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La chronique de PV (IV) - Le crépuscule des lieux

Publié le 26 juillet 2008 par Jb
557eec3e3c9e2b0d78218d68e33e0aa8.jpg Depuis des mois, cet homme de très mauvaise foi baptisé PV hante mon blog en laissant des commentaires de plus ou moins bon aloi. Je lui ai récemment proposé de lui laisser, une fois par mois, les colonnes d'A REBOURS pour exprimer son point de vue. Bien entendu, un point de vue qui n'engage que lui !!!
Petit retour orienté sur notre histoire, envisagée de manière large, absolument subjective et partiale.
Le petit groupe humain primitif : perdu dans sa caverne, il communique par signes et vagues sons, protolangage archaïque de proximité.
Les premières sociétés : le langage se développe, l’écriture apparaît et, miracle, le sens se transporte d’un lieu à l’autre, moyennant temps et énergie.
Les civilisations : la découverte du monde, les terres se dévoilent au fil des explorations, les missives traversent des territoires de plus en plus étendus, les distances dominées sont de moins en moins le signe de la finitude de l’Homme.
L’époque contemporaine : après le télégraphe, voici que sont propulsés le téléphone, la radiodiffusion, la télédiffusion, et bien sûr l’internet avec son cortège d’illusions ubiquites.
Au cours même de cette dernière époque, les évolutions sont particulièrement marquées car rapides et définitives : des premiers ordinateurs aux PC pour les particuliers, des premiers balbutiements de la communication par mél aux réseaux sociaux, les modalités d’échange et de diffusion ont été totalement bouleversées.
Difficile ici de ne pas songer à la trop (?) fameuse thèse de Deleuze et Guattari : le processus de déterritorialisation en œuvre tout au long de notre histoire. En effet, plus nous avançons et moins semblent compter les distances, les territoires et les cultures. Si l’on prend par exemple l’économie, il est évident que le mot d’ordre actuel (celui de la sacrosainte globalisation) vise à abolir l’obstacle que constitue l’espace et ses contraintes pour se développer dans un monde sans barrière, abstrait et formel, celui du libre échangisme commercial généralisé.
Autre exemple, celui de l’information : l’événement à Tokyo remplace le battement du papillon et se trouve relayé à Los Angeles et crée le désordre à l’autre bout du monde.
Un fait récent qui a le mérite de joindre les deux précédents exemples est l’annonce, il y a quelques années, par la direction de Michelin, de centaines de licenciements : alors que les investisseurs s’inquiétaient de la valeur de leurs actions, la simple évocation des licenciements en France a rassuré les fonds de pension aux USA et a fait remonter la valeur boursière de l’entreprise… entrainant (qui s’en soucie ?) la perte de milliers d’emplois en France.
L’avènement des réseaux sociaux, des blogs, des technologies 2.0, abolit les dernières distances qui nous font exister encore en un monde qui repose sur un sol, sous un ciel et dans une histoire (je prends volontairement la pose d’un heideggérien vaguement pétri par les thèses d’O. Spengler et d’E. Jünger, un joli trio à faire se pâmer les cons – ceux qui ont lu, du moins). A mesure que vont les choses, les lieux semblent ne plus compter. Le fameux "adolescent mondial" pointé du doigt par Naomi Klein dans son précédent ouvrage (No Logo : y en a-t-il encore qui n’ont pas lu cela ?) est à présent dépassé et laisse la place à l’individu absolu, rêvé par les théoricien de l’absolu libéralisme, l’être abstrait, rationnalisé à défaut d’être rationnel et programmé par les lois et règlements que lui concocte une classe politique aux ordres de maîtres-chiens avides de grasses richesses et de lourdes chaines à passer au col de leur "bétail humain".
Le seul obstacle – et notre espoir – est que cet être fantasmé ne correspond – encore – en rien à l’individu qui persiste à cheminer sur Terre… d’où les émeutes de la faim en Afrique, les désordres politiques et insurrectionnels en Amérique latine, la révolte latente des différents quarts-mondes disséminés par chez nous… le pauvre de chair, de sang et de sol a le défaut d’éprouver la faim depuis sa pauvreté même. Et l’on n’a pas faim en Afrique comme à Davos, ni dans les mines d’Atacama comme à Wolfeboro.
On se trouve donc, à ce que je comprends de cette situation, scindé entre deux mondes : l’un, idéal et parfait, l’autre, brouillon et trop humain. L’un où le lieu cesse d’exister, l’autre où le territoire signifie encore quelque chose. L’un où l’individu est programmé pour produire ce qu’on lui demande (voir les dernières trouvailles du gouvernement hollandais, pays charmant où aucun chômeur ne pourrait plus refuser aucune offre d’emploi, quelle qu’elle soit), l’autre ou l’individu, corps et esprit mêlé, se paye encore le luxe de la liberté. L’un, où tous s’équivalent dans le pur calcul du profit, l’autre où celui qui vient d’ici peut encore rencontrer celui qui vient de là-bas et s’éprouver dans la différence qui les caractérisent et la similitude qui les humanise.
La question est de savoir comment vont, à l’avenir, coexister ces deux fragments d’humanité : l’idéale, qui sait évoluer dans l’hyperespace économique et virtuel, l’autre, réactionnaire archaïque et régressive, qui laisse encore résonner sur le sol les quelques pas qui séparent sa voiture de la maison quand il rentre le soir.
Qui donc des frères humains ou du caniche cystique urinant sa logorrhée le long des caniveaux numériques, sortira indemne ?

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