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Le Tour de Rien : monter

Publié le 13 juillet 2018 par Nicolas Esse @nicolasesse

À vélo, la terre n’est ni plate ni ronde, elle monte, elle descend et très souvent, elle est remplie de vent.

Je roule à plat au milieu de l’été.

La cuisse légère et le cœur en pente douce.
Il fait chaud mais pas trop.
J’ai le vent dans le dos.
L’onde de chaleur que l’asphalte exhale brouille le fond du paysage, retourne le ciel brillant qui luit au ras du sol. Là-bas, à l’endroit diffus où flotte son point de fuite, la ligne droite coule et disparaît. Juste au-dessus, sur la gauche, une entaille claire traverse, oblique, le flanc de la montagne.

C’est le moment de boire un coup, laisser le vélo glisser dans le cliquetis soyeux du dérailleur, jusqu’à ce premier virage où la route se met à regarder vers le haut.

Passer sur le petit plateau.
Monter au train, ni trop vite, ni trop lentement. Rien ne sert de courir, à vélo, dans les montées. Rien ne sert de vouloir en finir tout de suite.
Dans les lacets, il faut durer.
Faire le vide. Oublier la moyenne et le ridicule de se traîner à moins de dix kilomètres à l’heure, alors qu’il fut un temps où on croyait voler.
Systole. Diastole. Juste après la troisième épingle à cheveux, l’Ingénieur a rajouté un ou deux pourcents au profil de la route. Le fourbe. L’enfoiré. Monsieur l’Ingénieur savait bien que l’amorce de cette diagonale sans fin me casserait les pattes. La délicieuse petite ordure. Qui a même pris la peine d’élargir un peu la bande roulante pour que, noyé dans ce fleuve de bitume, j’aie vraiment l’impression de ne plus avancer.

34 dents à l’arrière et 34 dents à l’avant; pas des dents de lait ou de sagesse, juste des crans usinés sur deux disques de métal qui déterminent le chemin parcouru par une roue pendant un tour de pédale. En clair, dans cette configuration, j’avance juste assez vite pour ne pas tomber, huit kilomètres à l’heure à tout casser. À cette vitesse, le mètre s’étire et le temps se suspend aux branches des arbres qui laissent peu à peu tomber leurs feuilles pour se couvrir d’aiguilles pendant que je continue à monter, insensible aux ronflements des moteurs et au frôlement léger d’une poignée de cyclistes étiques qui me dépassent sans se retourner.
Monter.
Deux jambes font tourner deux roues sur un plan incliné.
Monter.
À la force du jarret. Systole. Diastole. La tête se vide en regardant l’asphalte. Détendre la nuque. Se mettre en danseuse. Se rasseoir. Boire un coup. Jeter un coup d’oeil vers le haut. Peu à peu, glisser hors du paysage, hors de soi pour atteindre parfois cet état mécanique où tout s’aligne, la vitesse et la pente, la respiration et la cadence. 80, 90 tours par minute, peut-être, je ne sais pas, ça m’est égal. J’ai trouvé mon rythme. Je monte à ma main, collé au train des nuages, l’été en bandoulière et le coeur léger.

Monter.

Sans jamais s’arrêter.


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