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585ème semaine politique: l'autocrate et les benêts

Publié le 21 juillet 2018 par Juan
585ème semaine politique: l'autocrate et les benêts

L'équipe de France de football remporte la coupe du monde, 20 ans après sa première étoile, un lendemain de fête nationale. Le symbole est beau, la troupe est joyeuse, elle est diverse comme la France. Assez vite, la victoire des champions est confisquée par la mise en scène élyséenne. Ces symboles-là sont trop précieux. Las, ce temps joyeux et insouciant est remisé aux oubliettes par une autre affaire, un scandale d’État.


UN SCANDALE D'ETAT
585ème semaine politique: l'autocrate et les benêts Plusieurs hommes salariés de l’Élysée ont profité de leur jour de repos le 1er mai dernier pour se joindre aux forces de l'ordre et, en toute illégalité, arrêter, frapper, et molester des manifestants opposant à la politique d'Emmanuel Macron. L'affaire a été étouffée, les sanctions légères.
Voilà les premiers faits. Mais ce n'est pas tout.
L'un était un ancien gros bras du parti socialiste, viré par Montebourg lors d'un premier dérapage, et devenu depuis près de deux ans le garde du corps d'Emmanuel Macron et l'un des organisateurs de sa sécurité ("Adjoint du chef de cabinet", "en charge de la sécurité du président"). Le second était réserviste de la gendarmerie et militant encarté au mouvement présidentiel, il travaillait "occasionnellement" pour l'Elysée d'après la présidence de la République. Un troisième est en cours d'identification.
Les images ont choqué. On y voit le premier, Alexandre Benalla, casqué en train de frapper une jeune manifestante qui s'agrippe à son sac à main tandis que l'homme la tire, puis lui fait une "balayette" pour la faire chuter. Puis il part frapper un autre manifestant attrapé par des CRS. Il est filmé, le visage sombre.
L'affaire enfle rapidement. Benella a déjà participé à d'autres opérations "de maintien de l'ordre" explique un responsable syndical policier. Il dispose d'un véhicule équipé d'accessoires de police. Comme l'Elysée tarde à livrer les éléments de langage, les plus fidèles macronistes sont désemparés, se taisent et fuient la presse. Les député(e)s Attard et Bergé sont soudainement muets quand les micros se tendent. Le porte-flingue Benjamin Griveaux, habituellement si en verve, ou le bavard Christophe Castaner bredouillent de mauvaises explications ("l'incident est clos", "on n'a pas cherché à étouffer l'affaire"). Il faut attendre vendredi soir, deux jours plus tard, pour que les premiers snipers sortent enfin de leur silence pour dénoncer "une escalade guignolesque de la part de l'opposition". Macron lui-même, blafard, ne réagit que d'une phrase à une question de journaliste: "la République est inaltérable".
Mais quel silence assourdissant, deux jours durant.
LES COURTISANS SE TAISENT OU SE PLIENT
585ème semaine politique: l'autocrate et les benêtsCette affaire illustre l'autocratie dans laquelle nous sommes tombés: la conception personnelle du pouvoir défendue, confortée, aggravée par Emmanuel Macron génère ces dérapages et ces excès. Tout procède d'abord d'un seul homme, le monarque - le gouvernement de la France est hyper-centralisé, président et premier ministre ont un cabinet commun, les ministres sont souvent des potiches tenus par des directeurs de cabinet mâles et expérimentés. Les contre-pouvoir sont affaiblis méthodiquement: les député(e)s sont godillots. La fronde n'est pas tolérée. Les débats sont à la marge. La pire des crises, le vote de la loi Asile et immigration, aka "le Code de la Honte", a vu jusqu'où l'opposition interne pouvait s'exprimer: une exclusion, une douzaine de frondeurs, et une centaine d'abstentions. En autocratie, voici le syndrome de Versailles - on se tait devant Louis XIV, on s'écarte devant le comportement même illégal de ceux qui se réclament du prince.
"L’affaire Benalla évoque un climat nauséabond de basse police et de cabinet privé au cœur de l’Élysée. Cette privatisation de la sécurité présidentielle, avec ses dérives barbouzardes, dévoile la part d’ombre du monarchisme macronien." Edwy Plenel, Mediapart.
Macron affaiblit les contre-pouvoirs. Il faut saluer l'enquête du Monde qui a révélé l'affaire. Mais à l'encontre de la presse, au nom d'une prétendue nécessaire distance, Macron a tenu à l'écart les médias: les conférences de presse sont rares, elles ne sont jamais assorties de questions/réponses contradictoires.
"Grave, le tabassage de manifestants. Grave, un proche de Macron se substituant aux forces de l’ordre. Mais gravissime, la réaction du pouvoir, ou plutôt son absence de réaction" Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, Les Jours.

