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Sous-exposition / surexposition

Publié le 28 juin 2008 par Marc Lenot

Ça aurait pu être le titre de cette exposition d’Estefania Peñafiel à la Galerie Paul Frèches jusqu’au 19 juillet. Dans un cube blanc, des oeuvres blanches. N’y a-t-il rien ? Sommes-nous, une fois encore avec elle, dans l’invisible, dans l’effacé, dans le non-révélé ? Qu’y a-t-il ici d’irreprésentable ? Quel point de vue nous faut-il adopter pour voir cet invisible qu’elle s’efforce de rendre visible ?

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Au mur, cette fois-ci, on voit. On voit un lierre blanc couvrant le mur blanc, on voit au bout de ces branches de lierre des petits boutons. Réalisant qu’il s’agit de fils et d’écouteurs d’ipod, on sourit d’abord devant cette poésie (ou, si on veut, comme ici, devant cette ’statufication’, cette idolâtrie). On voit, mais on n’entend pas. Et le geste pour entendre est le même geste que celui qui permettait de distinguer la ligne de l’équateur au Credac il y a un an : un pas en avant, la joue contre le mur, l’oreille collée à l’écouteur.  Comme devant les Ambassadeurs, comme pour Felice Varini, l’artiste place le corps du spectateur là où il doit être absolument, elle nous engage physiquement dans son oeuvre. Notre corps ainsi positionné, modelé dans une posture contournée (épaules voûtées, visage tordu, oreille écrasée), notre ouïe aiguisée, alors nous entendons. Et ce qui ainsi devient audible est invisible : qui de vous a jamais vu un grillon ? Le bonheur invisible de ces chants de grillons est perturbé toutes les dix minutes par le danger invisible des sirènes annonçant une alerte aérienne, activées tous les premiers mercredis du mois à midi pile depuis plus de 50 ans. Alerte vaine et gratuite, héritage de l’histoire devenu dérisoire (Et pourtant une fois tu me feras parler).

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Au sol, par contre, on ne voit d’abord rien, sinon un tas de photos surexposées, si blanches qu’on n’y peut rien distinguer. C’est une pile (comme dans son installation sur la Bataille d’Alger), c’est un effacement dans la lumière (comme dans sa pièce Fiat Lux), c’est un événement historique visité et revisité : il faut descendre plus profond dans la pile archéologique de photos pour y trouver des photos lisibles, elles représentent toutes le même décor du film de Peter Watkins sur la Commune, un simple entrepôt, dirait-on, lieu de représentation de Paris. Il ne se passe rien dans cette photo, on est avant, ou après l’événement, dans l’attente ou dans les suites, comme chez Degas ou chez Delahaye (les villes invisibles, 1. l’attente (Paris, 1871) ).

Enfin, plus loin, de simples bouts de gomme (mouvements) : la logique de l’effacement est toujours présente chez elle (comme chez ce jeune artiste, d’ailleurs, ou, plus métaphoriquement, pour ce qui est de l’effacement des corps, chez Mathieu Abonnenc). La gomme comme vestige, comme trace, comme mémoire impossible.
Dans cette première exposition personnelle (titrée “La courbe de l’oubli”; commissariat d’Isabelle Le Normand), le travail d’Estefania Peñafiel reste empreint de la même gravité, interrogeant la mémoire et sa disparition, sa constitution de l’histoire, mais aussi de la même capacité à nous surprendre, à nous prendre à contre-pied.

Lire aussi ici. Photos courtoisie Galerie Paul Frèches.


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