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Rien de pire que cela...

Publié le 24 juillet 2008 par Perce-Neige
Parfois j’entendais, dans la chaleur espiègle de mon lit, d’imperceptibles frôlements, d’imperceptibles froissements, que j’attribuais, sans l’ombre d’un doute, à des êtres dont j’ignorais tout mais qui savaient, mieux que moi, l’escalier qui descendait à la cuisine, la chambre de grand-mère, le puits, couvert de lierre, dissimulé derrière les marronniers et la balustrade en fer forgé où je m’appuyais, si longtemps, pour guetter les hirondelles quand elles revenaient nicher sous l’avancée du toit. Je savais, pour l’avoir moi-même expérimenté, que les craquements du plancher, les chuintements des volets, trahissaient la présence d’un autre monde que celui dans lequel je grimpais, sans être vu de personne, sur la plus haute branche du cerisier, puis gagnais l’exubérance hostile des roseaux dans le fond du jardin, puis, à grandes enjambées, remontais loin le cours du ruisseau, manœuvrant, pour la gloire d’un empire de coquelicots, une armée d’escargots et de musaraignes qu’escortait, en zigzaguant à la surface de l’eau, une escadrille de libellules. Un autre monde qui me faisait me blottir sous l’édredon… Et espérer, dans le creux du matelas, qu’au grand jamais aucune des ombres qui peuplaient les ténèbres et le froid, surtout les soirs de tempête, ne puisse s’apercevoir un jour de ma présence, m’obligeant alors à les suivre, à voir en face leur visage, à les regarder droit dans les yeux, à les écouter me raconter leur vie, leurs émois, que je devinais, confusément, avoir une certaine parenté avec celle des adultes qui pouvaient parler si longtemps de choses qui me terrorisaient.
J’ignore de quelles profondeurs m’est venue l’idée de ne plus y penser. Et la force d’entendre, mais sans plus les écouter, les murmures qui se propageaient derrière les cloisons, se glissaient sous les portes, se réfugiaient dans les recoins obscurs du grenier. J’avais fini par oublier leur présence. Mais il faut croire qu’on ne peut jamais tout à fait se nourrir de lumière. Quand il fut question de vendre la ferme et les hectares d’herbage attenants, le bois qui descend vers l’étang, les masures perchées sur la colline, j’ai passé quelques jours là-bas, histoire de régler mes affaires, rencontrer le notaire, m’assurer, auprès du cadastre, de la réalité des droits qu’un voisin, plus belliqueux que les autres, revendiquait haut et fort.
A ma grande surprise, Hélène se proposa de m’y accompagner. Elle voulait voir, comprendre et sentir, ce dont je n’avais jamais parlé, incapable que j’étais de dire les orages sur la chaume, les vacances jusque tard dans la saison, les premières pluies un peu avant la rentrée scolaire et la Simca rouge que j’entendais loin dans la vallée et qui sonnait le glas, pour tant de temps que le vertige me prenait, de l’envol des cerfs volants dont grand-père savait le secret. Comprendre et sentir... Je suppose qu’elle le voulait. Sauf qu’elle a tout de suite déclaré, à peine descendue du taxi, qu’elle trouvait l’endroit proprement lugubre, infiniment triste et désespérant, sans compter qu’elle détestait, par dessous tout, ces grands murs en brique rouge qui entouraient la cour et assombrissaient le bâtiment. Je l’ai serré dans mes bras et nous avons parlé de plus tard, de l’enfant qui viendrait, de nos projets d’Italie et du moment où nous pourrions déménager dans cette ville du sud qui, tous deux, nous fascinait. Nous avons tout de même, ce soir là, dans le jardin abandonné aux courges, au chiendent et aux moustiques, goûté à la nuit qui venait. Les étourneaux dessinaient, au dessus des peupliers, de larges alphabets qui balbutiaient un autre horizon. Au matin, Hélène s’est souvenu avoir obtenu, de son directeur de thèse, un rendez-vous auquel elle ne pouvait échapper et qui l’obligeait à prendre le premier train pour Paris. Je n’ai pas répondu. Mais j’ai tout de même voulu l’accompagner jusque sur le quai. Là, je lui ai dit que je resterai juste le temps nécessaire. Une petite semaine, ai-je ajouté en penchant mon visage vers le sien. Et je suis rentré sans prendre le temps de m’attarder au village. Toute la journée, je l’ai passée à arpenter la chaume, les dépendances et le bois qui coure jusqu’à l’étang. Je me suis épuisé. Je ne pensais plus à rien. Le soir, je suis monté me coucher sitôt la nuit tombée. J’ai dû m’endormir tout de suite. Pour m’éveiller brusquement deux ou trois heures plus tard. Comme tiré du sommeil par une réminiscence familière. Et c’est à ce moment-là que je les ai à nouveau entendu. D’abord à peine audibles. Insoupçonnés. Puis plus nettement. Plus distinctement. Tout, autour de moi, bruissait de ce vacarme qui me revenait en mémoire. Alors j’ai fais ce que je n’avais jamais osé faire. Je me suis levé. A tâtons, j’ai marché jusqu’à la porte du couloir. Puis jusqu’à l’interrupteur. Et, sans réfléchir plus que ça, j’ai allumé la lumière. Mais il n’y avait rien. Rien. Rien que mon visage, reflété à l’infini dans le miroir du guéridon.

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