La communication a pris le dessus - déambulation, mise en scène dans une école de campagne, etc.. Les associations humanitaires sont fustigées - les ONG sont expulsées de l'aide alimentaire aux migrants, ou accusées de complicité avec les passeurs.
Les cheminots sont désignés à la vindicte. Les chômeurs sont accusés de flemmardise. Les grévistes sont accusés de gêner.  Un député joue même au briseur de grève de la poste en distribuant lui-même le courrier.
Emmanuel Macron n'est pas seulement antisocial, il est d'abord autocratique. 
Cette concentration progressive des pouvoirs dans les mains d'un jeune monarque entraine son lot de courtisanerie. Elle attire, favorise les comportements de courtisans qui masquent les excès du pouvoir. Alexandre Benalla était coutumier de ces sorties "hors sol" mais protégées, à en croire les syndicats de police.
585ème semaine politique: l'autocrate et les benêts Dans une démocratie, ces barbouzes auraient été immédiatement arrêtés, puis mis en examen. Mais nous sommes en France. Le gendarme à la retraite, militant des marcheurs, fut discrètement suspendu puis discrètement viré. Le "chargé de mission" Benalla fut suspendu 15 jours. Un troisième homme court toujours.
L'ex-journaliste devenu communicant de la Répression ose déclarer ceci:
La sanction prise contre Alexandre Benalla est "la plus grave jamais prononcée contre un chargé de mission", estime l'Élysée pic.twitter.com/hUgpdshxeX — BFMTV (@BFMTV) 19 juillet 2018
Il faut attendre deux mois, deux longs mois et demi pour que des sanctions plus graves soient envisagées, et la justice enfin saisie après des révélations de la presse.
Cette affaire de milice présidentielle appelle plusieurs questions en cascade, toutes désagréables pour le jeune monarque qui fait des selfies avec notre équipe de France de football.
#1. Les faits remontent à deux mois et demi. Quand Emmanuel Macron a-t-il été mis au courant de ces violences illégales ? Quand a-t-il su que l'homme qui l'accompagne dans ses déplacements personnels (au Touquet) et professionnels (en province, à l'étranger) jouait des poings contre des étudiants récalcitrants ? D'après son propre directeur de cabinet,  Patrick Strzoda, Jupiter a été mis au courant très rapidement "des faits de violences en réunion avaient été commis en marge du 1er-Mai." Donc Jupiter est au courant très tôt. Donc il est surprenant que les sanctions furent si légères si tôt. Le barbouze Benalla a réintégré l'Elysée le 19 mai. 
#2. Pourquoi la sanction "immédiate" fut-elle si légère ? Pourquoi Gérard Collomb, mis au courant le lendemain des faits de violence, a-t-il d'abord considéré que frapper illégalement des manifestants ne mérite qu'une suspension administrative de 15 jours ? Considère-t-il que ce ne sont que des "incidents" ? La qualification de délit ne conviendrait-elle pas mieux pour désigner "l'usurpation de signes réservés à l'autorité publique" ? Vendredi 20 juillet, Alexandre Benalla puis Vincent Crase sont enfin placés en garde à vue pour "violences en réunion par personne chargée d'une mission de service public", "usurpation de fonctions", "port illégal d'insignes réservés à l'autorité publique" et "complicité de détournement d'images issues d'un système de vidéoprotection". Un commentaire de Gérard Collomb ? Ces mises en examen suivent, et non précèdent, les révélations de la presse.
#3. Qui peut croire que personne n'était au courant de la gravité des faits ? Qui peut croire que personne dans les forces de police, au ministère de l'intérieur, dans l'appareil d’État n'était au courant des faits dévoilés par Le Monde ce 18 juillet 2018, c'est-à-dire une scène en public, filmée, dans laquelle deux collaborateurs de l'Elysée ont finalement été identifiés par l'Elysée puisqu'ils ont été sanctionnés légèrement quelques jours plus tard ? Notre appareil d'Etat macroniste cherchait-il à couvrir ou bien est-il composé de buses inefficaces ?
#4. Pourquoi avoir voulu étouffer l'affaire ? "Début mai, dans les jours qui suivent, l’Elysée commence à s’inquiéter" explique France info. "Pendant plusieurs semaines, les conseillers du président font le dos rond. Ils espèrent, sans trop y croire, que l’affaire tombera dans l’oubli." Tardivement, une fois l'affaire révélée au grand jour, l'Elysée se décide à virer Benalla le 20 juillet (sic!). Le motif du licenciement fait sourire, rien à voir avec les faits de violence: l'Elysée a engagé "la procédure de licenciement" d'Alexandre Benalla, "en raison de faits nouveaux portés à sa connaissance". Selon l'Elysée, le chargé de mission "aurait été destinataire d'un document de la préfecture de police qu'il n'était pas autorisé à détenir". Sans blague... Frapper une lycéenne sur la place de la Contrescarpe, cela ne méritait pas meilleure sanction ?

