Magazine Cinéma

Les délices de Tokyo

Par Montagnessavoie
Il est rare de pleurer au bout de dix minutes de film. Il est rare de sentir les larmes venir alors que la scène n'est ni triste, ni tragique, mais simplement parce que c'est beau. Au bout de dix petites minutes de film, j'étais dans le même état qu'en écoutant une chanson particulièrement touchante ou qu'en regardant un paysage à couper le souffle. Émue. Remuée par cette peinture qui s'animait et se colorait sous mes yeux, par ce poème sans beaucoup de mots, par la beauté pure qui se dégageait des images, des regards et des gestes. J'ai bu chaque instant du film comme on boit les paroles d'un conteur. J'ai regardé comme on observe avec gratitude la légèreté du papillon posé sur une fleur juste avant qu'il ne s'envole.  Tokyo. Japon. Dans sa petite échoppe qui ne paie pas de mine, Sentaro fabrique des dorayakis, des pâtisseries à base de pâte de haricots rouges. Mis à part quelques collégiennes qui lui rendent visite, on voit bien que son commerce ne tourne pas à plein régime. Un jour, une vieille dame vient lui proposer ses services. Sentaro, voyant son allure, refuse de l'embaucher, arguant qu'elle est trop fragile et que son dos souffrirait trop, que ce travail est trop pénible pour elle. La dame insiste, revient et finit par lui offrir, pour qu'il y goûte, de la pâte de haricots qu'elle a confectionnée elle-même. Wakana, une jeune  et discrète collégienne qui fréquente la boutique, conseille à Sentaro d'accepter d'embaucher Tokue, la vieille dame. Maîtresse dans l'art de préparer la pâte de haricots, Tokue permet à la pâtisserie de Sentaro d'attirer de plus en plus de clients. Et puis, un jour, ses mains déformées et abîmées attirent l'attention. Une rumeur court dans le quartier et les clients désertent. C'est que la vieille cuisinière cache un lourd secret... Dit comme cela, l'histoire - d'ailleurs tirée d'un livre que je viens de commander et dont je vous parlerai rapidement ! - paraît tout ce qu'il y a de plus banale. Mais la résumer, ce serait comme décrire un tableau du Caravage en disant voilà, il y a des hommes assis autour d'une table. Cela tairait les regards, la pureté des lignes et surtout la maîtrise du clair obscur, la manière de capter la lumière et la façon dont celle-ci fait irruption sur la toile.  Les délices de Tokyo
D'abord, il y a les saisons. Tout commence avec le printemps et les cerisiers en fleurs, puis l'été, la chaleur, l'automne et l'hiver, pour revenir au printemps. Les saisons de la vie et la renaissance, le cycle vital sans interruption, la mort qui n'est pas une fin mais le commencement d'autre chose. Sur le plan de la vie, la roue qui tourne, l'espoir du renouveau qui subsiste malgré les tempêtes et les grands froids, la possibilité d'un nouveau départ qui s'offre à nous, sans cesse, pour peu qu'on sache capter les signes que le destin ou les forces invisibles nous envoient. La lune, le chant des oiseaux, les mouvements des feuilles dans les arbres, le vent, chaque élément, chaque parcelle du monde recèle une existence et un langage propres qu'il nous faut apprendre à décoder. Même les haricots ont leur histoire !  Depuis la graine jusqu'à la récolte, en passant par l'eau de pluie qui a arrosé les jeunes pousses et les mains qui les ont recueillis. Tout cela, Tokue essaie de l'enseigner à Sentaro, en même temps qu'elle fabrique sa pâte de haricots. Un collaboration qui va donc bien au-delà de l'aspect culinaire.  Ensuite, il y a la rumeur. La parole des autres qui blesse, déforme la réalité tout autant que la maladie déforme les corps, qui anéantit les espoirs et rompt le charme. La rumeur contre laquelle, sagement, il est parfois inutile de se battre et face à laquelle, au lieu de lutter vainement, il vaut mieux prendre la tangente. La rumeur qui, si elle met fin à la paix qui régnait dans la petite échoppe, à cette légèreté et cette joie qui s'était emparée du lieu et des cœurs, a le mérite de nous rappeler que tout passe, le mauvais comme le bon et que, par conséquent, c'est maintenant qu'il faut profiter et se réjouir de ce que l'on a. Cette parenthèse heureuse dans la vie des personnages enseigne la magie et la fragilité du présent, la beauté de l'instant qu'il faut saisir au vol. Nous portons tous en nous des traumatismes, des histoires passées peu racontables ou dont on a envie de se défaire. Si ces histoires on laissé des traces, psychologiques ou physiques en nous, sur nos corps, c'est pourtant avec ces poids qu'il nous faut vivre.  Chacun avec leur solitude, leurs blessures, leur passé qui les taraude et leur présent inconfortable, les trois personnages vont pourtant réussir, chacun à leur manière, à trouver un sens à leur vie. Qu'on soit jeune, déjà plus âgé ou même vieux, il n'est jamais trop tard pour trouver en nous la force de regarder notre existence autrement, de prendre appui sur nos rêves et nos savoir faire et aller de l'avant. Tout comme le résumé qui taisait les détails, cette conclusion peut sembler mièvre. Mais il faut la comprendre comme on lit un haïku. Une phrase, quelques mots, l'arbre qui cache une sublime forêt. Vraiment, ce film est un merveilleux poème. 

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Montagnessavoie 1226 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines