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Claude Gruffat : "Le risque d'une bio industrielle est bien réel"

Publié le 07 septembre 2017 par Bioaddict @bioaddict
Alors que se développait l'agriculture conventionnelle dans les années 60, des pionniers ont imaginé une démarche pour maintenir un modèle agricole respectueux des sols, de l'environnement et des animaux : l'agriculture biologique. Où en est-elle aujourd'hui ? Quels risques la menacent ? Quelles solutions adopter pour qu'elle se développe sans perdre son âme ? Des questions auxquelles répond Claude Gruffat, président de Biocoop, dans un livre paru en juin aux éditions La mer Salée : "Les dessous de l'alimentation bio". Il reprend pour Bioaddict.fr quelques-unes de ses explications. Claude Gruffat risque d'une industrielle bien réel ¤¤ Premier livre de la collection En quête des éditions Alternité - Éditions La Mer Salée -, "Les Dessous de l'Alimentation Bio", écrit par le Président de Biocoop, Claude Gruffat s'interroge sur notre avenir alimentaire, l'agriculture conventionnelle, les pesticides et propose une vision de la Bio comme modèle de société.

Biocoop :

30 ans d'existence
430 magasins
768 M€ de chiffre d'affaires
Dont 21,4% en commerce équitable (contre 3% il y a 20 ans)
150 000 hectares de surfaces agricoles bio
6000 producteurs locaux


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Dans votre livre, vous expliquez que l'agriculture bio est née pour maintenir une alternative à l'agriculture conventionnelle. Les limites et la dépendance de l'agriculture conventionnelle ont été vite perçues. Pourriez-vous expliquer ce qu'elles sont ?

Cette agriculture fonctionne à coup d'aides publiques, donc avec nos impôts, nos dettes. Ses coûts de production sont tels que la plus grande partie des populations (6 personnes sur 7) ne peut pas acheter ses matières premières. Les prix bas proposés aux consommateurs ne sont possibles que grâce aux aides financières. Elles vont de 9 à 12 milliards d'euros par an en France. Ce qui représente 1,2 SMIC par ferme. C'est énorme. En outre, ces aides sont injustes car elles ne concernent que le conventionnel. Les fermes en bio ne les reçoivent pas ! Parce que les aides européennes se calculent à la surface, c'est la prime aux grandes exploitations. Même les prix de nos exportations sont truqués par les aides publiques et détruisent les agricultures des pays pauvres en créant une concurrence artificielle. C'est d'ailleurs l'export de masse qui est venu justifier le productivisme et les pesticides, au-delà des assiettes pleines.

Sans les subventions, le modèle de l'agriculture conventionnelle est mort. Prenons l'exemple d'un gros volailler en Bretagne bien connu du public. Comment une entreprise, que dis-je un empire, a pu s'effondrer en quelques mois ? A cause de la baisse des aides. Rendez-vous compte que cette entreprise a consommé à elle seule jusqu'à plus de 20% des aides européennes à l'agriculture française. Tout ça pour finir dans une faillite économique qui a laissé au tapis des milliers de producteurs.

L'agriculture conventionnelle se vante d'être seule capable de nourrir la planète. Selon vous, c'est inexact et de plus, elle hypothèque notre avenir.

Affirmer que l'agriculture conventionnelle peut nourrir la planète relève purement de la croyance entretenue par les lobbies. Elle ne peut pas subvenir à une telle demande potentielle sans subventions, sans épuiser les sols, sans dégrader l'environnement, ni sans tuer la biodiversité ! On stocke les factures des coûts environnementaux pour les générations futures.

En outre, cette agriculture est extrêmement vulnérable, les gouvernements devraient s'en inquiéter. Elle est dépendante des aides, du pétrole, de la finance. Son hyperspécialisation et sa concentration sur le plan technique, la fragilise. En élevage comme dans les cultures végétales. On le voit en ce moment avec les canards gras dans le Sud-Ouest. On favorise l'apparition de maladies dévastatrices que l'on pourrait ne plus parvenir à maîtriser.

Sur le plan financier, que se passera-t-il en cas de crise ? On est passé pas loin de la catastrophe alimentaire en 2008 et cela pourrait se reproduire. Alors que neuf français sur 10 aujourd'hui dépendent de cette agriculture pour se nourrir et n'ont plus de contact avec la terre, contrairement à ceux de 1929 ou à ceux qui ont connu les dernières guerres.

Qu'est-ce qui différencie l'agriculture biologique de l'agriculture conventionnelle ? Vous faites également la différence dans votre livre entre le bio et la bio. Pourriez-vous résumer la philosophie de l'un et de l'autre ainsi que les différences sur le plan pratique ?

En faisant le choix du bio, le consommateur vote pour une société plus juste économiquement, socialement, qui prend soin de la nature et de l'environnement, dans l'intérêt de chacun et de tous, pour aujourd'hui et pour demain. Ils votent aussi pour une alimentation de meilleure qualité nutritive. C'est aussi un modèle plus résilient. Les producteurs sont plus indépendants. La production est indépendante de ce qui se passe autour.

