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Gravitation et peaux nues

Publié le 07 juillet 2018 par Comment7

Fil narratif à partir de : Likoké, restaurant à Les Vans (Ardèches) – Hélène Toulouse, Dialogues, Galerie Noëlle Aleyne – John DeAndrea, Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois – Didi-Huberman, Aperçues, Editions de Minuit 2018, etc.

Il est dommage qu’elles appartiennent au circuit du luxe, ces petites choses intrigantes, théâtrales, blotties et épanouies dans des assiettes très amples. Elles ravissent le regard, au centre de l’arène de porcelaine, font saliver, et une fois démantelées par les couverts, morcelées dans la bouche, surprennent le palais qui retrouve confusément d’anciennes saveurs et contrées, découvre de nouvelles capacités à sentir ce qui lui échappait jusqu’ici, et salive en voyant s’ouvrir les portes de saveurs infinies, absolues, sans cesse renouvelées, combinées, faisant exploser toute crainte du de routine, de répétition du même, toute idée de limitation du goût. Il pioche dans une impalpable bibliothèque de saveurs, aux fins fonds du cerveau, là où le système nerveux s’enfouit dans d’inextricables ramifications, pour identifier et raconter ce qu’il est en train d’avaler. Il se trouve ainsi sur la piste de sensations, en partie connues, presque issues de lui et en partie inédites, étrangères, migrantes sans frontières et inouïes, qui convoquent les autres sens – ouïe, toucher, vue, odorat -, avant de plonger vers l’indistincte digestion qui ramène tout à l’utilité de la subsistance. L’attention se focalise sur la chaîne de la transformation, il transforme ce qu’il mange, en nourritures terrestres autant que spirituelles, il est transformé par ce qu’il mange, par ce que lui inspirent les saveurs de ce qu’il ingurgite. Ce qu’il se raconte pour essayer de cerner tout ce qu’évoquent les saveurs qui défilent, se composent l’une l’autre, interagissent avec l’appareil sensoriel qui les décode, fait partie intégrante de la dévoration. L’ingestion physiologique des aliments va de pair avec l’ingestion psychique, spirituelle, de leur esthétique déclencheur de récit. Ainsi cette sidérante moule frite à la belge, sculpture miniature qui magnifie un plat populaire, abondant, consommé en grandes casseroles, en une représentation minimaliste, condensée, juste une essence, joyeuse et rare. Une parure rituelle, énigmatique. Il doute, d’abord, qu’il soit comestible. La manière précise, maniaque, dont tous les éléments sont imbriqués, incluant comme élément de décor une référence aux œuvres de Broodthaers, évoque une fascinante mécanique à remonter dans les imaginaires culinaires. Ou encore, la représentation épurée d’une moambe, un plat réputé pour sa lourdeur festive, un peu frustre, qu’il associe à des repas de famille bien arrosés de bière, remuant des souvenirs coloniaux, agités dès lors et suivis de digestion difficile. Le cuisinier a su en exprimer une légèreté cachée, un hamburger de poule à l’huile de palme comme centre de gravité, posé sur un jus d’épinard à la crème (en remplacement du manioc), surmonté de galettes croquantes d’arachide, de banane plantain, garniture traditionnelle de ce plat africain. Pour lui, contempler ces miniatures culinaires, infimes et précieuses, métaphoriques de précision se suffisant à eux-mêmes, qui représentent des mondes complexes en expansion continue, qu’il s’agisse de tout ce qui se trame autour d’un plat populaire ou des réminiscences coloniales et familiales, fixe dans son mental d’autres manières d’appréhender les réalités, de réfléchir des traces et des attachements de goûts, de dessiner les mondes dans lesquels il se glisse  – qui se glissent en lui par morceaux – sans jamais en avoir une vision globale. Et puis tout cela se transforme en textures dans la bouche, mais textures qui parlent et chantonnent en se désagrégeant, l’image est détruite, mâchée, mais se reconstruit autrement ailleurs. L’image n’existe plus, n’est plus sous les yeux, et pourtant elle fait partie de nous comme jamais. S’alimenter, physiologiquement et spirituellement, c’est participer à un vaste transit matériel et iconique, et jamais cela ne lui est autant perceptible que confronté à ce genre de cuisine créative, presque détachée de la fonction nourricière.

