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Par Julien Leray @Hallu_Cine

Tokyo, la capitale japonaise aux dizaines de millions d’habitants, brille de mille feux. Les halos lumineux, les néons perçants, la lune bleue. La flamme d’une bougie s’évapore et disparaît pour se fondre dans l’évanescence colorée de Shibuya.

Une multiplicité d’éclairages pour autant d’âmes se croisant sans se lancer un regard, obnubilées par les écrans, pressées par le temps.

Au milieu d’elles, Mika, de son côté, détonne. Détachée du monde, pourtant pleinement consciente de ses paradoxes et ses contradictions, elle, comme tant d’autres, cherche à joindre les deux bouts au sein d’une ville ne lui laissant que trop peu d’espoirs de voir s’améliorer son sort et sa condition. Elle, la fille de la campagne, envoyant régulièrement de l’argent, autant qu’elle le peut, à son père, essaie d’assumer (esseulée) son quotidien, partagé entre ses chiffres d’infirmière le jour, et d’hôtesse de bar pour hommes la nuit.

Pour survivre tant bien que mal à son existence meurtrie.

De son côté, Shinji tâche d’en faire de même en travaillant sur des chantiers. Ceux des Jeux Olympiques de Tokyo de 2020, devant redonner lustre, élan et entrain à l’ensemble de la société, quand ces ouvriers de la construction, payés une misère, resteront eux des laissés-pour-compte bien vite oubliés.

Deux individus perdus dans l’immensité de Tokyo, que le hasard réunira à de multiples reprises. Un pied-de-nez à la fatalité qui semble animer Mika, volontairement nihiliste et constamment sur ses gardes, et aux mauvais présages que Shinji ne cesse d’annoncer.

Les voir alors disserter, avec maladresse et sincérité, sur le sens de leur présent qui, inévitablement, ne fait que les renvoyer à leurs contradictions. Les observer se fuir, se chercher, se retrouver pour encore tout éclater, tout cela participe de l’humanité transpirant de ces personnages résolument attachants.

Les deux vont ainsi se nourrir l’un l’autre de leur vision du monde respective, limitée physiquement pour Shinji (celui-ci ayant perdu l’usage de son œil gauche), émotivement pour Mika, profondément marquée par le décès de sa mère il y a plusieurs années.

The Tokyo Night Sky Is Always The Densest Shade Of Blue n’aborde ainsi pas la romance par le prisme usuel de la simple attirance, mais davantage par celui de la construction patiente et de la reconnaissance. Une version contemporaine et rafraichie du Chungking Express de Wong Kar-wai, brillant d’ailleurs depuis trop d’années par son absence…

Dans ce Tokyo dépersonnalisé, rien n’est facile, rien n’est gagné. Le destin à tout instant peut frapper, en bon comme en mauvais.

Or ce que Yûya Ishii arrive magnifiquement à matérialiser, c’est la nécessité, quoi qu’il arrive, de prendre des risques, ou de ne pas se complaire dans l’immobilisme. Socialement comme émotivement.

Par un subtil travail sur la chimie des formes, la taille du cadre, les ruptures de tons et de sons entre le premier plan et l’arrière-fond, temps suspendu à l’avant, accéléré et frénétique à l’arrière, Yûya Ishii fractionne et déconstruit constamment ses plans.

Desquels résulte alors une profusion de détails assez bluffante, rendant l’image riche et chargée en informations, tout en lui laissant le temps de respirer et d’exister.

La bande-son, aux partitions lyriques auxquelles se substituent des morceaux intra-diégétiques davantage pop’ et électroniques, bien que pourtant très présente, ne se montre elle non plus jamais trop explicative ou démonstrative.

Yûya Ishii, utilisant adéquatement les finesses du langage, distille ainsi son propos d’abord par les sens (toujours sollicités, jamais agressés), ensuite au besoin, par les mots.

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Il est d’ailleurs assez savoureux de relever (puis de faire un parallèle avec l’art ciné) les nombreuses remarques faites, tout d’abord à Shinji puis finalement à Mika aussi, quant à leur incapacité à ne pas parler lorsqu’ils sont gagnés par une grande nervosité. Une verbomotricité qui tend à étouffer leurs interlocuteurs, et les noyer sous un flot de paroles qui tendrait à les décrédibiliser.

Écho conscient ou hasard structurel ? Toujours est-il que Yûya Ishii a effectué sur le plan de la narration un travail d’orfèvre, en faisant exprimer beaucoup à ses personnages et à ses plans, tout en restant sobre et jamais contemplatif.

Jamais contemplatif, certes, mais pourtant profondément poétique. Une poésie dont les fondements ne se trouvent pas, une fois n’est pas coutume, dans un amour de l’ouvertement lent, mais bien dans la rythmique, la musicalité du montage, la picturalité des images, tout comme dans la résonance personnelle, toute sensorielle, des thématiques.

Et puis, Tokyo. Écrasante et dévorante par son immensité, symbole d’une société à la pression, sur l’individu, démesurée. Subjuguante par son architecture, sa complexité, son activité.

Une dualité que Yûya Ishii arrive, là encore, à capter. L’âme paradoxale de la cité.

Un paradoxe à l’image de ces personnages bigarrés, Mika et Shinji en premier lieu, mais aussi les collègues de ce dernier (en particulier Iwashita, celui à la braguette mal zippée) qui, eux-aussi, sont constamment en décalage complet. « Je suis bizarre » vont-ils répéter. Ce que le réalisateur va se faire fort de souligner.

Non pas pour s’en moquer ! Bien au contraire, c’est une véritable tendresse à leur endroit qui l’anime et qu’il entend partager. Leur singularité, au sein d’une société japonaise très codifiée, plus qu’un poids ostracisant, devant davantage être vue comme un atout, une véritable planche de salut.

The Tokyo Night Sky Is Always The Densest Shade Of Blue, sous des dehors de film d’auteur élitiste, se fait ainsi la voix de l’originalité, du respect de la marginalité, de l’importance d’assumer sa différence pour ne plus survivre, mais simplement exister.

En dehors d’une belle carte à jouer au concours du titre le plus long de la décennie, le dernier-né de Yûya Ishii, film plein et à tous points de vue accompli, pourrait aussi fort bien rafler la mise à celui du meilleur film de l’année.

Une récompense qui, au vu de ses qualités, n’aurait vraiment rien d’usurpée.

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Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2017.


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