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Grave (2017), Julia Ducournau

Par Losttheater
Grave (2017), Julia Ducournau

La scénariste et réalisatrice Julia Ducournau a signé un des premiers films les plus audacieux des années 2010 avec Grave ; un classique instantané, qui est à la fois viscéralement vivifiant et radicalement créatif. Fiévreux dans son intensité, pertinent dans sa philosophie, c’est un film qui étaye la complexité du jeune âge adulte avec une précision fulgurante, et qui est pourtant encore capable de se plonger dans un cadre horrifique ; réhaussant le niveau de la vaste majorité des films de genre de ces dernières années.

On suit Justine (Garance Marillier), la benjamine d’une famille strictement végétarienne, qui a maintenu un régime sans viande depuis sa naissance. Suivant les pas de sa sœur aînée et aussi de ses parents, elle rentre pour sa première année dans une école vétérinaire ; un lieu rempli de possibilités, et encore plus important, d’indépendance. Toutefois l’institution – dans laquelle sa sœur Alexia (Ella Rumpf) étudie déjà – l’entraîne dans un rituel de bizutage féroce ; un assaut de dégradation et d’indignité, que tous les nouveaux étudiants doivent subir comme une tradition. Une des « activités » force Justine à consommer un organe animal cru, mais une fois ingéré, son corps et son esprit réagissent d’une manière alarmante, et elle développe bientôt une faim insatiable pour toute forme de chair…

Grave (2017), Julia Ducournau

Durant 95 minutes, Ducournau établit sa voix d’auteure avec une confiance magnétisante. Son scénario juxtapose nos attentes sur le passage à l’âge adulte tout en troublant la ligne narratrice. Grave canalise des parts égales de comédie noire, de commentaire social piquant, et d’une terreur tressaillante avec une précision chirurgicale. Tout cela grâce à une caractérisation des personnages fantastique et des coups métaphoriques. Alors que Justine commence à comprendre sa véritable vocation et son identité : le film délivre un twist subtil sur le développement de la jeune fille qui devient femme.

Il y a eu une plénitude de rêveries sur les projections du film à l’international, et les réactions qu’elles ont provoqué. Des rapports sur des gens s’évanouissant, vomissant et s’échappant des salles de cinéma ont suivi la campagne festivalière du film tout autant que l’acclamation reçu au Festival de Cannes. Il est pourtant une chose à rappeler : Grave n’est pas fait pour tout le monde. Ses incessants et pénibles portraits sur la vie universitaire servent une poignée de scènes dérangeantes, mais peut-être pas dans la manière à laquelle vous y pensez. Le film de Julia Ducournau a une approche extrêmement primale. Les fêtes universitaires sont captées avec un hédonisme féroce ; une musique tonitruante, des lumières stroboscopiques, de la consommation de drogue, une tension sexuelle vibrante d’une manière maniaque à travers l’écran, tandis que les chirurgies d’animaux sont représentées d’une manière médico-légale ; une lame s’enfonce et des boyaux s’échappent. Il n’y a pas de temps pour l’attachement ou la sympathie.

Cependant, le thème du cannibalisme – ce à quoi les spectateurs s’attendent en matière de moments gores – est en fait traité avec une vraie finesse. La transition de Justine de végétarienne à mangeuse de viande est aussi délicate que son altération de jeune fille précieuse et vierge à son comportement agressif et délibéré. Ni le script exemplaire de Ducournau ou sa caméra frénétique ne prennent le personnage de Justine pour acquis, et ne dégrade pas non plus ses valeurs ou ses perspectives sur un simple développement narratif. Grave a été vu par certains comme un « film de cannibales féministe », et il y a du vrai dans cette déclaration. Justine est d’abord une femme, une étudiante ensuite, et enfin une dévoreuse de chair ; et non pas dans le sens inverse.

Grave (2017), Julia Ducournau

Les partis pris de la mise en scène sont remarquablement assurés, et l’écriture est thématiquement bien informée dans ses intentions, et pourtant l’ensemble reste excitant et jeune dans son exécution. Les dernières années écoulées nous ont montré des premiers films d’horreur très impressionnants comme The Witch de Robert Eggers ou encore It Follows de David Robert Mitchell, mais Julia Ducournau a fait une apparition remarquée en imposant une vision et une dominance explosive. Sa caméra fouette les décors, en parallèle de la difficulté de Justine à respirer alors qu’elle traverse un champ psychologique tourmenté, avant de ralentir et de devenir profondément intrusive jusqu’à ce que la lentille envahisse l’espace d’intimité de l’héroïne. Sans spoiler, certains moments où Justine est à son plus vulnérable sont tellement proche de la nausée que vous pouvez sentir une perle de sueur juste au-dessus du sourcil.

La performance de Garence Marillier n’est rien d’autre que phénoménal. Elle occupe constamment chaque plan, interprétant une jeune fille ingénue qui va vite tomber dans un abysse d’angoisse et de malaise. Les yeux de biche sont tellement bien joués que vous ne croiriez jamais qu’un tel monstre puisse se cacher dessous. Mais une fois que cette face explose, vous serez stupéfait de n’avoir jamais repéré la furie animale attachée à cette façade délicate et douce. Les performances secondaires de Ella Rumpf et Rabah Nait Oufella (Adrien, le colocataire ouvertement gay de Justine) sont toutes aussi fascinantes.

Viscéral et sans peur, Grave est une pièce de résistance. Un travail exemplaire, qui ne prend personne en otage et qui n’accepte aucune facilité. A la fois film d’horreur, teen movie et drame familial, Julia Ducournau livre un film de genre qui fait un bien fou dans le paysage cinématographique français.

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