Ce qu’ouvrent ces subtiles constructions gastronomiques, évocations, suggestions, finalement, n’est pas très loin de la stupeur qui le saisit face à un mur où une galeriste a installé une constellation de toiles d’Hélène Toulouse. Il y est passé devant, au matin, indifférent. Puis, plus tard, au cours de la journée, un déclic, du moins un doute. L’envie de revoir ce qu’il en est, juste pour confronter deux moments, au cas où. Il se hâte, il lui reste peu de temps avant le train avec lequel il doit quitter la ville. Il revient dans la galerie et reste planté devant le mur quelques minutes, l’œil vaquant au hasard, sans pensée, sans intention précise. C’est une collection de crépuscules, sombres ou radieux, un ensemble de rivages les plus divers, intérieurs, extérieurs, urbains, paysans, terriens ou cosmiques. Quand le regard les balaie dans un sens, il lui semble être attiré par autant de perspectives pleines de promesses ; dans l’autre sens, soudain, c’est plutôt l’impression de limites infranchissables qui prédomine. Et ainsi, l’ensemble palpite, les luminosités s’échangent et se marient entre les toiles, varient, circulent. Plus exactement, des fragments de rivages, des prélèvements, des précipités. Des fragments de lignes d’horizon, grossies, brouillées, redevenant mondes en soi, paysage à part entière, infini. Un rectangle de grisailles avec, entre deux eaux, de légères fumigations blanchâtres, bouillonnement de fines écumes ou vapeurs vagabondes, qui signalent là, la rencontre de courants divers déchirés par d’invisibles récifs. Presque semblable à première vue et pourtant devenant totalement différent, un plan liquide calme, mort, entre gris et vert, avec au centre un reflet gris argenté, abrasif, flaque calcaire mal grattée, l’ensemble entouré de noir implacable. Sur une fine bande grise et ocre, irrégulière, incertaine, le corps imposant d’un talus, opaque, surmonté de fines broussailles à contre-jour, et au-delà un défilé bleu neigeux aquatique ou céleste. Un mur végétal étiré comme la masse musclée, tendue d’un animal sombre, occulte un ciel verdâtre, pas très pur, bordé d’un immeuble flou et, là au milieu de nulle part, une ligne jaune vif, mèche solaire ou phares de voitures. Simplement du rouge sang, presque coagulé, contaminé par une atmosphère anthracite, plombée, aux limites de la respiration. Prairie marécageuse ou fleuve charriant boues et algues arrachées par la crue, vert bouteille, olive, vagues et crêtes de chairs blafardes, sales, et fine berge sombre hérissée contre un ciel blanc gris, crayeux et crémeux. Un promontoire d’or, champ de blé mur presque en lévitation, surplombant l’estran de sable gris marbré de rose, reflets du soleil levant, et les flots beiges, indistincts, lointains, miroitant. Des dégradés fuligineux, des nuanciers géologiques, des gouffres marouflés presque monochromes, sans fin, toujours cadrés dans leur réplique hors-champs, là où, dans un détail, un gros plan, se joue la rencontre entre le connu et l’inconnu, où ils s’échangent, se confondent, brouillent les cartes, jamais le paysage sublime en tant que tel, mais sa trame générique, étoupe contagieuse, le genre de points de fuite vagues où, toujours, face aux spectacles des lumières et couleurs naturelles, son regard s’est abîmé, enlisé, engouffré pour essayer de s’épancher totalement dans l’environnement, ses yeux buvards absorbant ces instants magiques, troublants, précis et insitués, sans bords. Il les retrouve peu à peu, à tâtons, devant ce mur constellé de toiles, et il lui semble que la remontée en mémoire de tels instants diffus, épars, parfois enracinés ou complètement hors sol, pourrait se poursuivre sans