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Dialogue socratique chez Cratyle

Publié le 22 juillet 2008 par Roman Bernard

En attendant d'avoir à nouveau le temps de poster, je vous invite à lire le dernier billet de Patrice Lamothe, alias Cratyle, intitulé " Vers la fin de l'actualité ", et le dialogue socratique qu'il a tenu à engager avec moi à la suite de mon premier commentaire. Commentaire et dialogue que je reproduis ci-dessous :


Criticus a dit :

22 juillet 2008 à 12:57
[...] l'"infini pluralisme des actualités" impose de trouver un moyen de les synthétiser pour les rendre intelligibles au lecteur. C'est tout le défi des nouveaux médias. Et pour synthétiser des flux aussi divers, il faudra des professionnels : des journalistes. Le métier est à réinventer. Il est vivant.


Cratyle a dit :

22 juillet 2008 à 14:16
[...] professionnel de la synthèse, dis-tu? Un homme de l'antiquité t'aurait peut-être répondu quelque chose dans ce gout là, si on me passe le mauvais plagiat:
- "Dis-moi, excellent Criticus, où donc s'apprend cette mystérieuse capacité à synthétiser et à rendre intelligible? N'est-ce pas le médecin qui synthétise les questions médicales? Le charpentier les questions de toitures? Et pour ce qui est des questions humaines et des questions du citoyen, les hommes et les citoyens ne sont-ils pas d'un avis également légitimes? Et s'il il y a une école ou tout cela s'apprend et se perfectionne, dis-moi laquelle elle est, cher Criticus, afin que je puisse moi aussi en bénéficier"


Criticus a dit :

22 juillet 2008 à 15:06
- "Ta conjecture n'est pas fausse, excellent Cratyle, mais les médias traditionnels ne donnent-ils pas déjà la parole à des professionnels lorsque l'évolution de leur secteur concerne l'ensemble du corps citoyen ?

Qui est capable de dire, dans la masse des informations spécialisées, celles qui intéressent ou non les citoyens dans leur ensemble, sinon un professionnel de la synthèse, apte à distinguer dans les flux d'information le particulier du général ?

Et aussi, fait que tu sembles négliger, capable de présenter ces informations spécialisées de manière à ce que le profane puisse la comprendre ? On ne niera pas qu'un physicien nucléaire est seul habilité à fournir des informations sur la physique nucléaire.

Mais on peut douter qu'il soit le mieux formé, en termes de compétence rédactionnelle, pour rendre son travail intelligible au grand public. On peut imaginer qu'un journaliste honnête réussira à mieux le présenter, et ainsi à donner une véritable plus-value à l'information qu'il a recueillie auprès du physicien.

J'ignore si c'est en charpentant que l'on devient charpentier, mais pour répondre à ta question finale, c'est en synthétisant que l'on devient synthétiseur.

J'ajoute, excellent Cratyle, pour conclure mon propos, qu'appliquée au politique, ton idée d'une meilleure compétence des spécialistes aboutit à la mort du politique en tant que tel, et substitue l'expertocratie - ou plutôt, puisque tu tiens à engager avec moi un dialogue quasi-socratique, l'oligarchie - à la démocratie représentative, laquelle délègue à des généralistes le pouvoir de décider, au nom de l'intérêt général, entre les divers intérêts particuliers que peuvent faire valoir ces professionnels dont tu vantes les compétences. C'est pourquoi, bien qu'elle soit séduisante, je me méfie quelque peu de ta logique que je juge excessivement polycentriste. S'il n'est plus de professionnel de la synthèse, restera-t-il des professionnels du sens ? Je n'en suis pas convaincu."


