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Gouvernance Internet : mainmise des Etats-Unis réaffirmée

Publié le 01 août 2008 par Jean-Marie Le Ray

1. Rôle du DoC
2. Rôle de l'ICANN
3. Rôle de Verisign

* * *


L'Administration US chargée des Télécoms et de l'Information, la NTIA, émanation du DoC - Department of Commerce, vient d'envoyer une lettre à l'ICANN, dans laquelle elle réaffirme sans ambiguïté, et avec force, sa mainmise sur la racine de l'Internet. Le dernier paragraphe suffit pour comprendre :

The Department believes strongly that it is important to clarify that we are not in discussions with either party to change the respective roles of the Department, ICANN or VeriSign regarding the management of the authoritative root zone file, nor do we have any plans to undertake such discussions. Consistent with public statements made by the United States government starting in 2000 and reinforced by the 2005 U.S. Principles on the Internet's Domain Name and Addressing System, the Department, while open to operational efficiency measures that address governments’ legitimate public policy and sovereignty concerns with respect to the management of their ccTLD, has no plans to transition management of the authoritative root zone file to ICANN as suggested in the PSC documents.

En bref : « Nous n'avons engagé aucune discussion (ni n'avons aucune intention de le faire) avec qui que ce soit pour modifier quoi que ce soit aux rôles respectifs du DoC, de l'ICANN et de Verisign relatifs à la gestion de la racine de l'Internet. »
Extraits de précédents billets, adaptés en me limitant à l'aspect "gouvernance de l'Internet", voici un récapitulatif de ces rôles. [Début]

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1. Rôle du DoC
Le 30 septembre 2006, le Department of Commerce (DoC) des États-Unis a fait jouer le « droit de préemption » qu'il s'était réservé en renouvelant le protocole d'entente (Memorandum of Understanding - MoU) pour conserver sa tutelle sur l'ICANN et sa mainmise sur le contrôle d'Internet.
Comme l'explique si bien quelqu'un sachant de quoi il parle, Stephan Ramoin (Gandi) :

Le système qui gère les noms de domaine est clairement identifé :
- Le Department of Commerce (DoC) américain est l'organe décideur des choix stratégiques via une de ses émanations, la NTIA,
- La NTIA délègue à L'ICANN (une association) la gestion administrative des noms de domaines,
- L'ICANN choisit les prestataires techniques pour la gestion au jour le jour et l'exploitation des extensions générales (Verisign pour le .com et le .net, PIR pour le .org, Affilias pour le .info etc ...), et les pays font leur choix sur leur extension nationale.

(...)
Donc ne pas confondre ce protocole avec l'accord IANA (Internet Assigned Numbers Authority), qui consiste à « préserver les fonctions de coordination centrale de l'internet dans l'intérêt de la communauté », avec en tête, les missions de zonage du monde avec attribution d’adresses IP à des organismes locaux (Apnic, Arin, Lacnic, ou pour l’Europe, Ripe Ncc), pour lequel l'ICANN a été reconduit jusqu'en 2011, le 15 août 2006.
Un droit détenu par l’Icann depuis 1998. Depuis sa création, en réalité. Que l'on pourrait virtuellement faire remonter au 1er juillet 1997, lorsque Bill Clinton chargea le Secrétariat d'État au Commerce de privatiser le DNS (Domain Name System) afin d'accroîte la compétition et de faciliter la participation internationale à la gestion du système. Un Livre vert fut publié le 20 février 1998 (cf. background), et l'ICANN créé, suite à ces événements.
Chose étrange, le jour même de la sortie du Livre vert, la Commission européenne publiait une communication intitulée « INTERNATIONAL POLICY ISSUES RELATED TO INTERNET GOVERNANCE - COMMUNICATION TO THE COUNCIL FROM THE COMMISSION » (Problèmes de politique internationale liés à la gouvernance d'Internet - Communication de la Commission au Conseil), dans laquelle l'approche retenue allait sûrement dans le bon sens :

It is essential for the European Union to participate fully in the decisions which will determine the future international governance of the Internet on the basis of the general objectives set out in the recent Commission proposals for increased international co-operation on global communications policy...
Il est essentiel que l'Union européenne participe pleinement aux décisions qui détermineront l'avenir de la gouvernance internationale d'Internet, sur la base des objectifs généraux fixés dans les récentes propositions de la Commission pour intensifier la coopération internationale sur les politiques mondiales des communications...

Certes, en 8 ans, beaucoup de chemin a été parcouru ... à rebours !
Avec le DoC qui continue de souffler le chaud et le froid, puisqu'après avoir laissé croire à une trêve ou qu'il lâchait du lest, d'aucuns ont pu penser que le débat sur la gouvernance d'Internet était relancé en juillet 2006

 :

Contre toute attente, lors d'une réunion publique organisée mercredi à Washington, le Département US du commerce a indiqué que les États-Unis pourraient céder une partie de leur contrôle 'historique' d'Internet. Rien n'est fait. Il faudra attendre le 30 septembre 2006 pour savoir quels pouvoirs les Etats-Unis entendent "céder" et sous quelles conditions.