fin et met en place une table d’interprétation du monde, enfin, de sa place à lui dans le monde. « A la fin de l’année 1991, un poète recopie quelques lignes d’un discours sur la méthode prononcé par lui quatre ans plus tôt : « Je travaille sur une table. J’y jette, à plat, une collection aléatoire d’objets de mémoire, qui restent à formuler. Au fur et à mesure que s’élaborent les formulations, des relations logiques (non causales) peuvent apparaître. Tel est le dispositif de base qui permet la mise au jour d’éventuelles connexions logiques. Alexandre Delay parle des pierres qui, du fait de la gravitation, remontent incessamment à la surface des champs. Ces relations logiques (de l’ordre du langage) forment entre elles des réseaux imprévisibles, inouïs. C’est là que « soudain, on voit quelque chose », qu’un autre sens surgit, même à propos d’anciennes choses. A ce moment-là, un énoncé devient possible. Je dirai même qu’il s’impose avec la force de l’évidence. » (Didi-Huberman, Aperçues, Editions de Minuit) Il lui semble aussi, fouillant les images devant lui et la manière dont elles font chœur, parlent ensemble, échangent leur nature, se complètent l’une l’autre, qu’il est en train de fouiller, chercher à l’aveugle des objets à même une chair informelle, sans âge, entre lui et la vie. Il attribue à cette chair les caractéristiques de celle en laquelle s’incarnait, en certaines heures, en certaines circonstances imprévisibles, celle qu’il a aimée, caressée, embrasée, pénétrée. Les trames peintes, les reflets métamorphiques, les paysages et rivages de ses expériences amoureuses qui apparaissent en sa mémoire comme ces pierres qui, du fait de la gravitation, remontent incessamment à la surface des champs. Il touche quelque chose de cela, mais pas directement, par allusions, à travers un jeu de filtres qui contribue à ce qu’il y ait redécouverte, possibilité de rencontrer autre chose.

Quelque temps après, et oubliant alors le train à prendre, exactement comme il y a longtemps, dans sa jeunesse, il lui était arrivé de laisser filer l’heure, flânant et se grisant dans le sillage de passantes magnifiant les flux de la grande foule, attendant une improbable conjonction – dont pourtant l’immanence le tenait en haleine -, il aperçoit au bout d’une impasse, des fenêtres éclairées, une porte ouverte, des femmes nues, immobiles, statufiées. Une performance ? Une répétition ? Une provocation ? Les coulisses d’un spectacle ? L’appel est irrésistible, l’incitation au voyeurisme le fouette incommensurablement, comme si se trouvait là la quintessence de ce qui excite tout voyeur, tout et rien à voir. La femme nue, totalement soumise mais insaisissable, incompréhensible, insondable. Il s’engage et rien ne vient s’interposer. Il traverse un atelier où sont alignés sur des planches des dizaines de moulages de bustes, visages aux orbites vides, dépersonnalisés. Pourtant, ce sont les empreintes d’individus réels, capturées, peut-être même encore en vie, quelque part. Cela ressemble aux silhouettes qui le hantent, au fond de la mémoire comme des mannequins inertes coulés au fond d’un étang ou entassés dans un hangar sombre, personnes connues autrefois, côtoyées, fréquentées, mais vidées de toute substance, tombées dans l’anonymat. Ces bustes attendent un traitement qui les ressuscitera d’entre les morts, à la manière de créatures artificielles, robots et autres golems. Parmi elles, justement, une tête a entamé le processus de renaissance, son âme, ses couleurs, ses lèvres, ses yeux, ses cheveux, ses fossettes expressives reprennent formes et couleurs vivantes. Elle est prête à être transplantée sur un corps d’emprunt, de passage.