Cratyle a dit :

22 juillet 2008 à 15:40
[...] C'est bien le sens de mon commentaire de dire qu'il ne saurait y avoir de spécialiste du politique ou de l'humain en particulier (ce qui impliquait que les journalistes ne pouvaient pas se prévaloir de cette compétence). Il n'y a pas non plus d'experts qui ne soient qu'experts, qui n'aient pas d'autres gouts et d'autres compétences, et dans leur masse, il en s'en trouve toujours pour savoir discuter plus largement de leur sujets et les populariser. Les expertises sont du reste elles-mêmes engagées dans un processus de démocratisation qui... mais c'est peut-être un autre sujet.


Criticus a dit :

22 juillet 2008 à 15:53
C'est peut-être un autre sujet, mais celui de la meilleure compétence pédagogique et vulgarisatrice des bons journalistes ne l'est pas : il est central, et j'eusse aimé que tu répondisses à ma remarque.


Cratyle a dit :

22 juillet 2008 à 16:32
[...] je ne me donne pas d'obligation de réponse sur ce blog, d'une part par manque de temps, d'autre part parce que je crois que l'avis des autres commentateurs peut-être tout aussi éclairant. Cela dit, j'avais quand même un peu touché à ta question dans le précédent commentaire : "Il n'y a pas non plus d'experts qui ne soient qu'experts (...) et dans leur masse, il s'en trouve toujours pour savoir discuter plus largement de leur sujets et les populariser". Il me semble d'ailleurs que la vulgarisation est rarement l'activité principale d'un journaliste, même si c'est en effet un talent.


Criticus a dit :

22 juillet 2008 à 17:30
Ce à quoi je te réponds qu'il n'y a pas moins d'expert de la vulgarisation que de la charpente ou de la médecine. Ta remarque remet plus en cause le maljournalisme que le métier de journaliste lui-même.


Cratyle a dit :
25 juillet 2008 à 10:52

[...] A plus court terme je crois que chaque communauté ou micro-communauté constituera peu à peu sa propre actualité. Mais il n'y a probablement pas de limite à la fragmentation qu'un tel mouvement peut engendrer.


Criticus a dit :
25 juillet 2008 à 12:57

[...] Et, excellent Cratyle, te réjouis-tu de cette fragmentation, la déplores-tu (comme moi), ou te contentes-tu de la prophétiser ?


Cratyle a dit :
25 juillet 2008 à 19:00

[...] J'ai un peu tendance à me réjouir de cette fragmentation-là. Je crois qu'il s'agit d'une multiplication des points de vues, des opinions, des intentions, des idées. La démocratisation n'homogénéise pas le monde: elle le colore et l'enrichit. Elle l'énergise.


Criticus a dit :
26 juillet 2008 à 13:03

L'idée selon laquelle, comme tu le dis bien, " [l]a démocratisation n'homogénéise pas le monde: elle le colore et l'enrichit. Elle l'énergise ", et à laquelle je souscris, n'empêche pas qu'il y ait une instance - la presse - qui donne un sens à la multiplication - plutôt que la fragmentation - " des points de vues, des opinions, des intentions, des idées ". La preuve en est que lorsqu'un internaute veut s'enquérir de l'actualité - c'est-à-dire, ni plus ni moins, le flux synthétisant toutes les nouvelles informations recueillies par des experts de l'information -, il se rend sur les sites des grands médias - et, fait intéressant, des grands journaux. Il est beaucoup plus facile de faire confiance à un acteur indépendant de la transmission d'informations plutôt qu'à des acteurs isolés qui communiquent sur leur domaine de compétence. D'autant que, je le répète, ces acteurs isolés sont également consommateurs des informations produites par les autres. Quelle autre instance qu'un grand média généraliste peut fournir à tous une synthèse des diverses informations produites par ces acteurs ?

Le souci réside plus, à mon sens, dans l'indépendance des médias à l'égard des grands groupes industriels et financiers pour les patrons de presse, et de la gauche institutionnelle pour les journalistes de base. Le légitime discrédit qui frappe la presse n'enlève rien - au contraire - à son rôle.

Roman Bernard

Criticus est membre du Réseau LHC.


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