585ème semaine politique: l'autocrate et les benêts #5. Si ces hommes ont abusé de leur emploi élyséen, pourquoi la Présidence de la République ne s'est-elle pas immédiatement portée civile contre eux ? L'autorité de l’État a été engagée, commente Jean-Luc Mélenchon. C'est un fait. La police, la gendarmerie sont abimées par de tels faits. Y-a-t-il une milice qui fonctionne ainsi régulièrement ? Les syndicats de policiers doivent réagir.


#6. Alexandre Benalla a-t-il commis d'autres dérapages ? "Ce n'est pas la première fois qu'il vient sur un service d'ordre ou qu'il vient se mêler de services de police." a précisé un responsable syndical policier.

#7. Pourquoi Emmanuel Macron a logé Alexandre Benalla dans ce même quai Branly où François Mitterrand logeait sa fille cachée Mazarine à Paris ? Pourquoi l'avoir embauché à l’Élysée alors que lui et Vincent Crase, son "supérieur", réclamaient des armes à feu et autres équipements surréalistes de sécurité pendant la campagne, au grand dam des propres membres de l'équipe macroniste?
#8. Le second homme sanctionné, Vincent Crase collaborait "très ponctuellement" pour l'Elysée. On croit rêver. Combien d'intermittents de la sécurité la Présidence de la République embauche-t-elle ainsi ?  
#9. Pourquoi y-a-t il peu de réflexes humanitaires et démocratiques au sein de la Macronista ? La défense des premiers jours par les supporteurs du monarque a usé des techniques habituelles pour circonscrire l'incendie: on attaque l'opposition qui en ferait trop ("opposition guignolesque" explique Aurore Bergé), on nie l'évidence ("on n'a rien étouffé" déclare Griveaux), on relaye des rumeurs pour minimiser "l'incident", on agite un peu de théories complotistes ("mais pourquoi avoir tardé à révéler l'affaire ?"... sic !), on attaque l'un de ceux, militant, qui a filmé les faits.


 
Pendant ce temps à l'Assemblée nationale, les député(e)s godillots de la Macronista votent la réduction du pouvoir parlementaire
Sans blague...
Ils/Elles votent un à un les articles de la réforme constitutionnelle, et en premier lieu la réduction d'un tiers du nombre de ... député(e)s (de 577 à 400). Justement, l'Assemblée, de gauche à droite, avec cette unanimité trans-partisane sin chère à Emmanuel Macron, "ni de gauche, ni de droite", exige une commission parlementaire pour enquêter sur cette affaire d'Etat.
Les "valets de l'Elysée" comme les qualifie l'insoumis François Ruffin exécutent pourtant des ordres pris ailleurs, de l'autre côté de la Seine, ne mouftent pas. La Garde des Sceaux Nicole Beloubey, agacée que les travaux parlementaires soient interrompus à cause de l'affaire Benalla, évoque une "prise d'otage" de l'Assemblée. Cette dame est ministre de la Justice de la République et au soir d'une révélation de barbouzerie hallucinante au sommet de l’État, voici qu'elle se plaint que le Parlement veuille enquêter... Ne faudrait-il pas davantage de contrepouvoirs ? Visiblement pas pour cette pauvre dame.
La même réforme prévoit aussi de laisser l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale dans les mains du gouvernement.
Cette même réforme veut donc diminuer le nombre de parlementaires. Nos député(e)s sont pourtant épuisé(e)s. Toutes et tous le reconnaissent, officiellement ou officieusement. La Macronista s'enorgueillit même de ce rythme effréné des "réformes" législatives et lois en tous genres envoyés à l'abattage parlementaire depuis juin 2017. Chaque examen parait pourtant trop court, vu l'ampleur des tâches et des ambitions affichées.
"L’exécutif avait besoin de saboteurs de l’intérieur et vous êtes aujourd’hui ses saboteurs"
François Ruffin

La réforme parlementaire prévoit aussi de plafonner à 50 jours la durée d'examen des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Ces textes définissent les éléments de base les plus essentiels de la solidarité nationale: qui paye l'impôt, comment et pour quel usage ? Il y avait paraît-il urgence à limiter le temps d'examen des député(e)s.
La Macronista s'abrite comme souvent derrière quelques progrès pour faire passer ses gros reculs - la suppression de la Cour de Justice de la République, ou le retrait des anciens présidents de la République du Conseil Constitutionnel.
Ami macroniste, re-saisis-toi.


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