L’accès est libre, ouvert à qui veut. Il avance perturbé. Les émois caractéristiques d’une imminente révélation artistique, comme il en a souvent connus avant d’entrer dans une exposition très attendue se mêlent à ceux qu’il éprouvait en approchant des quartiers de prostitution où, adolescent se vivant maudit, il allait quelques fois errer, dévorant des yeux les filles en vitrines. Confusion. Il est au seuil de la galerie, les corps nus ne vacillent pas. Vont-ils se mouvoir dès qu’il aura franchi la porte, l’irruption d’un inconnu servant de déclic ? Jouer imperceptiblement dans l’espace et ensuite s’emparer de lui ? Ils semblent respirer et, en même temps, ils ont la rigidité de cadavres récents, d’humains frappés par une mort éclair, instantanée, dont l’organisme n’a pas encore pris la mesure, se maintenant comme vifs dans la mort. Ils conservent la couleur de la vie, en surface, presque un vestige attendri, un adieu coloré, irrigué de souvenirs. Il hésite. Il pense à des femmes taxidermisées par un tueur en série, maniaque qui les disposerait ensuite de manière à constituer des scènes énigmatiques. Alors, des relents d’érotisme morbide le saisissent. Il fréquente le genre de désir qui perdure, par rituels, au-delà du décès ou disparition de l’objet désiré, excitation de posséder qui persiste malgré la mort, désir entretenu obsessionnellement au cœur même du physique escamoté, persistance d’une proximité charnelle virtuelle, dans l’absence et le manque. Derrière le comptoir, une jeune femme l’accueille d’un bonjour franc et engageant, lui tend un feuillet explicatif, se tient à sa disposition pour de plus amples informations. Surtout, ces yeux féminins, affûtés, le regarde dévorer des yeux les femmes nues. (Les espaces d’art ont banalisé le fait de regarder des représentations de femmes nues, au filtre des expressions esthétiques, mais dans ce cas-ci, l’aspect réaliste des sculptures ne manque pas de brouiller le jeu.) Troublé, presque somnambule, il dégaine son appareil photographique. Il va mitrailler. Ce sont des inconnues mais dans leurs poses, leurs gestes figés, leurs silhouettes, il pressent des formes connues, déjà vues, classiques. Où ? Quand ? Des livres d’art ? Des musées ? Le bras tragique sur la tête. Le pied posé à l’arrière de la cheville courbée. Le pas suspendu avec élégance. La méditation esseulée, éperdue. La femme rejetée, tétanisée. Il lui est impossible de préciser. Mais, oui, ce sont des attitudes rendues familières par des siècles de sculpture, de peinture, de théâtre pensé par l’homme (masculin). Ces femmes plus que présentes renvoient à des figures conventionnelles de l’art. Plus exactement à des manières d’être dans lesquelles les hommes ont organisé la représentation du corps des femmes, son répertoire de poses. Ce qui installe une sorte de mise en abîme : des siècles de peinture à représenter la femme en créant des archétypes de déhanché, de démarche, d’abandon étiré, de tête sous l’arche d’un bras plié. Toutes ces postures symboliques codifiées par l’art enferment la femme dans un langage pictural de la beauté, sorties du marbre et de la toile, extirpées du musée et naturalisées alors par des femmes prises dans le cours dominant des sentiments, des flux émotionnels par lesquels il a été cherché de les formatées (jusque dans les romans-photos). Et puis, cette naturalisation est restituée dans l’espace d’art par un moulage hyper-réalistes à même les corps modelés, malaxés par une tradition picturale. Prises sur le vif. Empreintes corporelles prélevées à même les corps de vraie femmes, alors même que, sans en avoir conscience, elles coïncidaient avec des personnages de sculptures, peintures, théâtre, assujetties aux fantasmes du mâle définissant les rôles, les attitudes, les génuflexions, les retenues, les tensions dramatiques, les attentes oisives. Cette exposition a alors quelque chose de célébration macabre, de roman policiertordu, attestant que le dressage des corps (féminins) par l’art (masculin) était presque parfait.

