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Saint-Exupéry Paraclet, de Sylvain Fort

Publié le 19 août 2017 par Francisrichard @francisrichard
Saint-Exupéry Paraclet, de Sylvain Fort

Le Paraclet est le nom donné au Saint-Esprit, la troisième personne de la Trinité. Il signifie en effet le consolateur, le protecteur. Au terme de son essai lumineux sur Antoine de Saint-Exupéry, Sylvain Fort attribue ce qualificatif divin à l'auteur du Petit Prince:

Saint-Exupéry n'eut pas le temps de livrer tous ses trésors, mais il importe aujourd'hui qu'il soit encore des hommes pour entendre sa parole. Elle est celle d'un consolateur. D'un protecteur contre la détresse des temps. D'un Paraclet.

Il faut dire que Saint-Exupéry n'a pas eu le temps de mettre en ordre son magnus opus, Citadelle (500 pages dans l'édition 1959 de ses dans La Pléiade), mais il aura eu le temps de disposer avec patience les jalons de sa philosophie et de réinventer les piliers de sa piété.

Saint-Exupéry haïssait les doctrines et les doctrinaires, le conformisme abruti: Il a vitupéré l'esprit de troupeau et l'anéantissement de l'homme par lui-même. S'il a abandonné le chemin catholique suivi dans l'enfance il a conservé en lui l'empreinte profonde de cette spiritualité.

Il n'a jamais pu se résoudre à l'avilissement de l'humanité, au confort intellectuel, à la satisfaction du ventre. Parce qu'il a foi en l'homme, celle d'une naturaliter christiana, et parce qu'il ne peut admettre que l'homme mette son âme en jachère:

L'intelligence s'instruit. Seule l'âme se cultive. On peut vivre de son intelligence. Peut-on vivre sans âme?

Si la mort biologique est inéluctable, la mort spirituelle peut être conjurée. En se colletant avec la réalité tangible de la mort pour mieux la défier, c'est-à-dire en engageant tout son être. Il hait le jeu sans caution qui consiste à n'engager que la partie mentale de l'être:

Il ne fut ni écrivain surréaliste ni écrivain engagé.

Cet engagement total suppose un arrachement: La libération n'intervient qu'au prix du risque. Il faut mettre en jeu le peu qu'on possède pour posséder davantage. Sans certitude sur le résultat, avec la conviction que seule est digne de ce nom une vie qui prend les chemins escarpés :

Seule compte la démarche, car c'est elle qui dure et non le but qui n'est qu'illusion du voyageur quand il marche de crête en crête ( Citadelle)

Quand ce chemin difficile est entamé, la récolte est grande: elle se traduit par la présence au monde. Que Saint-Exupéry exprime dans une langue qui possède la puissance marmoréenne de la parole biblique : Pour dire une présence, il faut s'imprégner d'éternité.

Admettre cette présence de l'Être du monde permet de le surmonter, de se dépasser. C'est pourquoi l'expérience de la survie produit cet enseignement: nos forces spirituelles durent plus longtemps que nos forces physiques et ce sont elles qui, à la fin, nous sauvent.

La vie et la mort ont donc leur signification liée. Ce n'est pas seulement un état de fait: Il s'agit d'un exercice permanent. C'est le sens même de l'ascèse, qui veut dire exercice. Sans cesse il faut savoir pour quoi l'on est prêt à mourir.

Dans Le Petit Prince, Saint-Exupéry reconstitue le monde de l'enfance, non pas à travers le prisme du regard adulte, [...] mais à travers le prisme oublié de l'enfance elle-même Cet esprit d'enfance parcourt toute son oeuvre: en acceptant la mort, en risquant tout, on trouve l'enfance.

Le désert, qui envahit toute l'oeuvre de Saint-Exupéry, a pour vertu de lui permettre de retrouver les lois de l'enfance, parce qu'il y retrouve les sources de la vie dans leur pureté initiale ; de lui permettre de se retrancher des hommes, ce qui favorise l'effusion de l'âme.

Mais l'épreuve du désert met à jour aussi un mystère insondable avec une brutalité coupante, avec une perfection sans nuances: le désert exalte le désir de vivre. Et s'ensuit le corollaire immédiat de ce désir poussé à son paroxysme: le désert fait de l'homme un héros.

Sylvain Fort termine en montrant comment il est possible, selon Saint-Exupéry, de restaurer l'âme sans la relier à une théologie , de refaire du spirituel sans Église et sans clergé : en se donnant une direction et en s'y vouant entièrement, c'est-à-dire en y consacrant son attention.

La philosophe Simone Veil disait:

L'attention, à son plus haut degré, est la même chose que la prière. Elle suppose la foi et l'amour. Il s'y trouve lié une autre liberté que celle du choix. A savoir la grâce.

Antoine de Saint-Exupéry écrivait:

Et pour la première fois je devinais que la grandeur de la prière réside d'abord en ce qu'il n'y est point répondu et que n'entre point dans cet échange la laideur d'un commerce. Et que l'apprentissage de la prière est l'apprentissage du silence. Et que commence l'amour là seulement où il n'est plus de don à attendre. L'amour est d'abord exercice de la prière et la prière exercice du silence.

Francis Richard

Saint-Exupéry Paraclet, Sylvain Fort, 96 pages Pierre Guillaume de Roux


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