Or il est clair maintenant qu'il n'en sera rien, et ce ne sont pas les illusoires et velléitaires impulsions de Bruxelles qui pourront y changer quelque chose :

La Commission européenne est bien décidée à ne pas relâcher la pression sur la question de la gouvernance de l'internet. Elle prépare activement le premier Forum consacré au sujet, qui devrait avoir lieu à Athènes du 30 octobre au 2 novembre prochain.

Dommage que le partenariat public-privé U.S. DoC-ICANN aura déjà été dûment signé... un mois plus tôt, et pour cinq ans !
Mais vu les progrès accomplis de 1998 à 2006, tant du côté américain (le « faciliter la participation internationale... » du Gouvernement Clinton) que chez nous (« Il est essentiel que l'Union européenne participe pleinement aux décisions qui détermineront l'avenir de la gouvernance internationale d'Internet... »), un petit lustre ne sera pas de trop pour éclairer nos négociateurs, actuellement réduits à formuler des vœux pieux, comme en témoigne cette déclaration de la Commissaire européenne pour la société de l’information et les médias, Viviane Reding

 :

- Pour l'instant, l'ICANN est sous domination des États-Unis. Le Département américain du commerce a un droit de regard, qui devrait être renouvelé à la fin du mois. Nous avons beaucoup discuté avec eux : idéalement, on préférerait qu'il n'y ait pas de mainmise du tout, mais espérons au moins qu'elle soit la plus légère possible, que ce droit de regard ne comprenne plus de mesures d'intervention...

Au moins, la lettre NTIA mentionnée en début de billet remet les pendules à l'heure. [Début]

* * *


2. Rôle de l'ICANN
Inexistant. La lettre NTIA met brutalement fin à toute velléité de transition. Rappel des événements ayant conduit à instaurer l'ICANN :
Créée en 1979, Network Solutions est l'ancêtre des Registrars. Après le début d'Internet au public, le nommage fut assuré dès 1992 par l'InterNIC (Internet Network Information Center), émanation du Département du Commerce américain (DoC U.S.).
Le nommage consiste à associer un nom de domaine à une adresse IP, tous les noms étant gérés par le DNS, qui traduit les noms en adresses IP et vice-versa. Or les coûts d'enregistrement et de gestion de la base de données ne cessant d'augmenter, le gouvernement américain décida d'en "privatiser" la gestion et signa le 31/12/1992 un accord de coopération avec Network Solutions, par le biais de la National Science Foundation.

This agreement is entered into between the United States of America, hereinafter called the Government, represented by the National Science Foundation, hereinafter called the Foundation or NSF, and Network Solutions, Incorporated, hereinafter called the Awardee.

Aux termes du contrat, Network Solutions Inc. (NSI) (ou NetSol) perçut près de 6 millions $ pour l'administration de la base centrale avant d'instituer, en septembre 1995, le système payant du droit d'enregistrement que nous connaissons encore aujourd'hui. Le "droit" s'élevait à 50$ par domaine et par an pour les deux premières années. L'accord arrivait à expiration le 30/09/1998.
Le 5 juin 1998, un Livre vert du DoC U.S. prévoyait d'assurer une transition vers une nouvelle gestion du DNS en créant un organisme de droit privé ad hoc, sans but lucratif, qui serait opérationnel dès octobre :

4. Creation of the New Corporation and Management of the DNS. The Green Paper called for the creation of a new private, not-for-profit corporation(17) responsible for coordinating specific DNS functions for the benefit of the Internet as a whole. Under the Green Paper proposal, the U.S. Government(18) would gradually transfer these functions to the new corporation beginning as soon as possible, with the goal of having the new corporation carry out operational responsibility by October 1998.

Ce fut donc la création de l'ICANN, dont la collaboration avec le gouvernement fut sanctionnée par l'accord du 25 novembre 1998.
Entre-temps, le 1er octobre, le contrat entre National Science Foundation et NetSol repassait sous l'autorité du DoC et était prolongé jusqu'au 30 septembre 2000, ce qui faisait de la société l'acteur incontournable de l'enregistrement des noms de domaine dans les extensions .COM, .NET et .ORG., même si la transition prévoyait une ouverture de son quasi-monopole à la concurrence.
De nouveaux accords furent donc signés par NetSol en novembre 1999 avec le DoC et avec l'ICANN, et le 10, un accord tripartite (DoC - ICANN - NSI) prévoyait d'étendre la gestion des registres .COM, .NET et .ORG jusqu'au 9 novrembre 2003, ou jusqu'au 9 novrembre 2007 si la gestion des registres avait été scindée de la société avant le 9 mai 2001.
Or NetSol fut rachetée 21 milliards $ par VeriSign le 7 mars 2000 (voir également cet article), qui prit ainsi le contrôle du registre des TLD (y compris .EDU), pour ne conserver ensuite que les 2 plus lucratifs (.COM et .NET) et déléguer la gestion du .ORG à PIR (Public Interest Registry, émanation de l'ISOC).
Fin octobre 2003, lorsque VeriSign "brada" Network Solutions pour 100 millions de dollars, en fait elle ne revendit qu'une coquille vide en conservant ses trésors de guerre : les .COM et .NET. [Début]

