou de bois, toute l'activité quotidienne d'un peuple. La vanité des morts nous révèle le labeur des vivants. Avec ses armées, ses rameurs, ses laboureurs et ses maçons, ses femmes filant le lin , et les enfants même emportant leurs jouets dans le tombeau du roi . Que reste-t-il des flux et des reflux de trois mille ans d'histoire où, par trois fois, se reproduit le même cycle d'évolution ? Pour que les crues du Nil soient un bienfait, et non une malédiction, la construction des digues et des canaux exigeait un pouvoir centralisé. Par trois fois, avec l'Ancien , le Moyen et le Nouvel Empire, se réalise cette unification. Par trois fois elle se désagrège. L'histoire de l'ancienne Egypte est soumise à ce rythme. Ce qui demeure, c'est le mythe d'Osiris, symbole de cette histoire des hommes, de la terre et des dieux : Osiris, le dieu déchiré par ses ennemis du désert, le dieu qui ressuscite lorsque l'amour d'Isis, son amante et sa soeur, rassemble ses membres dispersés. Trois étapes de la religion peuvent se lire à travers le mythe d'Osiris. C'est d'abord un dieu de la nature, qui renaît à chaque printemps avec la végétation. C'est ensuite un dieu politique, qui renaît, comme l'Egypte, après chaque démembrement féodal. C'est enfin un dieu spirituel, symbole de la résurrection, comme loi universelle du monde, de la nature et de l'histoire. Ce qui demeure, c'est cette première méditation sur la mort que sont les pyramides, tentes de granit plantées au milieu du désert, pour construire à un roi sa maison d'éternité.
Il est un moment de l'histoire de l'Egypte plus haut que tous les autres : celui de ce pharaon du XIVe siècle avant Jésus-Christ, dévoré par la fièvre de Dieu : Akhénaton. Il construisit des sanctuaires sans idoles, où le pluriel du mot « dieu » fut partout effacé. Il refusa les conquêtes. Il choisit de transformer les hommes. Il a dit sa foi en un Hymne au Soleil, invoquant en lui le dieu unique donnant la vie à toutes les créatures de l'Univers. Les arts ont alors vécu dans leur grâce, sous le regard de son épouse Néfertiti, dont le nom d'étrangère signifie : « La belle est venue ». Lorsque Akhénaton disparut, à l'âge de trente ans, le crépuscule est descendu sur le Nil: il y eut encore des conquérants stériles. Il n'y eut plus de fécondation de l'histoire digne de l'immortalité.
Roger Garaudy
Comment l’homme devint humain, pages 40 à 48 (les illustrations ne sont pas reproduites sauf un extrait de bas-reliefs funéraires où Ramsès est représenté dans l’exercice du massacre)
Ed. J.A., 1979 Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur FacebookPartager sur Pinterest Libellés : Arts, Dialogue des cultures, Histoire, Roger Garaudy

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