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Cave Canem, un sénateur détective

Par Argoul

A detective novel during Roman times learns us many things about our today’s habits. The community propensity, the scepticism of knowledge, the love for countryside, are Roman indeed. Also the pleasure to master land and to industrialise fish production for epicurean dinners. In this Italian book, the mirror of society may be more interesting than the whodunit purpose.

L’Occident vieillit, la mode est à la nostalgie, au regard vers le passé. Depuis la curiosité légitime pour l’histoire (qui est positive) jusqu’aux larmes et regrets du ” c’était mieux avant ” (qui est négatif), l’engouement pour le roman historique ne se dément pas. Surtout quand ce roman est en plus ” policier “. Après l’Angleterre médiévale de frère Cadfael et les Normands de Sicile de Viviane Moore, voici le retour des Romains. Steven Saylor avait commencé, dans cette même excellente collection ” Grands Détectives ” chez 10/18. Mais Saylor est américain et journaliste, ce qui explique le ton enlevé de ses énigmes et l’érudition légère qu’il amène par petites touches. Tout autre est ce ” Cave Canem “, premier tome d’une série qui met en scène un sénateur romain dans sa trentaine, épicurien, réaliste, parfaitement dans le vent de son époque.

C’est que son auteur, Danila Comastri Montanari est licenciée de Science politique et parfaitement italienne. Son érudition est donc plus étendue, mais plus pesante et l’action réduite. Les tableaux de mœurs comptent plus que l’avancée de l’enquête ; l’énigme est plus intellectuelle qu’à rebondissement. D’où le ton un peu figé et le vocabulaire un tantinet trop universitaire pour cette ouverture d’une série de 12. Il reste que le sénateur Publius Aurélius Statius nous est sympathique. Il a 16 ans dans le premier chapitre et devient brutalement pater familias de sa domus par le décès accidentel de son père. Il doit s’imposer, ce qu’il fait de tout son cœur et de sa grande intelligence, le savoir grec dont il a été abreuvé lui ayant ouvert l’esprit. Et c’est à cet instant que nous apprenons que, dans la Rome antique, nul n’était juridiquement ” majeur ” avant le décès de son père - eût-on 70 ans !

Là, probablement, réside tout le sel de cette originale série. L’énigme est bien présente, mais l’analyse de la société et de la psychologie d’époque sont plus intéressantes, surtout pour nous, Français. A la lecture de ce livre, il ne faut pas être particulièrement attentif pour qu’une évidence saute aux yeux : la France de 2007 a gardé de nombreux traits du monde romain sous l’empereur Claude, entre 19 et 44 après J.C. Même révérence pour celui qui incarne le pouvoir suprême, la politique ne se fait qu’à Rome et tout ambitieux gravite autour de la cour. Même pipolisation des coucheries et intrigues des puissants, la télévision étant remplacée par les courriers et la rumeur. Même attrait nostalgique pour ” la campagne “, son existence ” naturelle ” et ses produits ” tout frais “, voire ses ” recettes de grand-mère ” pour préparer les poissons à la table ou les onguents sur la face.

Ce qui va plus loin, et nous ramène à notre inconscient historique, la fameuse ” laïcité à la française ” dont nombre de politique à la mémoire courte se rengorgent, nous vient tout droit de la Rome impériale pré chrétienne ! ” Entre nous soit dit, expose le jeune sénateur, l’existence des dieux me semble tout aussi improbable (que la divination) même si, en bon Romain, je jure sur le génie d’Auguste et je célèbre les rites propitiatoires que le ‘mos majorem’ (la tradition) prévoit. Mais ces cérémonies concernent la loyauté de l’Etat, certes pas la foi la plus intime : heureusement, chacun est libre, à Rome, de vénérer le dieu qu’il veut, ou de n’en vénérer aucun, tant que la loi n’est pas violée. “ p.112 L’hymne à la France technicienne, chantée par Airbus aussi bien que par les ingénieurs de Bouygues et d’Alstom, nous vient tout droit de Rome et de sa fierté de bâtir. ” Les monts creusés en profondeur, les collines aplanies, les plaines fertiles qui remplaçaient les marais méphitiques, les larges et agréables routes, les splendides routes pavées qui diffusaient partout le nom et la civilisation de Rome, voilà ce qui le rendait fier d’être romain, bien plus encore que la victoire des légions. Eau courante, maisons chauffées, monte-charges, grues, puissantes machines de guerre, bateaux rapides, écoles et bains pour tous… le progrès était vraiment irrépressible, songea le patricien avec orgueil. ” p.122 Sauf que, malgré l’eschatologie chrétienne qui allait bientôt submerger l’Occident, reprise par le progressisme des Lumières puis par la vulgate marxiste, ” le progrès ” est loin d’être un chemin linéaire ! Si les Romains du temps de Claude se baignaient tous les jours, il faudra attendre la seconde moitié du XXème siècle pour que les Français retrouvent ces bonnes habitudes… Et il y aura toujours des mystiques ou des ” croyants ” pour préférer la vie sauvage, ou la férule d’un Code divin figé une fois pour toutes.

L’exploration de l’Empire qui fut il y a 2000 ans nous fournirait-il quelques clés pour anticiper notre destin ? Si l’histoire ne se répète jamais, car elle est à chaque fois nouvelle, l’être humain n’évolue pas si vite qu’un homme de notre siècle ne puisse ressembler trait pour trait à un Romain d’alors. Le pouvoir politique, l’attrait de l’argent, les amours et rivalités familiales, la communauté du domaine, connaissent-ils des approches humaines si différentes ? La nostalgie pour les ” rassemblements ” - famille élargie, groupes d’amis, associations, syndicats, militants, monastères, ” communautés ” diverses - ne vient-elle pas de cette domus romaine qui organisait l’existence, sous un même toit et dans un même domaine quasi autarcique, d’une centaine de personnes, depuis le pater familias jusqu’aux plus humbles esclaves ? Dans son Appendice au roman, l’auteur éclaire un peu ce monde pour nous anachronique des esclaves romains. Ils ne constituaient pas une ” classe “, ” le terme servus dénotait en effet un état juridique, et non économique, si bien qu’on pouvait trouver des esclaves très riches, à leur tour propriétaires d’un grand nombre de servi. “ p.232 Surtout que les aristocrates romains avaient cette attitude déjà ” catholique ” de mépriser tout ce qui était travail et argent : il leur suffisait de naître ; les esclaves travaillaient pour eux, production et commerce leur étaientt délégués. L’affranchissement était monnaie courante, si bien qu’Auguste dut le réglementer et ” en ce qui concerne l’attitude des citoyens libres à l’égard de leurs semblables réduits en esclavage, le monde antique fut totalement dépourvu du racisme qui a caractérisé, par exemple, dans le monde moderne, la condition des Africains sur le continent américain : l’on n’était pas esclave en raison d’une infériorité morale, intellectuelle ou biologique, mais simplement par malchance. “ p.233

Au total, le coupable est inattendu, ce qui fait toujours plaisir au lecteur de roman d’énigme, mais la promenade sociale-historique vaut le détour !

Danila Comastri Montanari, Cave Canem, 2001 Grands Détectives 10/18, 244 pages.


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