* * *


3. Rôle de Verisign
Le 29 novembre 2006, le Département du Commerce des États-Unis approuvait définitivement l'accord conclu entre l'ICANN et Verisign pour mettre fin au procès qui les opposait :
Gouvernance Internet : mainmise des Etats-Unis réaffirmée
Un accord accompagné d'un avenant de 95 pages (PDF), qui laisse à VeriSign la gestion du .COM au moins jusqu'en 2012, dont les implications nous échappent encore totalement, mais qui ne manque pas de sel, puisque l'administration US, via la NTIA, bypasse (qu'on m'excuse l'anglicisme) désormais totalement l'ICANN, ainsi reléguée au rang de marionnette, et encore... :

...Based on the consultations undertaken and advice received, the Department negotiated Amendment 30 to its Cooperative Agreement with VeriSign to address competition issues, including pricing and renewal, and Internet security and stability concerns.
(...)
Pricing
VeriSign must obtain prior written approval from the Department of Commerce before any amendments can be made to the pricing provisions of the agreement or execution of a renewal or substitution of a future .com Registry Agreement.
(...)
Renewal
VeriSign must obtain prior written approval from the Department of Commerce before execution of a renewal or substitution of a future .com Registry Agreement.
(...)
Internet Security and Stability
VeriSign must obtain prior written approval from the Department of Commerce before execution of a renewal or substitution of a future .com Registry Agreement.
(...)

En gros, à chaque fois, autant en matière de tarification que de renouvellement de l'accord afin de garantir la sécurité et la stabilité de l'Internet, « Verisign devra obtenir l'accord écrit préalable du Département du Commerce avant de... », ce qu'on appelle une politique d'ouverture bien comprise !
Mais qu'on se rassure, l'acharnement du DoC à vouloir contrôler exclusivement tout ce qui touche de près ou de loin à Verisign n'a pas grand chose à voir avec le Registre du fameux .COM, ou si peu, mais plutôt avec la gestion du système universel d'adressage d'Internet, le DNS, et, à terme, avec celle de son petit frère, destiné à grandir et grandir encore : l'ONS. On n'en parle pas encore, ou très peu, mais croyez-moi, ça ne vas pas tarder, au point qu'on pourrait bientôt davantage évoquer l'ONS que le DNS... Sans compter la relation stratégique étroite et les similitudes poussées entre les deux :

« Longtemps reconnue pour le rôle qu’elle a joué dans le fonctionnement de l’infrastructure critique sous-jacente au DNS et à internet, la société VeriSign développe son infrastructure et son expertise pour soutenir le serveur racine du service de nommage d’objet d’EPCglobal Network (ONS Object Numbering System). »

Source : Rapport du GTI sur les technologies de radio-identification (RFID).
Voici donc la relation entre l'Internet des objets, ou des choses, et Verisign, puisque c'est cette dernière qui gère depuis janvier 2004 l'ONS (Object Name System), le système des noms d’'objets qui sert à identifier les objets physiques sur le réseau grâce à l'’Electronic Product Code, ou code EPC.
Un peu en réponse à l'interrogation inscrite à l'encre rouge dans la présentation (PDF) de SIAIGE : « Le contrat avec Verisign concerne la racine onsepc.com, quid du .COM » ? La réponse est désormais claire, et même si, selon Philippe Gautier, « ce choix est indiscutable d'un point de vue technique, il est pourtant légitime de s'interroger sur la nature du lien qui lie cette société de droit privé à un organisme paritaire comme EPCglobal (héritage de GS1). »
Gouvernance Internet : mainmise des Etats-Unis réaffirmée
[Début]

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Donc derrière la réaffirmation claire et nette de la mainmise américaine sur le DNS, il est clair que le DoC et Verisign se réservent également la mainmise sur l'ONS. Avec ou sans l'ICANN, qui de toutes façons ne servira plus à rien. Si ce n'est, de temps en temps, à décider la création de quelques nouvelles extensions, histoire de renflouer ses caisses et d'amuser la galerie... [Début]
Jean-Marie Le Ray


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