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Le monde en apesanteur

Publié le 26 juillet 2008 par Perce-Neige
Parfois, tout arrive par hasard. C’est ce qui en tisse la trame. Parfois c’est un vent plus profond. Parfois l’envie d’une ritournelle. La corde brisée d’un violoncelle. La crête des vagues. Mais, pour Frédéric Flament, toutes les histoires, sans aucune exception, méritent d’être rapportées. Pour peu que l’on accepte de s’en écarter. Et d’ouvrir la moindre déchirure. De s’affranchir du récit. Et de sa mélodie. De tirer comme un malade sur le mot qui dépasse. De lui juxtaposer d’autres harmonies que celles que vous souffle la rumeur. Ce qui suppose de lui châtrer l’entrecuisse. De lui dégoupiller la cervelle. Il ne sert à rien d’en dire davantage, non ? Suffit d’exacerber les suintements de la phrase. De s’extraire de la ligne. De couper court au double jeu des grammaires et des symboles. D’envoyer valdinguer les rimes criminelles. Suffit juste d’oublier…. Frédéric Flament en sait quelque chose. En avril 2002, il en est à son septième roman. Et à sa troisième adaptation cinématographique. Sans parler des traductions, en veux tu en voilà. A l’approche de la cinquantaine, sa voie est tracée. Plus rien ne peut briser son assurance. Il comprend. Et vous explique. Et vous dit ce que vous espérez vivre. Ce qui devrait, bientôt, advenir du monde. De vos amours. De l’enfer en général. Et de votre quotidien en particulier.
En avril 2002, on ne compte plus les interviews qui paraissent à son propos. Ses analyses. Ses piques. Ses travers. Ses flatteries. Ses coquetteries. Ses coups de gueule. Ses fatigues. Ses glissements sémantiques.
Pourtant, parti de rien, ou de si peu (un père proviseur de lycée, une mère pianiste mais surtout à moitié folle), il agace autant qu’il fascine. Sa réussite, érigée en modèle, s’expose même désormais dans de luxueux magazines qui vantent ses mérites. PerformancesLittéraires lui consacre un dossier particulièrement bien documenté. Le journaliste, évoque, au fil des pages, une force de caractère peu commune, qualifiée de ressort secret du succès. Il flatte également son intelligence acérée des hommes et des situations, règle, en passant, son compte à certaines rumeurs et se lance dans une description élogieuse du personnage dont, à mots couverts, et en larmoyant, ses deux meilleures amies (nous n’en saurons pas plus) feignent tout de même de se plaindre un peu. Trop exigeant, trop parfait. Mais, par dessus tout, s’il faut en croire l’avalanche de courriers qui, littéralement, submerge la rédaction dans les semaines suivantes, ce sont de ses propos définitivement visionnaires dont les lecteurs se disent les plus friands. Selon le mot de l’un d’eux, Frédéric Flament se caractérise surtout par sa faculté de ne s’imposer que là où on ne l’attend pas et c’est précisément ce qui le rend terriblement efficace.
D’autres s’apprêtent, déjà, à faire de son œuvre un rempart contre la sottise. Cinq étudiants préparent une thèse à son sujet. On ne sait plus quoi inventer ! « L’ange dans la tempête » est introuvable depuis longtemps. Frédéric Flament s’en explique. Et s’en contrefout. Son premier grand succès, « Affaire(s) » est parfois qualifié de monstruosité littéraire. Admettons.
