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L’empire de la philologie

Publié le 30 août 2017 par Antropologia

Dans le magnifique documentaire présenté par Arte le 29 août consacré à Leone Ginzburg, torturé et assassiné par les nazis à Rome en 1944, son fils l’historien Carlo Ginzburg dit que la démarche « sociale » de son père relevait de la philologie. Cette discipline née pour une large part en Allemagne au début du XIXème siècle conjugue en effet, la prise en compte de l’irréversibilité du temps à la recherche des preuves afin d’établir une communication avec les autres, objectif des Lumières. Selon le documentaire, c’est ce que faisait Leone Ginzburg tant dans ses travaux d’éditeur, de traducteur que dans ses activités militantes.

Il est vrai que toute réflexion est amenée à passer par le langage ne serait-ce qu’en fin de parcours pour se conformer aux exigences du « discours sérieux ». Le « tournant linguistique » a pris acte de cette situation même si chaque situation détermine le moment de la verbalisation. J’ai écrit quelque part que l’anthropologue avait intérêt à faire exprimer l’acteur ou le témoin afin de profiter de leurs propres normes langagières, objet d’informations supplémentaires. Plus tôt le chercheur accédera à un discours plus riche et précise sera sa documentation.

C’est un des aspects de l’ordinaire de Chauvier qui relève les « anomalies » dans les paroles naturelles, irruptions du réel dans le discours. Il est donc conduit à s’attacher au détail des mots et aux conditions de leur expression.

C’est exactement ce que faisait Alessandro Duranti[1] dans un exposé présenté à Montpellier il y a bientôt deux ans. Il s’interrogeait sur la présence du mot « conversion » dans la langue de Samoa. Pour cela, il a interrogé les locuteurs, utilisé ses propres expériences, consulté les transcriptions effectuées depuis la colonisation. Les Samoans disaient que le mot existait alors qu’il pensait le contraire en s’appuyant sur leurs transformations au cours du temps.

  • C’est de la philologie ? lui ai-je demandé.
  • – Oui.

Bernard Traimond

[1]   Anthropolinguiste de l’UCLA, ancien président de la section Linguistic Anthropology de l’AAA, inventeur de l’ethnopragmatique. Un de ses livres From Grammar to Politic (University of California Press, 1994.



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