Toute cette peau nue l’attire, maladivement, il aura du mal à obéir au rituel « oeuvres fragiles, ne pas toucher ». Il étudie de près le grain, la pigmentation, est-ce de l’authentique, du satin incarné ? Ce qui l’excite n’est pas tellement d’être si proche de femmes nues, sans défense, dociles comme les filles d’un bordel. C’est cela, elles personnifient toute l’histoire de l’art comme un long envoûtement des femmes sommées de correspondre aux attentes des hommes. Intéressant, en pleine dynamique #Me Too (l’initiative d’exposer ces œuvres n’ayant rien à voir avec ce mouvement, juste une coïncidence qu’il trouve intéressante à noter, mais effleure-t-elle l’hôtesse de la galerie ?). Ce qui le branche particulièrement, c’est autre chose, une intimité énigmatique qui s’installe, un secret bien gardé par ces corps, une empathie peut-être malsaine, ou vicieuse, qu’il veut cerner. C’est à même la peau, dans l’épaisseur moite du derme peint, en même temps à côté, au-dessus. Comme la proximité d’une chose procréée par ses soins. Comme d’effleurer une créature engendrée par lui, pour lui. Pas ce qu’il a sous les yeux, mais passant par ce qu’il dévore et détaille sans scrupule, se livrant une fois de plus à une leçon d’anatomie invraisemblable, le rapprochant de quelque chose qu’il caresse en son intérieur, pierre angulaire de sa sensibilité, de son maintien dans l’intérêt pour la vie. Quelque chose se passe vie les neurones miroirs. Ces femmes immortalisées ressemblent à une matière, un tissu qu’il génèrerait sans cesse en lui pour continuer à aimer ce qu’il a perdu. Ces épaules nues et la chevelure. Ces mains qui étreignent l’enfant. Le ventre et le bassin étalés et presque tordus dans l’imploration muette, couchée. Des gros plans presque paysages, des images qu’il peint sans cesse sur les parois de ses galeries internes, dans le style des petites toiles d’Hélène Toulouse. Une information captée dans le feuillet distribué par la femme qui l’a accueillie le met sur la piste :  c’est le temps, le soin infini qu’il a fallu à l’artiste pour restituer cette impression réaliste. Car il sait, il sent à présent qu’il s’agit de peinture sur des moulages de corps. C’est le pinceau obsessionnel, inlassable, qui a réinsufflé une vie enluminée à ces corps, par petites touches de ses poils. Chaque « œuvre » a exigé un processus de près de mille heures (d’où la rareté de cet artiste né en 1941). Ce qui l’excite est donc bien ce temps minutieux passé à peindre, à restituer cette impression de peau vivante, et c’est bien plus que la restituer : c’est la posséder absolument. C’est ce temps palpable et dément dans lequel la femme s’englue telle une proie exhibée. Il imagine que pour obtenir ce résultat, il faut  s’absorber totalement, corps et âme, dans la matière à imiter, la peau de femme, s’y perdre, s’y noyer, se dissoudre dans le mystère de son « essence », capter la singularité de sa carnation. C’est le fidèle miroir des efforts incessants qu’il produit lui-même, d’une toute autre manière, dans son imaginaire, pour maintenir l’absente vivante en lui, physiquement toujours désirée, intacte, comme une prisonnière qu’il entretient, nourrit, soigne, lave, habille, déshabille, dans sa tête. Le moulage de la femme qu’il a tellement désirée subsiste dans ses fibres nerveuses, il lutte pour lui conserver une apparence désirable, éviter qu’elle rejoigne les formes évidées, désincarnées, digérées. Sans cesse, il la peint et repeint mentalement, passe et repasse son pinceau pour que les teintes restent vives, fraîches, parfumées, par petites touches. Refaisant mentalement des gestes qu’il lui semble avoir déjà fait, pour de vrai, quand ses caresses parcouraient les formes et la peau, épousant les moindres plis, photographiant les nuances de grain, de plasticité, de teintes, à la manière de pinceaux minutieux, affairés presque archéologiques sur une future dépouille, qui enregistrent ce qu’ils doivent reproduire, dont ils doivent faire une copie de sauvegarde pour n’être jamais totalement séparés, quoi qu’il puisse arriver, de ce qui, dans l’instant, semble être la seule raison de vivre, l’étendue du corps étreint étant, finalement, un absolu à définir, à représenter, au même titre que chaque modèle nu dans l’atelier d’un artiste. (Pierre Hemptinne)


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