Hélas pour l’idée que nous nous faisons de la vérité, la vie privée de Frédéric Flament est loin, très loin, très très loin, d’être à la hauteur des audaces sentimentales que la rumeur journalistique lui attribue. Car dans ses romans, Frédéric Flament ne se prive pas de laisser deviner bien plus qu’il ne pourrait en supporter dans la réalité. Et la réalité, sur ce plan là, est proche du désastre (deux mariages ratés, en dix ans). Ses véritables amis se comptent sur les doigts d’une main (et encore…). Le seul et unique plaisir de Frédéric Flament semble être de collectionner les voitures de sport. Il en est dingue. Et dès qu’il s’assoie au volant, il se relaxe. Et s’emporte. Et s’imagine le maître du monde. Il appuie sur le champignon comme un malade. Accélère dans les côtes et les virages, se joue des obstacles, fustige les trainards, les provinciaux, les épiciers ; il ignore les deux roues, les radars automatiques et les véhicules banalisés de la gendarmerie nationale ce qui lui vaut quelques ennuis, l’obligeant à quelques arrangements, source de quelques tracas. Sa dernière folie en date lui a coûté la bagatelle de cent soixante quinze mille euros (la presque totalité des droits d’exclusivité de Fatigues perpétuelles au pays du soleil levant). C’est un coupé Lamborghini dernier cri. Un Diablo, version GT, d’une belle couleur orange. Brutal et capricieux, l’animal résiste comme une bête sauvage et se cabre à tout bout de champ. Il faut un doigté extraordinaire pour venir à bout de ses accélérations foudroyantes. Mais la joie de le laisser brusquement filer sur l’autoroute est proprement sans limites. Vous lâchez tout. A brides abattues vous comprenez, enfin, ce qu’enfant votre père ne cessait de vous répéter à l’oreille. Oh, oui, mon Dieu, vous comprenez... Frédéric Flament a d’ailleurs déjà évoqué précisément cela dans un de ses romans. Il sait dire. La nuit étoilée, et soudain dégagée de la moindre appréhension. L’autoroute, version nuit et cafard. L’envers des étoiles. Et l’accélérateur à fond la caisse.
Le dimanche matin, cinq avril 2002, à six heures trente cinq du matin, Frédéric Flament est au volant avec, à ses côtés, Stéphanie Burlin, son assistante, encore éblouie par une nuit plutôt arrosée passée dans plusieurs boites de la région parisienne et aussi quelques lieux moins recommandables. Le ciel est dégagé. La température au sol est de douze degrés. Il n’y a personne, ou presque, sur l’autoroute qui semble, derrière les lunettes de sport, d’une verdeur désespérante. Et Frédéric Flament, à ce moment là, n’a, vraisemblablement, aucune espèce d’idée derrière la tête en mettant le cap sur Orléans. J’en suis, pour ma part, désormais, tout à fait convaincu. Il lui prend juste, subitement, l’envie d’allumer l’autoradio. Ce qui a pour conséquence l’irruption brutale de Bob Dylan dans l’habitacle. La voix rocailleuse de Robert Allen Zimmermann, reprenant une fois de plus like a rolling stone, à 180 kilomètres à l’heure dans la campagne berrichonne, voilà qui aurait raison – j’en suis sûr - des plus austères d’entre nous. Surtout avec, à vos côtés, la plus jolie des assistantes que vous n’osiez imaginer. Et c’est pourquoi Frédéric Flament avise la sortie 23 en direction de Saint-Sauveur. Et c’est pourquoi Frédéric Flament actionne le clignotant en réduisant à peine la vitesse. Et c’est pourquoi tout lui semble beau, la brume qui couvre les champs d’une douceur nouvelle. Les ondulations des collines, plus loin. La nuit définitivement retirée dans son écrin. Oui, tout. Et c’est précisément au moment où Stéphanie Burlin entreprend de caresser l’entrecuisse de Frédéric Flament ce qui a pour effet immédiat de gonfler doucement le sexe du plus séduisant de tous les romanciers (selon le mot d’un journaliste d’EuropePassion, trois heures plus tard) que le coupé Lamborghini choisit de s’affranchir de la pesanteur et s’embarque pour un vol plané assez impressionnant de quelques dizaines de mètres au dessus d’un fossé et d’un ruisseau. La suite, pour Frédéric Flament sera nettement moins brillante que ce qui précède. Désormais la vie de Frédéric Flament pourra difficilement être qualifiée d’exemplaire. Le cauchemar est toujours en embuscade dans les allées du paradis. Voilà ce que Frédéric Flament risque fort d’apprendre à ses dépens
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