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La science musulmane

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit
La science musulmane Ses principes. La science musulmane est intimement liée à une vision du monde, de l'homme et de Dieu : celle de l'islam. Elle reçut l'héritage des grandes civilisations des pays que les Arabes occupèrent. Héritage grec, à travers l'Empire byzantin, et souvent à Alexandrie, où s'était opérée
la synthèse des cultures égyptiennes et grecques 
après la
décadence de ces deux civilisations, et où 
avaient pénétré les
 doctrines orientales. Héritage de 
l'Iran, qui ne transmettait
 pas seulement sa propre 
culture, celle de la Chaldée et de la
Babylonie, mais 
aussi celle de l'Inde. Les premiers califes invitèrent à Bagdad des savants indiens et firent traduire leurs traités de mathématiques et de médecine. Enfin les Arabes apprirent des Chinois l'usage de la boussole, l'alchimie et la fabrication du papier : c'est en effet après la bataille du Talas en 751, en Sogdiane, sur la route de la soie (entre les troupes chinoises des empereurs T'ang et les Arabes), que des prisonniers chinois apprirent aux Arabes la méthode de la fabrication du papier avec du lin et du chanvre ; la première fabrique fut fondée à Bagdad en 800. C'est par l'Espagne musulmane que le papier gagna l'Europe qui n'en fabriqua, en Italie et en Allemagne, qu'au XIVesiècle. L'importance du papier pour la diffusion de la culture est incalculable. Mais tout cela fut repensé, transformé et fécondé par la vision spécifiquement islamique du monde : toutes les formes de l'univers ne sont que reflet ou symbole de Dieu. L'Un s'y révèle à travers le multiple. Ce principe d'unité implique une conception vivante, unique (et non pas analytique et mécaniste de la science). Tout ce qui a été amené à l'être par l'acte créateur de Dieu est en interaction, et les diverses sciences elles-mêmes sont interdépendantes : il y a unité des diverses formes de savoir. De cette conception découle un certain rapport de l'homme avec la nature et avec les sciences. La loi qui gouverne la vie, et que les sciences, comme toutes les forces du savoir, aident à connaître, doit aider l'homme à vivre d'une vie plus haute, en harmonie avec la nature, en communion avec les hommes et avec Dieu, contemplé au miroir de son oeuvre. Enfin, l'importance accordée à la perception sensible des êtres, qui sont symboles visibles du Dieu invisible, permet de mettre l'accent sur la méthode expérimentale, à l'inverse des seules spéculations déductives des Grecs classiques — dont nous avons vu qu'aucun, à Athènes, ne s'intéressait aux sciences de la nature, pratiquées en Asie Mineure par les présocratiques, et à Alexandrie en Egypte (d'Euclide à Ptolémée). Il est remarquable que le précurseur des méthodes d'observation et d'expérimentation en Occident, Roger Bacon (1214-1294), qui avait étudié l'arabe, a écrit que la connaissance de la langue et de la science arabes était, pour ses contemporains, la seule possibilité d'accès à la connaissance véritable. La Vepartie de son Opus majus, consacré à la perspective, est une traduction de L’Optique d'Ibn Haitham (965-1032), que l'Occident appelait Alhazen. La science islamique et les techniques qui en découlent sont la source principale de la science de la Renaissance occidentale. Ses réalisations. Cette science islamique, à la différence de la science occidentale moderne, positiviste, ne sépare pas les sciences particulières de la sagesse. Le positivisme, en laissant à une métaphysique, coupée de la connaissance quotidienne, le problème des fins et de l'ouverture à l'infini, a réduit les sciences à n'être que techniques de manipulation de la nature et de l'homme, et à laisser se développer une véritable religion des moyens, n'offrant, pour satisfaire la vraie soif de l'homme, que le faux infini des désirs et de leur démesure. Cette rupture était-elle nécessaire au développement des sciences ? Les résultats obtenus par la science islamique prouvent le contraire. En mathématiques, les musulmans, tout en intégrant la géométrie des Grecs, ont mis l'accent sur l'algèbre, et sur l'infini plus que sur le fini. Le poète Omar Khayyam (v. 1050-1123) résout les équations du troisième degré cinq siècles avant Descartes. En astronomie, Farghani écrit en 860 un traité qui fait autorité en Europe jusqu'au X V I e siècle. L'observatoire fondé à Maragha (Iran) par Houlagou, puis celui de Samarcande, construit par OulougBeg, seront les modèles de ceux de Tycho Brahé et de Kepler. Birouni (973-1048) calcule le diamètre de la terre. En médecine, l'Iranien Razi (v. 860-v. 923), auteur d'une monumentale encyclopédie médicale qui, traduite en latin, fait autorité dans tout l'Occident médiéval, est un véritable précurseur de la « clinique ». Les médecins musulmans pratiquaient l'opération de la cataracte par succion, au moyen d'une aiguille creuse, dès le VIIIe siècle, savaient cautériser et suturer les plaies, connaissaient la chirurgie dentaire. En chimie, outre la découverte de produits tels que l'ammoniaque et l'acide nitrique, les méthodes de distillation, de sublimation, de cristallisation sont couramment pratiquées par les Arabes. En sociologie, Ibn Khaldoun (1332-1406), trois siècles avant Montesquieu, à une époque où l'Europe ne connaissait que des « chroniqueurs », recherche les lois du développement historique, et, au-delà du « hasard », les causes cachées. Il-énonce le principe de base du matérialisme historique :« Les différences que l'on remarque dans les usages et les institutions des divers peuples, écrit-il dans ses Prolégomènes, dépendent de la manière dont chacun d'eux pourvoit à sa subsistance. » Alors que les économistes européens ne s'affranchiront du « mercantilisme » qu'au XVIIIe siècle, il note que ce ne sont pas les métaux précieux qui constituent la richesse d'une nation, mais le travail.
Roger Garaudy
Comment l’homme devint humain
pages 207 à 212 Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur FacebookPartager sur Pinterest Libellés : Dialogue des cultures, Histoire, Islam, Roger Garaudy

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