Mais si les enseignes se développent rapidement en France, le risque d'une bio industrielle, hors sol, de faibles qualités nutritives, est bien réel. Je l'appelle "le" bio pour la différencier de "la" Bio à valeurs. J'appelle ainsi la production de masse et le productivisme que le règlement européen de l'agriculture biologique n'empêche pas. Tout en le suivant, on peut faire du conventionnel sans pesticide, en abandonnant toutes les valeurs de la bio. Si on reprend le modèle conventionnel en bio, on aura les mêmes effets et les mêmes conséquences qu'avec l'agriculture conventionnelle.

Le label bio ne garantit pas l'origine des produits par exemple. Les matières premières peuvent venir de Chine si elles sont moins chères. Il ne prévoit aucune règle sociale, pas de transport propre, pas de circuit court, pas de responsabilité sociétale des entreprises. De la bio à bas prix peut être proposée quand l'aspect social et environnemental est dégradé. Je vais prendre l'exemple des tomates. Elles peuvent pousser sous serres chauffées, sur de très grandes surfaces, et être ramassées par des travailleurs immigrés payés une misère ou par un travailleur dit détaché (payé selon les conditions de son pays d'origine). Cette production de tomates pourra néanmoins porter le label bio.

Si le but du bio est financier, cela change sa philosophie. Il faut se rappeler que l'argent n'est pas le moteur de l'économie mais son carburant. L'objectif de la bio ne doit pas être financier, la finance est là pour servir le but.

Pourriez-vous expliquer comment les produits biologiques de masse commercialisés en grandes surfaces pourraient mettre en danger la production biologique tout entière ?

La bio est une démarche sociale et environnementale. Mais c'est compliqué de labelliser un état d'esprit. Chez Biocoop, on va plus loin que le règlement. On est vigilant sur les questions sociales et environnementales. On refuse les OGM depuis 25 ans, le règlement autorise un seuil de 0,9% mais nous exigeons 0%. Le règlement autorise 5% de non bio dans les produits transformés, pour nous c'est 100% de bio. Les fermes qui nous fournissent ne sont pas mixtes même si la mixité est autorisée, elles sont 100% en bio ainsi que les ateliers de transformation. Nous refusons le transport en avion, les produits de l'hémisphère sud et préférons les produits de proximité. Nous refusons la monoculture ou les fermes bio de 1000 vaches. La bio est paysanne et de proximité. Nous encourageons les circuits courts. Et nous garantissons le juste prix au producteur et au consommateur, en construisant des filières avec une juste répartition de la valeur ajoutée. Nous ne proposons pas le prix le plus bas mais celui qui permet d'avoir de la qualité longtemps. La bio au rabais, ce serait la fin de la qualité, de la solidarité et des filières françaises de la bio, parce qu'elle créé une concurrence insupportable.
Aujourd'hui, l'heure des successions arrivent pour les entreprises créées par les pionniers de la bio. Des vautours de l'agroalimentaire les achètent à grand prix pour rentrer dans le monde de la bio . C'est une catastrophe. Ces entreprises sont soustraites aux filières que Biocoop a constuites depuis plus de 30 ans car nous ne voulons pas dépendre des grandes entreprises de l'agroalimentaire. Je crains énormément les logiques financières et industrielles de ces entreprises. Elles achètent sur les marchés en fonction des opportunités au risque de détruire les filières de production françaises. Elles pourraient décider bientôt de ce qu'est la bio. Elles pourraient même décider de tout arrêter.

Au moment où l'agriculture biologique sort d'un marché de niche et où des entreprises changent de mains, quelles solutions peuvent être mises en place pour pérenniser et développer un mode de production bio ?

Nous travaillons sur ce point. Nous voulons remettre sur le devant de la scène l'entreprise coopérative, non vendable, non opéable, dotée d'un véritable projet d'entreprise porté par les parties prenantes. Pour garantir l'indépendance des entreprises à transmettre, nous avons besoin d'outils qui n'existent pas aujourd'hui, de possibilités nouvelles, en termes de fiscalité et de fonds d'investissement. Nous voulons renforcer la construction de filières, les engagements dans la durée. Nous aimerions que la gouvernance de Biocoop soit encore élargie pour inclure les fournisseurs, les collectivités locales en plus des magasins, des salariés, des groupements de producteurs et des associations de consommateurs.

C'est intéressant de voir tous les fils qui partent d'une assiette de consommateur et vont vers des mondes différents. En agriculture conventionnelle, tous ces fils sont coupés. Il y a rupture des liens pour créer de la compétition à la place de la coopération. Nous voulons au contraire développer ces fils pour assurer la pérennité de l'agriculture biologique.

Anne-Françoise Roger

Pour acheter le livre "Les dessous de l'alimentation bio" de Claude Gruffat, rendez-vous sur le site www.lamersalee.com


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